Rafik Smati
Parmi tous les événements survenus ces dernières semaines, l'un d'eux devrait nous interpeller au plus haut point. Il s'agit de la mise à jour de l'algorithme ChatGPT, une intelligence artificielle qui permet de générer du texte à la demande : « Ecris-moi une lettre d'amour pour ma femme Leila », « Rédige-moi une fiche de poste sur le métier d'imprimeur », « Invente-moi un poème sur le chant des cigales en Provence »… En quelques secondes, l'algorithme génère un texte unique, inédit, bien construit, cohérent, sans faute de syntaxe ou d'orthographe.
L'avènement de ce qu'il est convenu d'appeler l'IA générative, à savoir une intelligence artificielle capable de générer du texte, mais aussi des images, des vidéos ou même du code informatique, marque assurément un saut considérable dans l'histoire du monde. La première chose qui saute aux yeux pour quiconque manie ChatGPT est l'esprit d'équilibre et de tempérance dont elle fait preuve dans les contenus qu'elle génère : aucun excès, aucune outrance, aucune dérive extrémiste. Il est même possible d'y voir de… l'intelligence.
Et c'est là un fait majeur, qui s'explique par le fait que cette intelligence artificielle puise sa connaissance dans tout ce qui a été écrit, publié, posté sur Internet depuis sa création. La matière première qui alimente ChatGPT est donc tout ce qu'a produit l'humanité depuis l'apparition de l'écriture il y a 5.000 ans, et qui est désormais consigné, sauvegardé, inventorié dans le cyberespace. ChatGPT se veut être la quintessence de la connaissance universelle. Elle est à l'image de l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus noble : elle rassemble, crée des liens, nuance, argumente, cherche le dénominateur commun. A cet égard, elle est aux antipodes de l'air du temps, qui fait la part belle aux populistes, aux outranciers, et à tous ceux qui ne survivent que dans les oppositions et les antagonismes.
La révolution qui est en germe marquera sans nul doute l'histoire. Vous pensiez qu'Internet représentait un changement de paradigme en soi ? Il n'est en réalité qu'une transition entre deux époques. Internet est l'outil, le moyen, le catalyseur, l'étape préparatoire et ultime à l'avènement de l'IA. Il est le système nerveux central, le disque dur géant, qui donne maintenant du corps à l'idée d'IA forte. Et ce phénomène s'accélérera exponentiellement à mesure que les ordinateurs quantiques réduiront les temps de calcul.
Il aura fallu environ trente ans pour qu'Internet se démocratise à très grande échelle. Trente ans pour que l'humanité s'interconnecte et numérise tous les savoirs du monde. Trente ans pour créer la matière première qui permettra bientôt aux intelligences artificielles de se développer et de servir le genre humain. Trente ans, c'est aussi le temps qui sépare l'invention de l'imprimerie par Gutenberg du coeur de la Renaissance. Ce qui se joue aujourd'hui est de ce niveau-là : l'avènement d'une nouvelle Renaissance, portée par une révolution scientifique et technologique sans pareil. Rien de moins.
Les conséquences de l'émergence de l'IA générative sont vertigineuses. Un nombre incalculable de métiers seront bientôt métamorphosés. Nos écoles devront être repensées : à l'avenir, le vrai talent ne sera plus tant de savoir rédiger, dessiner ou coder, mais de pouvoir s'interfacer et interagir avec les IA pour en tirer le meilleur. Des monopoles seront remis en cause, à commencer peut-être par celui de Google, dont le moteur de recherche pourrait bientôt sembler désuet au regard du changement de paradigme qui est à l'oeuvre. Les grandes puissances du XXIIe siècle seront celles qui auront su apprivoiser et domestiquer les intelligences artificielles. L'Europe peut encore, avec une volonté politique forte, relever le défi. Bientôt, il sera trop tard.
Comments