top of page
  • Photo du rédacteurThierry Bardy

« La crainte d'un déclin de la population française est infondée »



Marie Bellan et Nathalie Silbert


La population mondiale doit atteindre son pic dans les années 2080 selon les projections des Nations unies. Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Avant de parler de recul de la population mondiale, il faut déjà garder en tête qu'elle va continuer à augmenter pendant encore plusieurs décennies, pour atteindre 10,4 milliards en 2080 dans le scénario moyen des Nations unies. Ce sera un pic. Mais cela ne veut pas dire que la population mondiale va s'écrouler ensuite, tout cela est très progressif du fait de l'inertie démographique.

Un humain qui naît aujourd'hui sera probablement encore là en 2080, l'espérance de vie étant de 73 ans au niveau mondial à l'heure actuelle, et elle augmente d'année en année. Le stock de population rend les mouvements démographiques très lents et très progressifs. C'est ce qui rend les projections démographiques robustes à court terme, c'est-à-dire pour les trente prochaines années.

Les pays développés s'inquiètent de la chute de leur natalité, qu'en est-il dans le reste du monde ?

On s'alarme en Europe du vieillissement de la population, mais l'âge médian moyen dans le monde est de 31 ans. La population mondiale reste très jeune, avec beaucoup d'adultes en âge d'avoir des enfants. Le taux de fécondité mondial est de 2,3 enfants par femme, au-dessus du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1.

La baisse de la fécondité inquiète dans notre hémisphère, mais au niveau mondial, il y a deux fois plus de naissances que de décès aujourd'hui.

Pensez-vous, comme certains experts, que nous sommes trop nombreux ?

C'est quoi le bon nombre ? Et comment l'obtenir ? Par une baisse drastique de la fécondité et son maintien à un niveau très inférieur au seuil de remplacement ? C'est déjà ce qui se passe dans une grande partie du monde, les humains ayant fait le choix d'avoir peu d'enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité. Deux tiers de l'humanité vivent déjà dans un pays ou une région où la fécondité est inférieure à 2,1 enfants.

Imaginons que l'on fixe, de manière arbitraire, le chiffre de 4 milliards d'humains à la fin du siècle ; pour l'atteindre, il faudrait passer tout de suite, et dans tous les pays, à 1,3 enfant par femme, et en plus stopper les progrès de l'espérance de vie. C'est irréaliste ! D'ailleurs, les pays qui ont cherché à administrer de manière autoritaire leurs naissances ont échoué. On le voit en Chine. Malgré la politique de l'enfant unique, le recul de la fécondité dans le pays n'a pas été plus rapide qu'en Thaïlande sur la même période, alors que cette dernière n'a pas eu de telle politique.

En 2023, la Chine ne sera plus le pays le plus peuplé du monde. En quoi est-ce un symbole ?

Ce qui est surprenant, c'est la rapidité avec laquelle la population chinoise a atteint un pic et la vitesse avec laquelle elle reflue maintenant. A la fin du siècle, les Chinois pourraient être deux fois moins nombreux qu'aujourd'hui. La Chine a acté la fin de la politique de l'enfant unique en 2015. Et elle a institué le modèle de trois enfants par famille en 2021 pour relancer sa natalité. Sans effet pour l'instant, les Chinois n'ayant jamais eu aussi peu d'enfants.

La hausse ou la baisse de la fécondité dans un pays, ça ne se décrète pas. Les politiques ne peuvent avoir d'effets que modestes et à long terme, et à la condition d'aller dans le sens du souhait des individus.

Finalement, l'Afrique reste le continent le plus dynamique sur le plan démographique. Comment l'expliquez-vous ?

L'Afrique connaît elle aussi la transition démographique, mais plus tardivement que les autres continents. Sa fécondité baisse, mais moins vite que dans les pays d'Asie il y a quarante ou cinquante ans.

Cela dit, rappelons-nous que la transition démographique en France, et en Europe en général, s'est étalée sur deux siècles. En Asie et en Amérique latine, la fécondité a baissé beaucoup plus vite que ce qu'imaginaient les démographes il y a cinquante ans. Les progrès de l'instruction ont été pour beaucoup. Ils ne sont pas aussi rapides actuellement en Afrique. C'est aussi un continent où les conflits restent très fréquents.

Après avoir longtemps été la championne de la natalité, la France enregistre elle aussi un recul. Est-ce une tendance durable selon vous ?

En France, depuis la fin du baby-boom, l'indicateur de fécondité fluctue d'une période à l'autre entre 1,7 et 2 enfants. Dans les années 1980 et au début des années 1990, il avait tendance à baisser, jusqu'à atteindre un point bas à 1,66 enfant en 1994. Puis il a augmenté dans les années suivantes jusqu'à un point haut de 2,05 en 2010. Depuis il tend à nouveau à baisser.

Rien ne permet de dire pour l'instant qu'il va continuer à diminuer, rester identique ou remonter. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'il n'y a aucun signe qui nous permette de dire que le taux de fécondité puisse tomber très bas, à 1 enfant par femme par exemple. En France, les femmes mettent au monde autour de 2 enfants chacune depuis la fin du baby-boom. Ce qui évolue, c'est l'âge auquel elles les ont. En 2022, c'était 31 ans en moyenne. Au milieu des années 1970, 26,5 ans.

La France est-elle une exception en Europe ?

Non, dans les pays du Nord de l'Europe ou au Royaume-Uni, les femmes ont plutôt plus de 1,5 enfant, qui est la moyenne européenne. En revanche, les pays du Sud sont en dessous de la moyenne. Les femmes, dans ces pays, font le choix de retarder l'arrivée d'un enfant ou d'y renoncer car elles savent que la pression sociale va les pousser à arrêter de travailler pour s'en occuper. De plus, la politique familiale de pays comme l'Italie, l'Espagne ou le Portugal est moins généreuse. Ils n'y consacrent que 1,5 % du PIB contre 3,5 à 4 % du PIB en France ou dans les pays du Nord de l'Europe.

Ces derniers ont par ailleurs une approche différente. Leur politique vise d'abord à favoriser le travail des femmes en le rendant plus facilement conciliable avec la vie de famille. Elle promeut aussi l'égalité entre les hommes et les femmes, que ce soit au travail ou à la maison. C'est le facteur clef qui explique les variations de fécondité d'un pays à l'autre.

La France est confrontée à un vieillissement très net de sa population. Notre système de protection sociale peut-il résister à cette évolution ?

Je pense qu'il est à notre portée de maintenir notre système tout en l'adaptant pour qu'il assure des retraites décentes aux futurs retraités. Je m'inquiète davantage des 7 milliards d'habitants sur la planète qui vivent dans des pays sans système de retraite, ou presque, et qui risquent de finir leur vie dans la misère car ils ne pourront plus compter sur la solidarité familiale comme autrefois et la solidarité collective va mettre du temps à se mettre en place. C'est un défi immense.

En France, l'espérance de vie a atteint un point haut en 2014 et depuis elle n'augmente plus beaucoup. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a plusieurs raisons. Depuis 2014, la France a été confrontée à des épidémies de grippes hivernales meurtrières. Se sont rajoutés le Covid-19 en 2020 qui a continué de circuler en 2021 et 2022, et qui a entraîné un surcroît de décès, puis l'an dernier, plusieurs épisodes de canicule. In fine, l'espérance de vie en France n'a toujours pas récupéré son niveau de 2019.

En réalité, nous ne savons pas si, au-delà de ces événements épidémiques et climatiques, la tendance de fond, qui était à la hausse, a changé. En France, un décès sur trois est lié à des cancers, un décès sur cinq à une maladie cardiovasculaire. La hausse de l'espérance de vie est très liée à ces deux principales causes de décès.

Faut-il s'attendre à une accélération des décès ?

Oui. En raison de l'arrivée à des âges élevés des baby-boomers, le nombre annuel de décès en France va nettement augmenter au cours des prochaines décennies, même si l'espérance de vie continue de croître. Ils devraient égaler les naissances au milieu des années 2030 et les dépasser ensuite.

La population française devrait atteindre un pic en 2044 selon l'Insee. Doit-on aller plus loin dans notre politique nataliste ?

La France est le pays qui a la politique familiale la plus ancienne et c'est un sujet qui fait consensus chez les politiques et dans la société. La crainte d'un déclin de sa population est infondée. En 2022, elle comptait 68 millions d'habitants, elle en aura 69 millions en 2044 puis reviendra à 68 millions en 2070 dans le scénario moyen de l'Insee.

Face au vieillissement, l'immigration peut-elle être une solution pour maintenir notre système de protection sociale ?

Non, l'immigration ne peut pas être une solution de long terme pour ralentir le vieillissement de la population ou sauver notre système de protection sociale. Il est vrai que les immigrés sont en moyenne plus jeunes que la population native et que leur venue rajeunit la population. Mais eux aussi vieillissent !

Cela ne règle donc pas la question sauf à attirer en permanence des nouvelles vagues d'immigrés plus jeunes pour compenser le vieillissement de ceux arrivés auparavant ! Pour autant, l'immigration contribue à l'économie, elle permet notamment aux entreprises de trouver la main-d'oeuvre dont elles ont besoin.

Son parcours

Gilles Pison est démographe, professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle et conseiller de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined). Ancien rédacteur en chef de la revue « Populations et sociétés », il a notamment travaillé sur les changements démographiques en Afrique et les aspects sanitaires.

Son actualité

Gilles Pison vient de publier une nouvelle édition de son « Atlas mondial de la population ». Une publication qui balaie plusieurs thématiques liées à la démographie mondiale, notamment les vraies raisons des famines aujourd'hui, ou encore l'empreinte écologique des habitants dans chaque partie du monde.

4 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page