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Photo du rédacteurThierry Bardy

La quête de sens des jeunes déboussole les entreprises



Julia Lemarchand


Après les paroles, les actes ? Au-delà de la pénurie d'ingénieurs, la menace de désertion des étudiants des grandes écoles des grands groupes devient de plus en plus palpable.

« On sent bien que les DRH paniquent. » La phrase a été lâchée lundi à l'issue de la projection de « Rupture(s) ». Ce documentaire réalisé par Arthur Gosset, 24 ans, fraîchement diplômé de Centrale Nantes, retrace l'histoire de six jeunes de grandes écoles qui, comme lui, ont préféré refuser la carrière qui leur était promise pour trouver du sens. Exit le beau nom sur le CV, la voiture de fonction, le gros salaire.

Des jeunes « en rupture », un phénomène anecdotique ? « Environ 30 % de ma promotion correspond à ce profil. Au-delà, c'est une écrasante majorité qui aspire à un autre modèle de réussite », explique le jeune homme. « J'ai refusé des jobs en or, comme un CDI chez Google », enchaîne en guise de présentation Chloé Schemoul, diplômée de l'ESCP, créatrice de la Masterclass « Devenir un Talent Utile » et autrice du « Manuel de l'affranchi : les étapes à suivre pour une réorientation professionnelle réussie » qu'elle a écrit après avoir passé plus d'un an chez Carrefour, notamment au sein d'un « graduate programme ».

Ce type de contrats pour futurs leaders s'est multiplié ces dernières années dans les grands groupes, proposant une diversité de missions, un accompagnement sur-mesure et une ascension éclair, selon le site dédié de l'Edhec NewGen Talent Center. Au total, 630 entreprises en Europe proposent 1.300 graduate programmes, qui ne sont pourtant plus l'arme de fidélisation massive qu'avaient imaginée les grands groupes.

Des jeunes talents de plus en plus exigeants en matière d'engagement des acteurs économiques et en quête de sens à l'échelle individuelle, c'est ce que souligne le dernier baromètre « Talents, ce qu'ils attendent de leur emploi » réalisé en juin par le BCG, la Conférence des grandes écoles et Ipsos auprès de plus de 2.000 étudiants et diplômés des grandes écoles. Quitte à faire des concessions : pour un emploi porteur de sens, 60 % des talents sont prêts à prendre un poste plus précaire, et les jeunes actifs sont prêts à baisser leur salaire de 12 % en moyenne.

Comment rester sourd à « La Révolte », titre du livre de Marine Miller - journaliste au « Monde Campus » -, sous-titré « Enquête sur les jeunes élites face au défi écologique » (éd. du Seuil) publié mi-octobre ? « L'électrochoc pour les grandes entreprises et institutions mondiales s'est produit en 2018 avec les grèves scolaires, les marches pour le climat, les actions de désobéissance civile et la menace d'une désertion des jeunes diplômés à haut potentiel des grands groupes industriels avec le 'Manifeste pour un réveil écologique' signé par plus de 32.000 étudiants en quelques mois », rembobine la journaliste, qui assure que les DRH comme les grandes écoles n'ont « pas fini de les entendre ».

Montrer patte blanche

Une bonne part de ces jeunes sont aussi prêts à construire avec et pas forcément à côté des entreprises. En 2020, de nouveaux groupes d'Alumni sont nés pour accompagner la transition de ces entreprises, à l'instar de « Essec Alumni Transition » qui rassemble 6.000 anciens. Idem chez Audencia et Sciences Po. De son côté, l'association Alumni for the Planet, qui rassemble les alumni de tous horizons, aide ses 3.500 membres à lancer un bilan écologique dans leur entreprise.

Les entreprises ont compris qu'il y avait péril en la demeure. En 2019, Patrick Pouyanné, PDG de Total, déclarait déjà que sa « principale peur » était de ne pas être en mesure d'« attirer les talents » pour développer les énergies vertes. Les révélations, le 20 octobre, d'une étude qui accuse Total d'avoir longtemps minimisé l'impact de ses activités sur le changement climatique n'aideront pas le groupe à réaliser son objectif de neutralité carbone en 2050.


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