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Photo du rédacteurThierry Bardy

La guerre des talents est déclarée dans la tech



Florian Dèbes


Start-up, géants mondiaux, grands groupes, éditeurs de logiciels et entreprises de services numériques s'arrachent les rares professionnels du numérique. Ces sociétés soignent leur marque d'employeur sur le thème du télétravail, de l'environnement et de la formation.

C'est une étincelle sur un sujet brûlant. En annonçant en début de semaine qu'il comptait réaliser 10.000 embauches en cinq ans en Europe, Facebook a fait frémir les recruteurs européens du secteur de la tech qui sont déjà en pleine guerre des talents. « Ce n'est pas comme ça qu'on va aider les start-up françaises, c'est même suicidaire », s'indigne Michel Artières, le PDG et cofondateur d'Ateme, une société française. De fait, les plans de Facebook viendront puiser dans un vivier déjà limité sur lequel se disputent déjà start-up, géants mondiaux, grands groupes, éditeurs de logiciels et entreprises de services numériques.

Tous espèrent saisir les opportunités de l'accélération de la transformation numérique déclenchée par les confinements de l'année 2020. De l'e-commerce à l'installation de technologies pour le télétravail, du jeu vidéo au cloud, les marchés de la tech ont le vent en poupe. Mais les bras et les têtes manquent.

Le phénomène est mondial - il manquera 1,2 million d'ingénieurs informatiques en 2026 aux Etats-Unis - et il n'épargne pas la France. D'après Numeum, l'association représentative du secteur du numérique, il manque près de 10.000 ingénieurs informatiques sur le marché français, sur les 600.000 personnes employées par les éditeurs de logiciels et les entreprises de services numériques (SSII).

Une problématique qui s'intensifie

La problématique n'est pas nouvelle mais s'intensifie car il faut maintenant compter avec les embauches de développeurs escomptées par des sociétés plus traditionnelles, qui internalisent nombre de projets numériques devenus cruciaux, et par des start-up de plus en plus ambitieuses. Rien que dans l'édition de logiciel, 85 % des grands éditeurs de logiciels ont déjà ou vont embaucher en 2021, d'après une étude EY/Numeum. Mais la tâche s'avère de plus en plus complexe. Ainsi, 83 % de ces mêmes patrons disent éprouver des difficultés à recruter, contre 78 % l'an dernier.

Dans les sociétés de services numériques, la forte demande de leurs clients pour des nouvelles technologies a pu prendre de court les états-majors. Ainsi, elles se disputent particulièrement des experts en intégration des versions tout en ligne du logiciel d'entreprises SAP S4/Hana. « Le marché du service pour nos logiciels va croître de 8 % par an pendant les trois prochaines années, nous avons pour objectif de former 3.000 consultants supplémentaires », indique Frédéric Chauviré, le directeur général de SAP en France.

Dans cette guerre des talents, les grands groupes font souvent valoir leurs avantages en termes de rémunération. Mais la formule n'est pas miracle. Chez Thales, géant français du digital employant plus de 30.000 ingénieurs dans le monde, le taux d'attrition des ingénieurs (c'est-à-dire le pourcentage de ceux qui partent chaque année) est passé en quelques années de 5 à 15 %.

« Apprendre à vivre avec du mouvement »

En moyenne, un ingénieur reste désormais six ans au sein du groupe spécialisé dans les systèmes critiques. « Il faut apprendre à vivre avec du mouvement. On ne peut pas faire l'hypothèse qu'un ingénieur restera à vie », expliquait récemment Olivier Flous, vice-président chargé de l'ingénierie chez Thales, lors du Club Les Echos Transformation Digitale. Concurrencé par des start-up qui peuvent casser les codes, Thales a lancé il y a quatre ans une « digital factory », symbole pour déjà plus de 200 ingénieurs qu'un grand groupe peut être agile… s'il casse les silos.

De leur côté, les start-up cultivent leurs différences. De mieux en mieux financées, elles peuvent maintenant s'aligner sur les salaires. Internationales, elles vont chasser partout dans le monde pour débusquer les talents.

Dans toutes les sociétés, la guerre se joue sur la marque employeur. Mais même les sociétés habituées à l'exercice doivent revoir leur stratégie. Les profils tech sont nombreux à exiger le télétravail, parfois à 100 %. C'est à double tranchant : il devient possible d'embaucher un beau CV qui habite loin… mais il peut aussi se faire recruter par une société de l'autre bout du monde.

Chez les jeunes diplômés, les questions environnementales peuvent faire la différence. « Avant, on nous demandait des voitures de fonction diesel, maintenant on nous demande si l'entreprise pollue et ce qu'elle fait pour limiter ses émissions carbone », résume Karine Picard, la directrice générale en France d'Oracle.

L'accent est mis sur la formation permanente car les ingénieurs sont soucieux de leur employabilité. « Parfois quand on forme on perd des gens, mais je préfère me faire voler des gens que j'ai formés plutôt que de garder des gens que je n'ai pas formés. Les ingénieurs resteront si on leur propose de beaux projets et s'ils voient qu'on investit sur eux », explique Olivier Flous.

La solution pérenne viendra par ailleurs de la formation tous azimuts. Sur les 154.300 étudiants en école d'ingénieurs, 17.300 étaient inscrits dans le domaine informatique et sciences informatiques, soit une augmentation de 4,3 % en un an. Beaucoup a aussi été fait pour reconvertir des professionnels vers les nouveaux métiers du numérique. Mais ces efforts restent insuffisants pour le secteur qui dit faire face à une crise des vocations, notamment chez les femmes.

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