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Photo du rédacteurThierry Bardy

« Il faut que l'innovation soit rémunérée à sa juste valeur »

David Barroux et Myriam Chauvot

En quoi le Covid a-t-il changé la donne dans les vaccins ?

Certains pensent que la crise Covid a suscité l'innovation dans le monde du vaccin. En réalité, les vaccins à l'ARN-messager (ARNm) sortis en 2020 étaient le fruit de plus de dix ans de R&D, cette révolution avait commencé bien avant la pandémie. Certains ont aussi considéré après le succès des premiers vaccins Covid, queles vaccins à ARNm allaient remplacer tous les autres. Mais pour le Covid, il n'y a qu'un seul antigène à cibler. Contre la grippe, il faut pouvoir protéger contre 23 types de grippes différents en une seule vaccination, c'est autrement plus complexe… Les vaccins traditionnels, dont nous sommes le numéro un mondial pour la grippe, restent les plus efficaces. La dernière leçon de la pandémie est enfin que les gens se sont fait vacciner en masse parce que c'était une question de vie ou de mort et que le vaccin marchait, mais aussi parce qu'il fallait être vacciné pour voyager, aller au restaurant. Aujourd'hui, c'est fini et le Covid ne leur apparaît plus pas plus dangereux que la grippe, donc le taux de vaccination Covid chute.

Alors, faut-il rendre plus de vaccins obligatoires ?

Il me semble difficile d'enlever la liberté de choix. Il faut éduquer, rendre accessible et innover. Quand on a lancé, en septembre 2023, le premier traitement préventif au monde contre la bronchiolite des nourrissons, le Beyfortus, la demande a battu un record. Elle a été trois fois supérieure à n'importe quel lancement passé de vaccin pédiatrique ! Et pour un peu plus de 100 euros la dose, on fait économiser des millions d'euros au système hospitalier.

Pourquoi n'arrivez-vous pas à répondre à la demande de Beyfortus ?

Il ne se fabrique pas en un jour et on ne peut pas augmenter nos capacités de production en quelques mois. Il faut cinq ans pour faire une nouvelle usine et avant même de lancer la production, nous devons connaître le niveau de la demande. Dans ce cas, malgré l'incertitude sur la demande puisqu'il s'agissait d'une première, nous avons eu une production deux fois plus importante que n'importe quel autre lancement et, à fin 2023, ce sont déjà deux millions de nourrissons qui ont bénéficié du Beyfortus, surtout en France et en Espagne (en taux de traitement rapporté à la population) mais aussi aux Etats-Unis.

La demande est finalement encore plus forte que prévu mais avec Astra Zeneca qui fabrique le produit, nous investissons dans des capacités de production. Nous produirons trois fois plus de Beyfortus en 2024 qu'en 2023 et nous doublerons à nouveau la production en 2025. Nous serons alors en mesure de répondre totalement à la demande des pays qui l'auront approuvé. D'ici là, le Beyfortus étant réservé aux nourrissons de moins d'un an, nous avançons également sur le développement d'un vaccin contre la bronchiolite pour les 1 à 2 ans. Il entre en essai de phase III.

La vaccination peut-elle contrer de nouvelles maladies ?

C'est en cours. Contre la bactérie Escherichia coli (E.coli), par exemple, dont certaines souches sont la cause de septicémies, de résistance aux antibiotiques et de décès, il n'y a aujourd'hui aucune protection. D'ici quatre ans, Sanofi aura un vaccin, il est en développement. De même, nous développons le premier vaccin contre la bactérie chlamydia, responsable d'infection sexuellement transmissible. Il n'existe pas encore de traitement préventif et chlamydia est une « pandémie silencieuse » causant, quand elle n'est pas soignée à temps, infertilité et grossesses extra-utérines. Autre domaine d'application novateur pour les vaccins : l'acné. Nous en aurons bientôt un pour l'acné modéré à sévère. Enfin, au-delà de Sanofi, en matière de cancer où il existe déjà un vaccin préventif contre le papillomavirus humain et ses cancers génitaux, le défi sur lequel travaillent actuellement des acteurs de l'industrie pharmaceutique est de mettre au point des vaccins dits « thérapeutiques », c'est-à-dire curatifs, pour les patients atteints de divers cancers.

L'innovation ne risque-t-elle pas de faire flamber le prix des médicaments ?

Il ne faut pas regarder que le prix unitaire d'un médicament. Il faut aussi prendre en compte ce qu'un traitement efficace permet de faire économiser au système de santé. Et également avoir en tête qu'en Europe en particulier, le prix des médicaments ne fait que baisser et que les médicaments finissent par tomber en dix ans dans le domaine public. Ils ne sont plus protégés par des brevets et sont concurrencés par des génériques, ce qui n'est pas le cas dans la majorité des industries comme les sodas ou le cloud informatique.

Si nous voulons continuer d'innover, il faut que l'innovation qui fonctionne soit récompensée à sa juste valeur. Sanofi est le premier investisseur en matière de R&D en France, avec plus de 2,6 milliards d'euros par an. C'est plus qu'Airbus, par exemple. Dans notre industrie, l'innovation est à la fois extrêmement longue, coûteuse et risquée. Il faut souvent dix ans et 2 à 3 milliards d'euros d'investissements par médicament et nous avons bien plus d'échecs que de réussites. En phase I, après quatre années d'efforts, le taux d'échec est de 90 %. En phase III, il est encore de 25 à 35 %. Il faut bien couvrir ces coûts. Enfin, il ne faut pas oublier que les médicaments ne représentent que 9 % des coûts des systèmes de santé, beaucoup moins que les hospitalisations, par exemple.

L'intelligence artificielle peut-elle changer la donne pour vous ?

Il y a deux niveaux d'IA. Il y a celle qui nous permet de dégager, comme dans toutes les industries, des gains de productivité au quotidien, dans nos bureaux comme nos usines. Et puis il y a celle que l'on pourrait qualifier « d'IA expert », pour repenser notre R&D au niveau moléculaire, tester des combinaisons médicamenteuses, ou encore prévoir et réduire les effets secondaires. Les effets secondaires sont notre problème principal en matière de sécurité. Une IA capable de les anticiper nous permet de développer plus vite, d'arrêter plus rapidement les essais voués à l'échec et donc d'en abaisser le coût. Nous avons dépensé environ 7 milliards d'euros en 2023 en R&D mais notre objectif, avec l'IA, n'est pas de dépenser moins. C'est de dépenser mieux, de redéployer les gains générés pour nous attaquer, avec un même montant alloué à la R&D, à davantage de maladies.

Si le prix des médicaments baissait aux Etats-Unis, cela menacerait-il la capacité d'innovation de l'industrie ?

Le prix des médicaments n'est pas le seul facteur de rentabilité des investissements pharmaceutiques. La taille des débouchés compte aussi. Les Etats-Unis sont un marché vaste, car la population est importante mais aussi parce que proportionnellement, davantage de personnes y ont accès aux médicaments innovants. En Europe, la contrainte budgétaire est forte et l'accès de la population aux innovations est de ce fait plus limité.

La pharmacie a parfois le sentiment d'être mal aimée en Europe ?

Nous ne sommes pas considérés comme une industrie stratégique au même titre que l'hydrogène ou les semi-conducteurs. On subit une pression permanente pour réduire nos prix. Nous sommes considérés comme un centre de coûts, pas comme un avantage compétitif. Pendant la pandémie de Covid, il y a eu une prise de conscience. L'Europe a vu qu'elle n'était plus souveraine dans l'univers des médicaments. Mais pour changer la donne, il faut que l'Europe donne à l'industrie pharmaceutique des contrats à long terme suffisamment rentables. Les coûts industriels, en particulier, sont plus élevés en Europe. Pour les compenser, nous avons besoin que les Etats s'engagent. On ne peut pas investir dans une usine en Europe si ensuite, toutes les commandes sont passées à des pays non européens aux coûts de mains-d'oeuvre et aux standards de qualité plus bas. L'industrie pharmaceutique ne peut pas être populaire que pendant des crises majeures et quand elle sauve des vies.

Cette critique s'adresse en particulier à la France ?

Non, la France est l'un des rares pays en Europe à avoir compris que notre industrie était stratégique et qu'au-delà des aides, nous avions surtout besoin de garanties. On ne peut pas avoir de certitudes et de commandes qui iraient à l'encontre des règles de la concurrence, mais l'exemple de nos investissements en France dans la production de paracétamol prouve qu'il existe des moyens de nous soutenir. La France n'a peut-être pas autant d'investisseurs en capital-risque ou de capital disponible que les Etats-Unis mais elle a des ingénieurs, des écoles et des centres d'excellence comme Gustave Roussy ou l'Institut Curie.

Les grands groupes n'ont-ils pas perdu la bataille de l'innovation ?

Traditionnellement, le nombre de médicaments qu'avait un laboratoire était directement proportionnel à son nombre de scientifiques. Dans la dernière décennie, avec les nouveaux outils comme l'intelligence artificielle, il est devenu possible d'être un petit acteur et d'aller très loin. Du fait de la pression à la baisse de leurs prix subis par les grands laboratoires, ils ont dû se concentrer sur leurs domaines thérapeutiques d'excellence.Pour Sanofi : l'immunologie, les maladies rares et les vaccins. Un grand laboratoire ne peut pas être expert en tout. Et créer une division de recherche en interne sur une nouvelle maladie où on part de zéro est risqué. C'est une meilleure allocation du capital que de racheter une biotech ayant déjà une expertise sur le sujet. Peu importe où elle se trouve : en Europe ou, plus souvent, aux Etats-Unis. Cela dit, en rythme de croisière, je considère qu'un bon équilibre pour Sanofi serait 70 % de médicaments issus de sa recherche interne contre 30 % acquis.

Quels sont les projets les plus prometteurs de Sanofi ?

Ce sont ceux qui feront bientôt de Sanofi le leader mondial de l'immunologie. Déjà, un de nos médicaments existants, le Dupixent, a prouvé qu'il réduisait de 34 % les hospitalisations pour bronchite chronique, aujourd'hui sans solution. Pendant que le monde a les yeux braqués sur l'obésité, dans les années à venir, nous allons continuer à avancer dans les affections dues au dérèglement du système immunitaire : l'asthme, le psoriasis, l'eczéma, les problèmes gastriques, etc. Le premier grand rendez-vous est fin 2024, sur la sclérose en plaques. Aujourd'hui, elle ne se traite pas, on ne peut que la ralentir. A la fin de l'année, nous saurons si Sanofi a trouvé un traitement. Nous pouvons y arriver. La preuve : Sanofi a déjà lancé dans l'année écoulée trois traitements qui ont changé la donne dans leurs domaines. Dans l'hémophilie A, dans le diabète de type 1 avec le premier traitement au monde qui ralentisse la maladie, et, bien sûr, contre la bronchiolite des nourrissons avec la première immunisation au monde.

Son parcours

Né à Manchester, Paul Hudson, 56 ans, a rejoint le secteur pharmaceutique au terme d'études en économie d'entreprise et en marketing. Son premier poste est dans la vente chez le poids lourd britannique des vaccins, GlaxoSmithKline (GSK). Suit une première incursion dans une société française, Synthelabo (avant sa fusion en 1999 avec Sanofi) et, entre autres, dix ans chez l'autre géant britannique, AstraZeneca, dirigé par le Français Pascal Soriot. Il y sera notamment responsable du marché américain. Il était depuis trois ans chez le suisse Novartis quand il a rejoint Sanofi pour prendre la direction générale en septembre 2019.

Son actualité

A l'occasion de ses résultats trimestriels le 27 octobre, Sanofi a annoncé préparer la scission de son pôle de santé grand public Opella (les médicaments sans ordonnance comme le Doliprane). Il a aussi annoncé accroître ses dépenses de R&D, déclenchant une tempête boursière qui a fait plonger son cours de 19 % ce vendredi-là. Depuis, il remonte la pente. Comme les autres Big Pharmas, Sanofi abandonne la santé familiale pour se recentrer sur les vaccins et médicaments innovants. Parmi eux, son blockbuster actuel, Dupixent, représente plus de 10 milliards d'euros de ventes annuelles et va connaître une nouvelle extension d'indication sur un marché majeur.

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