R. Ba.
Alors que la 5G n'a pas produit de « killer app » et que la 6G pointe le bout de son nez, certaines voix dans les télécoms questionnent la nécessité d'avoir une nouvelle génération de réseau mobile tous les dix ans.
C'est une position radicale, certes encore minoritaire, mais qui monte dans les télécoms, à deux mois du Mobile World Congress de Barcelone, le rendez-vous mondial du secteur. Alors que les travaux préparatifs pour la 6G, qui devrait arriver vers 2030, ont déjà commencé en Europe et dans le reste du monde, certaines voix dans les télécoms commencent à questionner ouvertement la nécessité d'avoir une nouvelle génération de réseau mobile tous les dix ans.
Car depuis l'invention du GSM en 1982, le support historique de la 2G, l'industrie du mobile a toujours fonctionné de cette façon, avec un changement de technologie par décennie. Après la 2G et les tout premiers téléphones portables à antenne, la 3G, au début des années 2000, a ensuite permis l'essor des SMS. Mais c'est avec la 4G, vers 2010, que la véritable révolution est arrivée.
« Revenir sur terre »
Sans elle, YouTube, Netflix, FaceTime, Zoom ou Teams ne seraient pas là. Le problème est que la 5G, qui lui a succédé en 2018, n'a pas généré de « killer app » similaire. Ses grandes promesses, comme le métavers ou les usines 4.0 hyperconnectées, ne se sont pas encore matérialisées - du moins en Europe.
Face à ce constat, la position orthodoxe qui entend supprimer les « G » au profit d'une innovation plus en continu, sans Grand Soir, prend de l'ampleur. « C'est une voix que l'on commence à entendre dans l'industrie, confirme Jean-Baptiste Bearez, associé au BCG chargé des télécoms, des médias et de la technologie. A chaque nouvelle génération, le secteur annonce une révolution, or elle n'a pas lieu à chaque fois. Cela crée des attentes non satisfaites. Désormais, l'industrie des télécoms revient peu à peu sur terre. »
En France, cette ligne est notamment incarnée par Bruno Zerbib, le nouveau patron de la technologie et de l'innovation chez Orange.« En passant de la 3G à la 4G, le monde a gagné YouTube et la visioconférence. Pour le moment, la 5G a surtout permis de désengorger les réseaux 4G, expliquait récemment le 'CTO' du groupe. Il faut que la 6G soit une progression continue, mais pas forcément un saut générationnel. »
11 milliards d'euros depuis 2020
Au Royaume-Uni, Vodafone, BT ou O2 ont aussi tenu des propos similaires. « Il faut arrêter de parler des 5G, 6G, 7G et de tout autre 'G' », estimait ainsi au printemps Kirsty Bright, directrice de l'innovation réseau chez O2, citée par le média spécialisé Light Reading. « Je ne pense pas que notre façon d'avancer, avec des cycles de dix ans et des performances dix fois supérieures par rapport au cycle précédent […] soit un modèle soutenable », abondait aussi Maria Cuevas, directrice de la recherche chez BT, lors d'un forum sur la 6G organisé à l'université de Surrey.
Si certains opérateurs voient les choses d'un autre oeil, c'est aussi qu'ils devront dépenser des milliards pour acheter de nouvelles antennes 6G - comme à chaque nouvelle génération. Depuis 2020, année de lancement de la 5G en France, les opérateurs français ont investi en cumulé presque 11 milliards d'euros (hors achat des fréquences) dans leurs réseaux mobiles, selon la FFTélécoms.
Une simple « mise à jour »
Or, en face, leurs revenus totaux n'ont que légèrement progressé (+1,6 % en 2022, à 32 milliards d'euros, selon l'Arcep) malgré une hausse du chiffre d'affaires mobile (+4,1 %). Face à cela, certains opérateurs plaident pour que la 6G fonctionne davantage grâce à des logiciels, sur les antennes 5G existantes : une simple « mise à jour » qui permettrait de réduire les coûts…
A cela s'ajoute l'argument environnemental. Les opérateurs doivent composer avec des clients de plus en plus soucieux de leur bilan carbone. Or, pour avoir la 6G, les consommateurs devront acheter de nouveaux smartphones compatibles. Pour les abonnés les plus écoresponsables, la 6G pourrait ainsi apparaître comme une fuite en avant alors que les besoins actuels sont amplement couverts par la 4G-5G. Pour rappel, les terminaux représentent plus de 80 % de l'impact du numérique en France, selon un rapport du Sénat.
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