Gilles Babinet
Pas un jour ne passe sans que l'intelligence artificielle ne fasse la une de l'actualité, et cela, depuis presque un an. Je n'ai eu, pour ma part, de cesse d'expliquer combien il s'agit là d'une révolution de premier plan, comparable à l'électricité ou aux télécommunications. Mais pour que cette révolution advienne, l'appropriation collective de cette technologie est indispensable pour la mettre au service d'un projet de société. Cela doit donc s'accompagner d'un dispositif de diffusion au plus grand nombre.
Aujourd'hui, les politiques publiques en matière de numérique se focalisent pour l'essentiel sur les dispositifs de soutien aux « premiers de cordée » : les grandes écoles françaises, les centres de recherches prestigieux ou les meilleures start-up. A l'autre extrémité du spectre, existent des dispositifs d'inclusion pour les personnes les plus éloignées du numérique. Le plan France très haut débit a ainsi permis de raccorder de nombreux territoires ruraux, les conseillers numériques France services vont au plus près des personnes non connectées, les postiers ont un nouveau rôle dans cet accompagnement de proximité… les exemples ne manquent pas et la feuille de route France numérique ensemble pourra poursuivre la démarche.
Cependant, il faut penser au-delà de l'inclusion ou des spécialistes. Désormais, il s'agit de porter une vision politique pour le plus grand nombre, pour la couche du milieu, soit la très grande majorité de la population. « Il n'est de richesse que d'hommes », disait philosophe Jean Bodin. Nous pourrions le paraphraser en observant qu'une révolution aussi systémique que l'IA ne s'accomplira que si nous sommes capables de former, d'intéresser en masse les Françaises et Français à ces enjeux.
Sans cela, le risque est double : manquer le virage économique et technologique, et l'accroissement infini de la fracture numérique. La double peine. En ces temps de Coupe du monde de rugby, osons une comparaison avec le sport. Nous ne saurions avoir une cinquantaine de joueurs au plus haut niveau mondial sans les 300.000 licenciés qui font office de vivier et font tourner l'ensemble de la filière. Il en est de même pour le numérique et plus encore dans l'intelligence artificielle.
Il s'agit de répondre aux inquiétudes, aux mythes communs, il s'agit de démystifier les risques comme la machinisation de l'esprit ou la déqualification. Il s'agit de partager au plus grand nombre les clés de compréhension de cette technologie. D'où elle vient, comment elle fonctionne, ce qu'elle permet de faire, comment agir dessus, quels outils adoptés, desquels se protéger… Plus qu'une culture uniquement technique, il s'agit de définir et de diffuser une culture numérique partagée. Il s'agit de promouvoir à l'échelle de la nation une IA qui soit nôtre, dont la mise en oeuvre soit, autant que faire se peut, celle du bien commun.
L'installation d'un conseil stratégique sur l'intelligence artificielle générative à Matignon témoigne de la recherche d'une vision globale et d'une application transverse de cette technologie. Accompagnons cette vision jusque dans son déploiement au sein de la population. Nous avons la chance en France de bénéficier d'un maillage territorial fort d'acteurs associatifs, élus… engagés sur ces questions. Soutenons-les pour proposer au plus près des citoyennes et des citoyens des formations, des discussions, des expériences avec l'intelligence artificielle et encourageons l'inscription du numérique dans les politiques locales.
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