Fabrice Bonnifet
Qui aurait pu prévoir la crise climatique ? » La question hors-sol du premier magistrat de France à l'occasion de ses voeux restera dans l'histoire. Quid de sa déclinaison dans le monde des affaires ? Malgré les avertissements des scientifiques depuis soixante-dix ans, les entreprises ont-elles anticipé leurs impacts sur le climat et les conséquences des bouleversements en cours en matière de risques physiques et géopolitiques sur leurs activités ?
Malgré les connaissances accumulées et la diffusion de six rapports du GIEC en trente-cinq ans, force est de reconnaître que les responsables RSE ont échoué à faire prendre conscience de l'urgence climatique aux décideurs. Or chaque jour d'inaction rapproche l'humanité de seuils d'emballement qui rendront impossible l'adaptation de l'économie. Il est grand temps de remettre en cause les fausses certitudes sur la façon d'appréhender un développement plus durable. Dans ce contexte anxiogène pour les uns et fataliste pour les autres, les professionnels de la RSE ont la responsabilité de faire évoluer leur mission.
Concrètement, s'ils veulent agir en toute loyauté envers leurs entreprises, il est temps pour les responsables du développement durable de dire la vérité. Non, on ne négocie pas avec l'évidence des faits scientifiques, qui ne peut faire l'objet ni d'un consensus ni d'un compromis. Oui, il est possible de créer de la valeur autrement, en respectant les limites planétaires et les communautés humaines. Mais cela nécessite des transformations en profondeur dans la façon d'entreprendre. Désormais les responsables RSE doivent user de leur influence pour convaincre le management de :reconfigurer les modèles d'affaires des entreprises pour les rendre contributifs et à un caractère lucratif maîtrisé, compatibles avec une trajectoire de décarbonation net zéro - bien avant 2050 ;avoir la lucidité d'anticiper les renoncements pour éviter d'entretenir l'intolérable et l'inutile ;consentir à collaborer avec partenaires, clients et concurrents sur les alternatives à la production linéaire ;utiliser le Green Deal comme levier positif pour questionner des pratiques de production qui ne devraient même plus exister ;déployer un système de management fondé sur confiance, collaboration et solidarité pour sortir de la défiance des organisations pyramidales et permettre au génie humain créatif de se concentrer sur l'essentiel : la satisfaction du client avec des solutions commerciales sans impacts négatifs ;évaluer la performance avec honnêteté et sincérité, en déployant une comptabilité multicapital, la seule façon de compter ce que l'on gagne, en prenant en compte de ce que l'on doit à la nature.
Pour commencer, les responsables RSE doivent cesser de cautionner les discours convenus sur l'illusion d'un équilibre des trois cercles du développement durable : à la première crise venue, l'environnement et le social servent systématiquement de variable d'ajustement au « back to basics » de l'économie du court terme. Faire croire aux fables de la croissance verte, bleue, qualitative, etc. n'est pas tenable non plus, puisque l'on ne peut produire toujours plus, même beaucoup mieux, avec de moins en moins de pressions sur les ressources et écosystèmes. Il est nécessaire également de dénoncer l'autosatisfaction de ceux qui voient la transition partout, alors qu'elle n'a pas commencé ni même jamais existé : depuis qu'elle est théoriquement en cours, dans les faits, nous ne remplaçons rien, nous ne faisons qu'empiler du mieux sur du pire.
Sept ans après l'accord de Paris, les émissions de GES explosent toujours, et nombre de limites planétaires sont largement dépassées. Pour les professionnels de la RSE, avoir le courage de soutenir ces principes de bon sens auprès de sa hiérarchie, de ses pairs et de son écosystème, c'est acter de ne pas entretenir le mythe d'un monde sans fin et mettre enfin l'économie au service du vivant dont nous faisons partie.
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