Muryel Jacque
Dans un monde plus chaud de 1,5 °C, la planète sera confrontée à des aléas multiples et inéluctables au cours des vingt prochaines années, alertent les experts climat de l'ONU dans un rapport publié lundi. Certains impacts sur les populations et les écosystèmes sont d'ores et déjà irréversibles.
Nature, êtres humains, infrastructures… Les effets « dangereux et généralisés » causés par le changement climatique induit par l'homme n'épargnent rien ni personne, ni même aucune région du monde. Et ce, malgré les efforts pour réduire les risques. Le message du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui a publié lundi le deuxième volet de son sixième rapport, est plus glaçant et plus tangible que jamais. Le réchauffement est « une menace grave et grandissante pour notre bien-être et pour une planète en bonne santé », avertit le président de l'institution onusienne, Hoesung Lee, en soulignant que ce rapport « reconnaît l'interdépendance entre le climat, la biodiversité et les hommes ». Ses conclusions « seront d'une importance capitale pour les décideurs du monde entier », avait-il assuré mi-février.
Alors que la planète a gagné 1,1 °C en moyenne depuis l'ère préindustrielle, les phénomènes climatiques extrêmes ont d'ores et déjà entraîné des impacts « irréversibles » car les systèmes naturels et humains sont poussés « au-delà de leur capacité à s'adapter », alertent les 270 coauteurs qui ont passé au crible la littérature scientifique la plus avancée. Avec un mercure qui va continuer à monter, ils seront encore plus fréquents et plus intenses, générant en outre des « risques en cascade » de plus en plus difficiles à gérer.
Stress de chaleur mortel
Ainsi, les sécheresses, les inondations et les vagues de chaleur exposent les animaux et les plantes à des conditions climatiques qui n'ont pas été expérimentées « depuis au moins des dizaines de milliers d'années ». Une large partie des 3,4 milliards de personnes vivant dans les zones rurales sont vulnérables au changement climatique. Il est aussi une source croissante de stress pour nourrir la planète, avise Delphine Deryng, chercheuse invitée à l'Université de Humboldt et l'un des coauteurs du rapport. « Nous avons désormais une compréhension détaillée de la complexité des effets du changement climatique qui touchent tous les aspects du système alimentaire, de la production agricole et de la qualité nutritive des cultures à la productivité de la main-d'oeuvre et aux prix des aliments pour les ménages », explique-t-elle.
Selon le GIEC, même dans un monde à faibles émissions de gaz à effet de serre, soit un réchauffement inférieur à 1,6 °C d'ici à 2100, 8 % des terres cultivables seront « climatiquement inadaptées ». Ce rapport « est un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l'échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques », a réagi lundi le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, désignant comme « coupables », les grands pays émetteurs.
Dans un premier volet publié en août dernier, le GIEC estimait que le seuil de 1,5 °C de réchauffement du globe - l'objectif le plus ambitieux de l'Accord de Paris -, serait dépassé au cours des dix prochaines années, soit bien plus tôt qu'escompté.
Les experts du GIEC le répètent haut et fort : les impacts continueront à augmenter si les réductions d'émissions drastiques sont encore retardées. Avec des implications profondes pour tous les aspects de la vie humaine : les ressources alimentaires et en eau, les villes, les infrastructures et les économies aussi bien que la santé et le bien-être seront bouleversés. Les scientifiques estiment par exemple que les enfants âgés de dix ans ou moins en 2020 subiront près de quatre fois plus d'événements extrêmes avec un réchauffement de 1,5 °C en 2100, et cinq fois plus s'il atteint 3 °C. Au niveau mondial, le pourcentage de la population exposée à un stress de chaleur mortel passerait de 30 % actuellement à une fourchette comprise entre 48 % ou 76 % d'ici à la fin du siècle en fonction des scénarios. Quand 800 millions à 3 milliards connaîtront des pénuries d'eau chroniques causées par les sécheresses si le mercure monte à 2 °C.
Ce nouveau cri d'alerte du GIEC est sans doute le plus fort jamais émis. « Malgré trente ans d'existence, nous n'avons pas vu de politiques suffisantes pour éviter les dégâts que nous observons, décrypte Wolfgang Cramer directeur de recherche au CNRS et coauteur du rapport. Ce que nous avons présenté comme des risques il y a quinze ans sont aujourd'hui des faits avérés. »
Mais, assure le GIEC, ces risques peuvent être réduits si le monde renforce de manière urgente ses efforts d'adaptation, en même temps qu'il baisse drastiquement ses émissions. Le temps est compté : l'efficacité de ce « développement résilient au changement climatique », comme l'a nommé l'institution, baissera à mesure que la température augmente. Hoesung Lee souligne « l'urgence d'une action immédiate et plus ambitieuse. [...] Les demi-mesures ne sont plus une option. »
Le GIEC rappelle que, pour sécuriser un futur viable, il est essentiel de protéger et renforcer la nature et que ces solutions, souvent, coûtent peu cher. « Des écosystèmes en bonne santé sont plus résilients au changement climatique », appuie Hans-Otto Pörtner, le coprésident du groupe de travail qui a rédigé ce deuxième volet.
Le rôle clé des villes
Les villes, où vivront près de 70 % de la population d'ici à 2050, ont un rôle crucial à jouer, avec la construction d'immeubles verts, des approvisionnements fiables en eau et en énergies renouvelables ou des systèmes de transport reliant zones urbaines et rurales. Mais, si 170 régions au moins et de nombreuses villes ont inclus l'adaptation dans leur politique climat, l'action reste largement insuffisante.
Particulièrement exposées, les régions côtières doivent également mieux se préparer face à la montée des eaux. Selon le GIEC, un milliard de personnes environ pourraient vivre dans des zones menacées d'ici à 2050. « On devrait déjà aujourd'hui être en train de planifier l'adaptation aux submersions à marée haute qui seront de plus en plus fréquentes entre 2030 et 2050 », comme dans les ports, explique Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM). Au-delà de 2 °C de réchauffement, « l'accélération de l'élévation du niveau de la mer ne pourra plus être évitée », poursuit-il, il faudrait donc également anticiper le fait que le taux sera de 0,6 ou 0,8 voire 1 cm par an après 2050, et réfléchir dès maintenant aux mesures à mettre en place à ce moment-là.
Le GIEC met cependant en garde : un « développement résilient au changement climatique » implique tout le monde. Pas uniquement les décideurs, mais chaque membre d'un gouvernement, de la société civile et du secteur privé.
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