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Photo du rédacteurThierry Bardy

Le métavers, un défi à double tranchant pour les opérateurs télécoms



Raphaël Balenieri Envoyés spéciaux à Barcelone Sébastien Dumoulin Envoyés spéciaux à Barcelone


Le nouvel Internet en 3D promis par Facebook était scruté de près par tous les opérateurs au Mobile World Congress. Certains y voient une opportunité de nouveaux usages et de revenus afférents, d'autres craignent de revivre l'accaparement des réseaux par des géants ne contribuant pas à leur financement.

Pour assister à un concert de K-pop, plus besoin d'aller à Séoul ! Un simple casque de réalité virtuelle à Barcelone suffit. Depuis lundi, la file d'attente grossit chaque jour devant le stand de l'opérateur SK Telecom au Mobile World Congress. Le géant sud-coréen a profité du Salon mondial des télécoms pour présenter un avant-goût du métavers, ce nouvel Internet immersif sur lequel misent tous les acteurs de la tech, Facebook et Microsoft en tête.

Casque sur les yeux, manettes à la main, le visiteur est propulsé dans une boule à facette virtuelle. Au milieu, une Coréenne en 3D en tailleur Chanel se déhanche parmi une multitude d'avatars courant dans tous les sens. L'utilisateur peut se déplacer, danser, et attraper d'un mouvement de gâchette des « smileys ». Les images sont encore très pixélisées, et gare à la nausée… C'est encore pire quelques mètres plus loin, où un gigantesque bras articulé, digne de la Foire du Trône, emmène les visiteurs - toujours casqués - dans un voyage virtuel à bord d'un drone dans un paysage futuriste.

Un pavé dans la mare

Si ces premières expérimentations sont présentées sur les stands des grands opérateurs, ce n'est pas un hasard. « Le métavers est très dépendant de la connectivité. Seule la 5G le rendra possible », explique Ronnie Vasishta, le monsieur « télécoms » du géant américain des semi-conducteurs Nvidia. Ce nouvel Internet pourrait même être l'une des applications les plus évidentes de la 5G.

Mais s'agira-t-il d'une source de revenus supplémentaires pour les « telcos » ou, au contraire, d'un nouveau mur d'investissement dans les réseaux ? « On peut se demander si cela ne va pas être juste un piège pour les télécoms », pointe Roland Montagne, analyste principal au think tank Idate. Selon Credit Suisse, le trafic sur les réseaux pourrait être multiplié par 24 en dix ans du seul fait du métavers. Face à l'explosion attendue, certains doutent déjà de la capacité des réseaux actuels à pouvoir donner vie au métavers. A la veille même du Mobile World Congress, Meta (ex-Facebook) a jeté un pavé dans la mare en appelant l'industrie mobile à construire des réseaux bien plus puissants. Faute de quoi, « l'industrie des télécoms aura du mal à acheminer ces services très immersifs », alerte Chris Weasler, le représentant de Meta Connectivity.

Facebook pointe deux problèmes. Le métavers va nécessiter une latence (temps de réponse) cinq fois plus rapide. « Pour les appels vidéos, 150 millisecondes sont suffisantes mais pour la réalité virtuelle, il faut atteindre 30 millisecondes », rappelle Chris Weasler. Par ailleurs, les réseaux actuels ne sont pas conçus pour pouvoir envoyer autant de données que d'en recevoir. Avec le métavers, la bande passante va devoir devenir davantage symétrique. Ces changements imposeront notamment d'installer des petits data centers au plus près des réseaux (« edge computing »), ce qui se traduira par des investissements supplémentaires pour les opérateurs.

Les opérateurs, eux, affirment le contraire. « La 5G sera bien suffisante, croyez-moi ! » lance Rima Qureshi, la patronne de la stratégie de Verizon, pour qui la priorité est aujourd'hui de définir de nouveaux modèles d'affaires et de partage des revenus avec les grands fournisseurs de contenus. « La chaîne de valeur est en train de changer, et chacun doit avoir une part du gâteau », plaide la dirigeante. « Le vrai métavers n'arrivera que dans cinq à dix ans. D'ici là, nos réseaux se seront adaptés aux usages avec une bonne connectivité. Ils ont déjà bien tenu pendant la pandémie ! assure Karine Dussert-Sarthe, de chez Orange Innovation. Et les premières expériences immersives marchent déjà bien en 5G. »

Neutralité du Net

Les opérateurs ne sont pas pressés. Car ils redoutent de voir la situation actuelle empirer. Depuis la pandémie, le poids des géants du streaming comme Netflix et YouTube sur les réseaux télécoms n'a cessé d'augmenter. A certains moments de la journée, ils monopolisent jusqu'à 70 % de la bande passante, alors même qu'ils ne contribuent pas au financement des infrastructures fixes et mobiles.

Il y a deux semaines, les dirigeants d'Orange, Telefónica, Deutsche Telekom et Vodafone avaient appelé les régulateurs européens dans une lettre ouverte à s'emparer du problème. Les quatre géants européens demandent que le « fardeau financier » soit mieux partagé entre les télécoms et les Gafam. Ce qui nécessiterait une révision de la neutralité du Net. Cette doctrine oblige les opérateurs à distribuer tous les contenus sur le Web sans aucune discrimination. Et les empêche d'exiger une rémunération de la part des géants de la tech. En attendant de favoriser les échanges virtuels, le métavers rallume les divisions bien réelles entre acteurs du contenu et des réseaux.

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