Guillaume Réjou
A peine un mois avant l'application de ladirective CSRD (décembre 2023), 88 % des entreprises sondées par le cabinet de conseil Baker Tilly déclaraient ne pas être prêtes à répondre aux critères fixés. Et, 57 % du panel d'entreprises interrogées estimait n'avoir que peu ou pas de connaissances sur le sujet. En 2025, la directive s'étendra aux entreprises de plus de 250 salariés, avec un chiffre d'affaires de plus 40 millions d'euros.
Le sujet de la responsabilité environnementale et sociale (RSE) est devenu crucial au sein des entreprises. Il est un levier d'attractivité auprès des talents, dans une période où il est difficile de recruter, faute de candidats suffisants aux postes ouverts. Il est un indicateur d'activité de l'entreprise aussi scruté que les indicateurs financiers par les actionnaires et les investisseurs. Enfin, il est un actif majeur de l'image de l'entreprise, en réponse aux injonctions de plus en plus fortes de la société civile à l'action climatique. Les entreprises ont accéléré sur l'usage des outils digitaux en période de pandémie, mais ne sont pas totalement transformées sur le plan numérique. Certaines ont accumulé du retard.
L'exemple le plus probant du retard accumulé est le décalage décidé par le gouvernement de la réforme de la facturation électronique (RFE) à 2026, face à la complexité pour les entreprises de petite taille et de taille moyenne de se saisir du sujet de la dématérialisation. Dans ce contexte, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a déclaré récemment « s'insurger du fardeau normatif » imposé aux entreprises et en novembre dernier le Sénat a lancé une mission sur le thème : « Directive CSRD, la complexité de trop pour les PME ? » pour une soutenabilité du rythme d'application des réformes.
Les soubresauts de l'application de la RFE ont masqué l'arrivée de l'application de la directive CSRD, avec pour conséquence, une impréparation supplémentaire d'une partie des directions financières. Alors que les premières offres de conseil et d'accompagnement à la directive émergent, des questions subsistent aussi, telles que, par exemple : qui contrôle les critères du reporting extra-financier et en certifie la validité ? Le principe de double matérialité peut-il fonctionner quand il n'existe pas d'outil unique récoltant et traitant la data financière et la data RSE ?
Aujourd'hui , le reporting extra-financier est traité sur un fichier Excel. Pourtant, dans le cadre de la directive CSRD, pour une partie des entreprises, plus de 800 points de données sont à communiquer. Les directions financières doivent disposer d'outils aussi puissants que les solutions logicielles utilisées pour piloter les indicateurs financiers. Ceci, d'autant qu'il n'y a pas de doute, les compétences financières et de responsabilité sociale doivent être centralisées au sein d'une seule et même équipe pour la production du rapport extra-financier attendu par toutes les parties prenantes de l'entreprise. Il faut donc rompre les silos techniques.
Pour le directeur administratif et financier, l'application de la directive CSRD est l'opportunité d'une évolution conséquente de son rôle et de sa place dans l'entreprise. Jusqu'alors, seule la responsabilité de la santé financière de l'entreprise lui était dévolue. Avec la directive CSRD, il doit mettre en place les garde-fous indispensables face à presque tous les risques (financiers, RGPD, CSRD), avec la maîtrise de l'intégralité des données produites. Adresser des sujets humains et de responsabilité environnementale est tout nouveau pour le directeur administratif et financier mais, cela permet à ce spécialiste des chiffres de disposer d'un atout de taille. En effet, il devient le pilote d'une stratégie plus étendue de l'organisation de l'entreprise, en termes de sujets et de responsabilités, et joue un rôle plus important dans la direction générale de l'entreprise. Il peut être le sponsor d'hyper-spécialistes dans la RSE, la cybersécurité… ou encore, le manager d'une équipe plus polyvalente, promise à de nouveaux horizons, avec le traitement de sujets au coeur de la transition climatique.
D'autres réglementations sont attendues dans les années à venir. La compétitivité de l'entreprise et sa conformité sont intrinsèquement liées à la capacité de la direction financière de savoir gérer des données multiples et hétérogènes. Le système d'information adopté permet-il de sourcer la data ? De valider la qualité de cette data ? Et peut-elle être pilotée de façon à avoir un impact pertinent sur l'organisation, sa stratégie et son développement ? Le tout premier objectif et chantier de la directive CSRD est de s'assurer que l'entreprise dispose de l'équipement adéquat pour une collecte simple, précise et profonde des data en temps réel et sur le temps long. Et ce, avant qu'un cadre plus précis soit défini sur les modalités de contrôle du reporting extra-financier et aussi parce que cela constitue l'opportunité de mieux valoriser et exploiter les données dans les décisions de l'entreprise.
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