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Photo du rédacteurThierry Bardy

Internet inviolable, capteurs ultrasensibles… L'autre révolution quantique à venir



Leïla Marchand


L'ordinateur n'est pas la seule promesse de la nouvelle révolution quantique en cours. Les étranges propriétés de la physique de l'infiniment petit pourraient révolutionner les domaines des télécommunications et de la métrologie.

Quantique ? Vous avez dit quantique ? Le terme commence doucement à se faire connaître grâce à sa vedette numéro 1 : l'ordinateur quantique. Capable de réaliser des opérations dépassant l'imagination, ce supercalculateur fait tourner les têtes. Mais l'informatique n'est pas le seul domaine où la physique de l'infiniment petit promet de tout bouleverser. Les télécommunications et la métrologie sont eux aussi à l'aube d'une « nouvelle ère technologique », permise par la deuxième révolution quantique.

Le défi du quantique, « c'est d'arriver à faire un pont entre le monde de l'infiniment petit et notre monde physique. On a désormais les technologies qui nous permettent de le faire » et « les manipulations de labo sont en train de basculer vers les prototypes », résume Marko Erman, directeur scientifique chez Thales. Les capteurs quantiques, comme ceux que fabrique le groupe industriel, font partie de ces innovations proches de la commercialisation - contrairement à l'ordinateur quantique, qui, il est utile de le rappeler, est encore trop peu puissant et sujet à de nombreux résultats erronés.

Alors, qu'est-ce qu'un « capteur quantique » ? C'est un capteur « qui utilise les propriétés de la physique quantique pour mesurer des ordres de grandeur avec une très grande précision », résume Patrick Berthet, directeur de recherche au CEA Saclay. En effet, les physiciens savent désormais manipuler l'état quantique des plus petites particules (atomes, photons, électrons…). Or, ces états quantiques sont sensibles à la moindre variation de l'environnement. C'est cette sensibilité extrême qui est exploitée dans les capteurs.

Capteurs extrêmement sensibles

« Un des domaines les plus actifs est l'interférométrie atomique, qui a débuté il y a au moins vingt ans », indique Patrick Bertet. Dans ces dispositifs, « on trouve une enceinte à vide où des atomes sont refroidis par laser ». Soumis à des températures très basses (proche du zéro absolu, soit -273 °C), les atomes peuvent être séparés en deux ondes, qui prennent deux chemins différents en même temps. « C'est le principe de superposition quantique », poursuit Patrick Bertet. Dans cet état, ils peuvent être utilisés pour mesurer la gravité, des accélérations, des rotations…

C'est la spécialité de la start-up Muquans, pépite française fondée en 2011, qui commercialise déjà un gravimètre quantique. Un appareil précieux pour obtenir des informations sur la composition du sol : détecter un réservoir d'eau, localiser une nappe de pétrole, étudier la structure interne du globe, anticiper l'éruption d'un volcan… Ce type de capteur pourrait aussi faciliter le travail des entreprises de construction en localisant des cavités ou des canalisations sous la chaussée sans avoir besoin de creuser. Des , fondées sur le même système, pourraient remiser nos bons vieux GPS au placard. « Avec ces outils, la précision d'atterrissage d'un vol Paris-New York pourra atteindre le mètre près », affirme Marko Erman, « c'est une sorte de GPS de grande précision, mais qui peut se passer du satellite, et donc être utilisé sous terre ou sous l'eau ». « On peut imaginer des applications militaires ou dans le spatial », avance-t-il.

Le temps lui-même n'échappe pas à la précision des capteurs quantiques. Les horloges atomiques nouvelle génération dériveront d'à peine une seconde sur… 15 milliards d'années. Ce qui équivaut au temps écoulé depuis le Big Bang. Qui a besoin d'une telle précision ? Les scientifiques, pour faire des expériences de physique fondamentale ou lancer des sondes dans l'espace. Mais aussi les entreprises, pour améliorer la synchronisation des systèmes de positionnement par satellite. Mieux, le quantique est une nouvelle oreille dressée vers l'Univers qui pourrait nous aider à détecter les ondes gravitationnelles ou percer les mystères de la matière noire.

Des diamants pour révolutionner l'IRM

Si vous donnez un diamant à un physicien quantique, il s'empressera d'y ajouter un défaut. C'est le principe des « centres NV dans le diamant », une autre famille très prometteuse de capteurs, fonctionnant à partir de microscopiques impuretés à l'intérieur de diamants de synthèse. « Ces défauts, qui sont formés à partir d'un atome azote et d'une lacune, sont très sensibles au champ magnétique », explique Patrick Berthet. Et c'est comme cela que l'on obtient un petit magnétomètre. Et pas n'importe lequel : celui-ci est capable de prendre des mesures « très locales, extrêmement proches d'une surface ».

« Ces détecteurs ultrasensibles vont vraisemblablement révolutionner le champ de l'IRM : ils permettront de concevoir des équipements plus petits, portables, et ouvriront la possibilité de détecter des constituants au niveau cellulaire, et pas seulement macroscopique, dans le corps humain ». La cartographie du cerveau pourra aussi être révolutionnée. « La différence, ce sera comme de passer d'une image floue à une image haute définition. Ce qui va permettre de faire des avancées considérables dans la compréhension des processus cognitifs et dans la détection des éventuels dysfonctionnements cognitifs ou des tumeurs », explique l'ingénieur Marko Erman.

Demain, Internet aussi sera quantique. « Les communications sont un des champs les plus avancés. Vous pouvez déjà acheter un système permettant de communiquer de façon sécurisée grâce au quantique », rapporte Nicolas Sangouard, chercheur au CEA, en citant la compagnie Suisse ID-Quantique. Celle-ci commercialise une solution permettant de sécuriser une liaison en transmettant la clé de cryptage via des photons. « Tout pirate qui voudrait intercepter cette clé discrètement sera vu, car les états des objets quantiques changent si on les observe », résume Marko Erman. Le hic est que le système ne fonctionne pas encore pour construire des réseaux à grande échelle. « Je reste malgré tout optimiste car il y a des efforts incroyables » dédiés à ce projet, veut croire Nicolas Sangouard.

Impossible d'imaginer les innombrables applications qui découleront de cette nouvelle révolution quantique. Il n'y a qu'à voir comment le laser, né de la physique quantique dans les années 1950, est devenu incontournable. « Entre le code-barres quand vous allez faire des courses, la chirurgie des yeux, les transistors, les transmissions optiques dans l'Internet mondial, la télémétrie… », énumère Marko Erman. Les physiciens qui l'ont inventé « n'auraient jamais pu imaginer tout cela, et non plus que cela coûterait un jour si peu cher ! »

A noter

La physique quantique est un outil de description de la matière à l'échelle microscopique (photons, électrons, atomes…). Elle repose sur cette dualité selon laquelle un objet peut se retrouver dans plusieurs états à la fois. Pour l'illustrer, le physicien Erwin Schrödinger avait imaginé une expérience fictive, restée célèbre, comprenant un chat enfermé dans une boîte avec une fiole de poison : dans cette situation, le chat est dans un état indéterminé, à la fois mort et vivant, jusqu'à ce que l'on ouvre la boîte.

La première révolution quantique a déjà eu lieu : c'est elle qui a permis d'inventer les transistors et tous les circuits intégrés des ordinateurs, le laser, la géolocalisation par satellite… Une nouvelle révolution est à l'oeuvre depuis les années 1990, où l'on a commencé à contrôler deux autres propriétés quantiques de la matière : l'intrication et la superposition d'état.

Quand on se méfie des ordinateurs quantiques avant même qu'ils arrivent…

« Si demain, je disposais d'un ordinateur quantique, je pourrais casser les chiffrements de type RSA utilisés aujourd'hui pour protéger les communications », explique Nicolas Sangouard. Pour se protéger de ces futurs assauts, les chercheurs ont déjà commencé à plancher sur une solution : la cryptographie post-quantique, un autre domaine en plein essor.

« Cette nouvelle cryptographie va devenir une norme sous un ou deux ans », indique Marko Erman. Cartes de crédit, passeports… Elle devrait être implémentée dans de nombreux endroits.

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