Propos recueillis par D. P.
L'Europe doit éviter l'écueil de la décroissance agricole en se donnant les moyens de produire mieux, affirme Luc Vernet, le fondateur de FarmEurope, un centre européen de réflexion sur les économies rurales, l'agriculture et les politiques alimentaires.
La stratégie « De la ferme à la fourchette » entrainera-t-elle des baisses de production ?
En l'état, oui, car la Commission met la charrue avant les boeufs. S'il faut réduire brutalement les pesticides et les fertilisants, faire plus de bio et de jachère sans investissement et innovation au préalable, les baisses de production seront inévitables et l'impact sur le climat sera nul, voire négatif. De plus, l'idée sous jacente à la stratégie que l'on va manger moins de viande et payer l'alimentation plus cher s'inscrit dans un horizon de 10 à 20 ans, certainement pas de 5 à 10 ans comme le reste de la stratégie, et pose de nombreuses questions, notamment sociales. Le problème, ce ne sont pas les objectifs de la stratégie, mais que le chemin est à ce stade mal calibré. L'Europe a un secteur agricole fragile, confronté à des retours sur investissement trop faibles. Plutôt que de commencer par de nouvelles contraintes, il faut accompagner, inciter, encourager les initiatives prises par le secteur lui-même, comme le label bascarbone.
N'oublions surtout pas qu'avec la nouvelle politique agricole commune (PAC), les aides aux revenus des agriculteurs vont diminuer. D'une certaine façon, on leur coupe les jambes, puis on leur dit « et maintenant, courez ! ». On les ramène en permanence aux aides de la PAC, qui deviennent prétexte à tout.
Comment rendre l'agriculture européenne plus durable sans l'affaiblir ?
Il faut un choc d'investissement et de diffusion de l'innovation préalables. On ne peut pas juste réduire du jour au lendemain le recours aux intrants, que personne n'utilise par plaisir. Les objectifs fixés par la Commission sont atteignables avec les connaissances actuelles. L'agriculture de précision est un levier puissant pour maintenir ou augmenter les rendements, tout en diminuant les émissions. Encore faut-il la rendre accessible à un plus grand nombre d'exploitants.
Il faut aussi investir dans la sélection génétique, valoriser le potentiel des sources d'énergies renouvelables offertes par l'agriculture. Il y a aujourd'hui une inconséquence de la Commission entre les ambitions affichées et les moyens réels mis en face. Cela va poser un problème politique sérieux aux Etats membres chargés de mettre en oeuvre la stratégie.
Pour les Verts, produire moins est inéluctable face aux enjeux climatiques…
On peut discuter des heures des études d'impact et de leurs biais, mais il s'en dégage un enseignement très clair : la logique de décroissance est une impasse pour les producteurs, les consommateurs et l'environnement. Rendre tout le monde plus pauvre est mauvais pour le climat. C'est par l'investissement, l'innovation et la croissance qu'on atteindra les objectifs climatiques, dans l'agriculture aussi.
Certains mettent en avant la bio comme solution à tous les problèmes. Mais n'oublions pas son exposition accrue aux aléas climatiques et son effet sur l'affectation des terres, ni que son équilibre tient à sa valorisation par les consommateurs, qu'il faut donc préserver. Une expansion à marche forcée de l'agriculture bio signerait sa perte.
L'Europe a un système agricole puissant et exportateur, y renoncer au profit de la décroissance serait une erreur stratégique et serait aussi irresponsable au regard des besoins alimentaires mondiaux. L'Europe doit prendre sa part dans la transition environnementale, assurer sa propre sécurité alimentaire et offrir des solutions porteuses d'espoir au-delà de nos frontières. Nous avons les technologies et le savoir-faire de nos agriculteurs. Plutôt que de les caricaturer, mobilisons l'Europe autour d'un projet positif tourné vers des solutions crédibles et proches du terrain.
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