Raphaël Balenieri
L'Ofcom, le gendarme de l'audiovisuel et des télécoms, a ouvert une consultation publique pour assouplir le principe de la neutralité. Objectif : permettre aux opérateurs de proposer des services sur mesure pour mieux tenir tête aux Gafa.
Alors que le nouveau Premier ministre, Rishi Sunak, vient de prendre les rênes du Royaume-Uni, c'est un débat majeur que vient de lancer l'Ofcom, le régulateur britannique de l'audiovisuel et des télécoms. Le gendarme du secteur a ouvert, vendredi, une consultation publique pour assouplir la neutralité du Net, un principe sacro-saint qui protège contre le risque d'un Internet « à plusieurs vitesses ». Objectif : renforcer les opérateurs télécoms face aux géants de la tech comme Netflix, en leur permettant de lancer des services différenciés. Cette consultation doit durer jusqu'en janvier.
Popularisée en 2003 par Tim Wu, un professeur de droit de Columbia à New York, la neutralité du Net impose que chaque internaute puisse accéder à tous les contenus de son choix, dans les mêmes conditions, peu importe son opérateur ou la technologie choisie. Ce principe est protégé par le droit européen depuis 2016. Au Royaume-Uni, l'Ofcom est chargé de son application. Mais depuis, la croissance phénoménale des réseaux sociaux et des plateformes de streaming pousse les régulateurs à ouvrir le débat afin que les opérateurs puissent se battre à armes égales. L'Union européenne va aussi lancer, début 2023, une consultation sur le futur des réseaux télécoms. A ce stade, cependant, seuls quelques pays (comme les Etats-Unis en 2017 ou, plus récemment, la Corée du Sud) ont aménagé la neutralité du Net.
Contribution financière
Pourtant, les « telcos » le répètent à l'envi : en soirée, les films ou les séries « streamées » utilisent jusqu'à 70 % de la bande passante. Or, les plateformes ne contribuent pas au financement des réseaux fixes et mobiles qui se chiffrent en milliards. En France, Netflix, Google, Akamai, Facebook et Amazon représentent à eux seuls 51 % du trafic des opérateurs, selon l'Arcep, le régulateur des télécoms. Dans ce contexte, de nombreux opérateurs plaident pour une contribution financière des Gafa. L'Ofcom, lui, est plus prudent : le régulateur dit ne pas avoir « suffisamment d'éléments à ce stade » prouvant qu'une telle contribution « serait nécessaire ».
Pour l'Ofcom, mieux vaut donc revoir le principe de la neutralité du Net. « Nous voulons faire en sorte que [les opérateurs] puissent aussi innover […] et protéger leurs réseaux quand les niveaux de trafic testent leurs limites. Nous pensons que cela sera bénéfique pour les consommateurs », estime Selina Chadha, de l'Ofcom. Ainsi, les clients pourraient choisir de payer moins cher pour un forfait fixe et mobile offrant moins de débit, ou inversement, indépendamment du nombre de gigaoctets inclus. L'Ofcom évoque aussi les packages « zero rating ». Dans ce cas-là, les clients ne paieraient pas pour utiliser certains services publics, comme les appels vers le NHS, le système de santé public.
Pas de décision avant l'automne 2023
L'initiative britannique fera-t-elle boule de neige ? « L'Ofcom est très regardée par tous les régulateurs européens », rappelle Paolo Pescatore, analyste télécoms indépendant basé au Royaume-Uni. Pour autant, le régulateur ne peut que lancer le débat : tout changement à la neutralité du Net passera nécessairement par la loi. Et la décision en tant que telle de l'Ofcom n'interviendra pas avant l'automne 2023.
Dans tous les cas, cette consultation confirme la volonté du Royaume-Uni de regarder les télécoms avec un oeil neuf. En février, l'Ofcom avait déjà surpris en disant qu'elle examinerait le projet de fusion entre Vodafone UK et Three en fonction des conséquences pour le marché, et non du nombre de concurrents restants. Ce faisant, elle s'était écartée de l'idée du « chiffre magique » dans les télécoms, selon laquelle un nombre suffisant d'opérateurs est nécessaire à un équilibre entre compétitivité-prix et innovation.
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