Club Open Prospective
Muriel Jasor
Les contenus pédagogiques des cursus traitent encore trop peu d'économie de la rareté, estime Fabrice Bonnifet, le président du Collège des directeurs du développement durable.
Une récente étude de l'Edhec Business School pointe combien les aspirations professionnelles des jeunes diplômés diffèrent de celles de leurs prédécesseurs. En particulier, ils font de « l'impact environnemental » la transformation la plus attendue dans l'entreprise.
Leur Manifeste étudiant pour un réveil écologique et ses 36.000 signataires ont eu une certaine résonance. « Que ces jeunes aient peur de l'avenir, je le comprends, compte tenu de la gravité de la situation, réagit Fabrice Bonnifet, le président des directeurs du développement durable (C3D). Ils sont en colère et souhaitent que les choses aillent plus vite. »
A ceux qui font le choix de bouder l'entreprise et de rejoindre l'entrepreneuriat ou le monde associatif et les ONG, Fabrice Bonnifet conseille « de continuer à s'intéresser aux entreprises, y compris les plus controversées ». « Ce monde a sa propre temporalité, ses règles et n'est pas une démocratie, mais c'est en son sein qu'existent des leviers d'action non négligeables pour avancer », assure-t-il, convaincu que les jeunes, en se familiarisant avec les règles en vigueur en entreprise, en jouant même avec elles, sauront faire évoluer les choses. Car personne ne peut prétendre pouvoir sauver le monde d'avant mais il est possible de créer de la valeur autrement.
C'est l'économie qui, aujourd'hui, doit se mettre au service du vivant. « Faut-il attendre d'avoir abattu le dernier arbre et mangé le dernier poisson pour s'apercevoir que l'argent n'est pas comestible ? », s'agace celui qui ne s'exprime pas, dans cet entretien, en tant que tel mais qui est aussi directeur du développement durable de Bouygues.
Passer au net zéro carbone
La sobriété s'impose à tous et il va falloir innover dans tous les secteurs d'activité. Renoncer, c'est tout réinventer, du système de production à la vente pour commercialiser l'usage. Ce qui implique de changer les business models, le design, les achats, le système comptable et financier, la mesure de la performance, le management… « Améliorer ce que l'on a toujours fait ne suffit plus, il faut avoir la lucidité d'adopter une stratégie net zéro carbone », martèle Fabrice Bonnifet en pointant les limites planétaires qui commandent de passer d'un modèle linéaire à celui basé sur l'économie circulaire par le réemploi et l'usage. Le génie de demain sera de produire de la haute technologie frugale, en intégrant dans la démarche de la coopération pour garantir le développement durable. Voilà pourquoi des formations jusqu'ici inédites commencent à voir le jour, comme l'offre de formation continue en développement durable de l'Ecole Polytechnique Executive Education, la formation certifiante Transition écologique et transformation d'organisation de Sciences Po, ou encore le diplôme universitaire Entreprises et Bien commun de l'Institut Catholique de Paris. « La situation va nécessiter de gros efforts d'alignement de la formation par rapport aux enjeux écologiques. Les contenus pédagogiques de la plupart des cursus s'appuient toujours sur l'illusion d'un monde sans fin, alors que nous avons besoin de personnes formées à l'économie de la rareté », explique le président du C3D, en reconnaissant quelques difficultés au nombre desquelles la nécessité de faire cohabiter des métiers existants et à venir ou encore des problèmes de régulation.
S'appuyer sur les faits scientifiques
Fabrice Bonnifet relève inlassablement tous ces enjeux, en cherchant à sortir du microcosme de la RSE, déjà convaincu. « C3D affûte son pouvoir d'influence. C'est un collège, où l'on s'échange de bonnes pratiques entre responsables au sein d'entreprises plus ou moins engagées mais résolues à progresser », explique-t-il. « Il est important d'écouter des personnalités telles que Jean-Marc Jancovici ou Laurent Babikian, au franc-parler qui parfois dérange », poursuit Fabrice Bonnifet, qui s'appuie toujours sur les faits scientifiques pour faire passer des idées. Notamment sur les dires de personnalités connues et reconnues telles que les paléoclimatologues Valérie Masson-Delmotte et Jean Jouzel, les climatologues Céline Guivarch ou Corinne Le Quéré… Et bien d'autres.
La parole de responsables en pointe sur le développement durable est de plus en plus écoutée. Du reste, « L'Entreprise contributive » (Dunod), l'ouvrage que Fabrice Bonnifet a coécrit avec l'entrepreneuse Céline Puff Ardichvili en est à sa huitième réimpression et sera traduit en anglais l'été prochain.
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