L'anticipation - plutôt que l'extrapolation, qui prolonge des modèles existants - devient une impérieuse nécessité dans le monde actuel, expliquent Jean-Christophe Fromantin, Nicolas Lerner, Jean-Marc Liduena et Matthieu Courtecuisse. Mais anticiper ne s'improvise pas.
« Les comportements des millennials, plus connectés, plus libres, parfois plus erratiques, ouvrent des perspectives intéressantes pour un management de l'anticipation. » (iStock) Par Jean-Christophe Fromantin (Président du programme Anticipations), Matthieu Courtecuisse (PDG de Sia Partners) Le monde accélère ; la bonne compréhension de ses mécanismes est plus stratégique que jamais. Les réseaux technologiques sont au coeur de cette transformation. Aujourd'hui, six milliards d'individus dans le monde détiennent un téléphone mobile, et un iPhone en 2022 est 150.000 fois plus puissant que la salle informatique d'IBM en 1972. L'information circule dorénavant à la quasi-vitesse de la lumière ; elle est factuelle, souvent déformée, et parfois manipulée pour façonner l'opinion à sa mesure. Dans ce flot d'informations, faire la part des choses relève le plus souvent de l'exploit. S'il nous appartient individuellement d'aiguiser notre esprit critique pour armer notre propre discernement et corriger les biais d'influence, il appartient autant à nos organisations, publiques ou privées, d'appréhender les mouvements en amont, et de devenir plus agiles pour s'adapter aux transformations, pour réagir avant qu'il ne soit trop tard. Les émotions et les algorithmes ne doivent pas devenir l'alpha et l'oméga d'un projet. Accélération du temps Or, l'esprit critique d'une entreprise se forge à l'aune de sa capacité à observer plus loin que son propre horizon : dans sa capacité à suivre les comportements du quotidien, dans la maîtrise des accélérations technologiques, dans son articulation avec des modèles économiques nouveaux, ou dans l'analyse d'une géopolitique complexe qui dépasse aujourd'hui le seul fait des gouvernements. Ces tendances s'appréhendent en étant attentif à la multitude de signaux faibles, d'où qu'ils viennent ; les identifier, les analyser, et les intégrer le cas échéant, permet à nos organisations de préfigurer les tendances de moyen et long terme. Jusqu'à présent, l'évolution de la consommation annonçait les mutations industrielles sur un temps suffisant long pour s'adapter ; aujourd'hui l'humeur de l'opinion, l'émergence d'acteurs nouveaux et la vitesse de diffusion des informations peuvent précipiter les décisions, sauf à provoquer des retournements irréversibles. Des tendances presque invisibles font subitement surface et peuvent mettre en difficulté des modèles que nous pensions pérennes. Aux cycles longs, théorisés par de nombreux économistes, s'annoncent des cycles courts jalonnés par les crises. Les risques d'un défaut d'anticipation sont proportionnés à l'accélération du temps. Capter les signaux faibles Par conséquent, l'anticipation - plutôt que l'extrapolation, dont la caractéristique est de prolonger des modèles existants - devient une impérieuse nécessité pour éviter d'être déstabilisé dans des tempêtes aussi soudaines que violentes. Anticiper ne s'improvise pas. Soyons davantage curieux. Cela suppose de capter et d'analyser des signaux faibles, au-delà de son champ de vision, au-delà des informations que produisent les modèles que l'on maîtrise. C'est une approche qu'utilisent quotidiennement nos services de renseignement ; c'est une méthode que nous éprouvons dans le projet « Anticipations » en proposant à des acteurs économiques issus de secteurs différents de confronter leurs signaux faibles ; c'est aussi une culture dont les entreprises comme les acteurs publics doivent s'imprégner pour s'insérer dans les mouvements et les transformations de la société. En cela, les comportements des millennials ou de la génération Z, plus connectés, plus libres, parfois plus erratiques, ouvrent des perspectives intéressantes pour un management de l'anticipation. A l'heure où beaucoup d'entre eux s'interrogent sur le sens du travail, on peut y voir l'indice d'une véritable bascule des valeurs et des modes de vie. Entre une extrapolation qui reproduit des modèles classiques, et une anticipation qui suppose de se laisser surprendre, nul doute que la seconde ouvre une nouvelle voie… Jean-Christophe Fromantin, délégué général d'« Anticipations ». Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure DGSI. Jean-Marc Liduena, président de la Fondation des Bernardins. Matthieu Courtecuisse, président-directeur général de Sia Partners.
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