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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

Le grand blues des scientifiques du climat

Anne Feitz

Alors que les conséquences du réchauffement commencent à se faire sentir, certains climatologues ont été soumis cet été à un déferlement de haine sur les réseaux sociaux.

Il neige dans les Alpes en ce début du mois de septembre, et à nouveau, le hashtag #rechauffementclimatiquemoncul fleurit sur les réseaux sociaux. Et à nouveau, les climatologues doivent reprendre leur bâton de pèlerin pour expliquer que, « non, l'évolution générale du climat n'a rien à voir avec la variabilité naturelle de la météo ».

De quoi céder au découragement ? La tentation n'est pas loin. « On a parfois l'impression d'un grand bond en arrière, à devoir revenir, encore et encore, sur des choses connues… », soupire la géographe Magali Reghezza-Zitt, membre du Haut Conseil pour le climat.

Il faut dire que l'été a été rude pour les scientifiques du climat, après un été 2022 déjà compliqué. Sur Twitter devenu X, à la faveur des pluies estivales, certains ont été assaillis par des torrents de messages d'insultes, voire de haine.

Très médiatisés, l'agroclimatologue Serge Zaka et le climatologue Christophe Cassou, chercheur au CNRS et auteur du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), en ont témoigné. Ce dernier a même suspendu son compte Twitter début août (il vient tout juste de le rétablir), évoquant la « charge mentale des chercheurs », et sa « révolte » face à la « remise en cause de leur intégrité professionnelle et déontologique ».

Robert Vautard a lui aussi décidé de quitter Twitter fin août. « Il y a eu une véritable évolution ces derniers mois : les algorithmes, l'absence de modération, tirent la conversation vers le bas », explique le climatologue, chercheur au CEA, élu fin juillet pour remplacer Valérie Masson-Delmotte à la tête d'un groupe de travail du GIEC. « C'était un outil intéressant pour échanger avec des collègues sur des informations scientifiques, mais je n'y trouve plus mon compte ».

Faire face à l'ignorance ou au déni

En partie liée au rachat de l'oiseau bleu par Elon Musk, qui a rétabli des comptes interdits et supprimé la possibilité de blocage, ce harcèlement s'explique aussi par un regain de climatoscepticisme, dont témoigne la dernière enquête Obs'COP (réalisée par Ipsos pour EDF) publiée fin juillet : il concerne 37 % des Français dont 8 % nient l'existence du réchauffement climatique et 29 % ne lui reconnaissent pas une origine humaine. Un taux en hausse de 8 points en trois ans.

Une évolution que les chercheurs ont du mal à encaisser. « Quand je vois qu'aux Etats-Unis, lors du premier débat entre candidats républicains potentiels, aucun ne s'est déclaré convaincu que le réchauffement climatique est lié aux activités humaines… ça me stupéfie », avoue François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, lui aussi auteur du GIEC.

« Selon les jours, je me sens en colère, découragée, impuissante… », réagit de son côté Magali Reghezza-Zitt. « Les faits scientifiques sont démontrés, on sait comment cela va se terminer. Et au lieu de se battre pour mettre en place des solutions, c'est comme si on devait redémontrer que la Terre est ronde ! »

Le paléoclimatologue Jean Jouzel avoue lui aussi des moments de découragement. Son débat avec le président de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, il y a quelques jours à l'université d'été du Medef, lui a laissé un goût amer. «J'ai expliqué pourquoi il était urgent d'arrêter d'investir dans les énergies fossiles : il ne m'a pas dit que j'avais tort, mais il m'a expliqué pourquoi il allait continuer comme avant. A la fin, j'en ai marre...», raconte dans une interview aux « Echos » celui qui a figuré parmi les premiers auteurs du GIEC, à la fin des années 1980.

Face à l'ignorance ou au déni, les climatologues sont nombreux à s'interroger sur leur rôle et leur devoir de réserve. Beaucoup se disent fatigués, découragés de voir que les faits scientifiques peuvent encore être considérés comme des opinions.

« Nous sommes tous d'accord sur les faits, mais nous divergeons sur les moyens d'agir », décrypte François Gemenne. « Or si nous devenons militants, il y a un vrai risque d'abîmer la crédibilité du message scientifique ». Le chercheur belge a pourtant soutenu Benoît Hamon en 2017, puis Yannick Jadot en 2022. « Je ne sors de ma réserve que lors des élections. Et je m'interdis alors toute activité scientifique pour ne pas brouiller le message », explique-t-il.

Comment lutter contre ce sentiment d'impuissance qui les submerge parfois ? Dans une interview récente au « Monde », Valérie Masson-Delmotte a évoqué un « maelström d'émotions », le « sentiment de culpabilité de ne pas faire assez », « la colère devant l'indifférence ou le déni ». Magali Reghezza-Zitt ne dit pas autre chose. « C'est difficile de voir des gens en pleurs après une conférence », témoigne-t-elle.

Pour autant, les scientifiques ne baissent pas les bras, refusant de céder au défaitisme - et à l'écoanxiété. Robert Vautard s'est inscrit sur LinkedIn, « pour transmettre des informations aux décideurs, tournés vers les solutions et l'action ». « Je garde espoir. La société évolue. Trop lentement, pas assez, mais on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien ! », dit-il, évoquant la montée en puissance des énergies renouvelables ou des enjeux liés à l'eau.

D'autres, comme Magali Reghezza-Zitt, restent actifs sur les médias grand public, même si c'est parfois difficile. « Les chercheurs sont par nature réservés, pudiques, émotifs : ils se font violence pour intervenir à la radio ou à la télévision », affirme-t-elle. « Mais nous en sommes convaincus, vulgariser et transmettre les résultats de nos travaux fait partie intégrante de notre mission ».


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