Gilles Babinet
Peu de professions connaissent des gains de productivité aussi importants que celle de programmeur informatique, sans que cela ne crée le moindre chômage, bien au contraire. Il fut un temps pas si lointain où, avant même de taper la moindre ligne de code, un informaticien devait installer une infrastructure complexe - mise en place physique de serveurs, couches logicielles essentielles (système d'exploitation, base de données…), etc. Tout cela a pour quasiment disparu, augmentant la productivité des codeurs d'autant.
Dans le domaine de la programmation brute, des plateformes comme Github permettent d'aller chercher automatiquement des morceaux de code déjà faits et vérifiés par d'autres, et de gagner ainsi un temps considérable, au point qu'on ne dit plus des codeurs qu'ils codent, mais qu'ils collent des morceaux de code ensemble, venant d'une multitude d'auteurs.
Avec l'avènement de logiciel comme ChatGPT, il est désormais possible de confier la programmation à l'IA. Si celle-ci commet encore quelques fautes de béotien, sa capacité à produire un code complexe en quelques secondes - code que l'on peut affiner par suggestions successives -, est impressionnante.
Des opérations aussi fastidieuses que répétitives (le « parsing » en jargon du métier) sont effectuées en quelques secondes, là où des journées étaient auparavant nécessaires. Dans le domaine du design, des outils comme Figma savent décliner à partir du graphisme d'un seul écran, la totalité des autres pages d'un service, de façon automatique.
Les informaticiens, designers et autres experts de l'informatique seront-ils pour autant bientôt au chômage ? Détrompez-vous. Malgré le déferlement de gains de productivité permis par l'astucieux travail des centaines de milliers de développeurs de ces plateformes, le fondateur de Replit, un service d'automatisation du code par l'IA, estime que l'humanité comptera sans doute 8 à 10 fois plus de codeurs d'ici dix à douze ans tant les besoins sont immenses ! Et de surcroît, l'accès au développement de services informatiques devrait être banalisé.
On envisage désormais de la « programmation Tinder » ou programmation « swipe » (mouvement du pouce vers la gauche ou la droite) : vous aimez le résultat proposé ? validez à droite ; sinon pour une autre proposition « swipez » à gauche. La programmation à la voix et au pouce, sur mobile, pourrait d'ailleurs se généraliser et la mise en exploitation sera immédiate depuis la plateforme de conception.
Les informaticiens resteront toutefois nécessaires pour tout ce qui demande une performance hors du commun : architectures de flottes de véhicules autonomes, « grid » de distribution d'électricité, programmation d'interface homme-machines sophistiquées, etc. : ceux qu'on appelle déjà aux Etats-Unis des « 10xEngineers » : des experts doublés d'outils si puissants que l'on a probablement de la difficulté aujourd'hui à imaginer ce qu'ils pourront accomplir en une journée.
A l'heure où l'on s'émeut des risques de disparitions d'emplois que pourrait induire l'IA, on peut imaginer un autre scénario : ces gains de productivité pourraient être mis au service d'un déferlement de créativité et d'innovation, en permettant à ceux qui ont une compétence dans un domaine particulier (psychologie, santé, transport, environnement, etc.) mais pas de compétence de codage, de réaliser leurs rêves.
Tout sera-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas totalement : les risques cyber ou de distorsion de la réalité, entre autres, vont croître considérablement. Comme l'observe l'ancien président de Stanford et désormais président d'Alphabet, si la technologie fait des bonds de géant, le management reste, lui, engoncé dans des règles inventées au XIXe siècle.
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