Muryel Jacque
Observez-vous une montée des tensions dans les débats sur l'éolien ?
On ne peut pas dire qu'ils soient plus conflictuels aujourd'hui qu'auparavant. Les débats publics, notamment lorsqu'il s'agit de projets avec des impacts paysagers, ont toujours été assez tendus, que ce soit en mer ou sur terre. L'Etat ayant beaucoup accéléré sur l'éolien en mer, il est normal qu'il y ait plus de contestations sur ce sujet depuis quelque temps. Mais la tribune de Stéphane Bern [il a dénoncé la semaine dernière dans « Le Figaro » un « diktat éolien », NDLR], vous pouviez déjà la lire il y a dix ou quinze ans, avec les mêmes arguments.
Et celle de Marine Le Pen, ce week-end, jugeant que « les éoliennes n'ont plus leur place dans notre pays » ?
On entend toujours beaucoup de contestations au moment des élections mais ce positionnement de responsables politiques est plus récent. Jusqu'à présent, il y avait des querelles internes à des partis, et des élus pouvaient se positionner pour ou contre l'éolien. Désormais, les positionnements politiques de certains partis sont très marqués. On l'a vu, par exemple, sur le projet de parc en mer au large de Dunkerque.
Au vu des débats organisés par la CNDP, diriez-vous que les Français sont pour ou contre l'éolien ?
Cela n'a jamais été facile pour l'éolien. Mais les arguments du public que nous entendons ne vont pas dans le sens d'une opposition frontale. On ne constate pas la même radicalité des positions politiques, comme on peut lire dans la presse de la part d'élus. Certaines choses ont d'ailleurs évolué positivement : le fait que l'éolien contribue à la transition écologique, que celle-ci soit une exigence, c'est un sujet qui ne fait quasiment plus débat. En revanche, les oppositions paysagères sont toujours là, c'est une constante, tout comme la question du prix de l'éolien.
Son prix comparé au nucléaire ?
Oui, notamment la question de savoir si c'est rentable par rapport au nucléaire. C'est intéressant, ce débat énergies renouvelables versus nucléaire concerne très majoritairement l'éolien ; il y a très peu de débats photovoltaïque ou hydraulique versus nucléaire. Forts de ce constat, tous les arguments d'opposition à l'éolien découlent de cette comparaison : le prix, l'intermittence et le paysage. Sur le prix, il faut rappeler que c'est plus cher que le nucléaire amorti mais - et l'erreur est très souvent faite - on ne peut pas comparer les coûts d'une énergie amortie à ceux d'une énergie qu'on est en train de « créer ». Il faut les comparer aux coûts des nouveaux réacteurs.
Le débat public porte aussi sur la territorialisation…
Oui, de plus en plus. Les pro-éoliens arguent que c'est une énergie qui peut être très locale et contribuer à la souveraineté, avec des participations du public dans les parcs, et des retombées d'emplois locales. Globalement, nous avons constaté que la population demande que la transition écologique, à laquelle elle adhère vraiment, soit territorialisée et que nous n'ayons plus des grands projets nationaux pensés par l'Etat mais des projets qui émanent des territoires.
Certains dénoncent une diminution du cadre réglementaire, donc une baisse des recours des citoyens. L'avez-vous constaté ?
Depuis la loi Asap [loi d'Accélération et simplification de l'action publique], les recours ne peuvent avoir lieu en première instance que directement devant le Conseil d'Etat. En termes de protection des droits des citoyens, cela limite les possibilités de recours. Mais pour en arriver là, cela signifie que la phase préalable de concertation n'a pas bien marché. Or, quand la procédure est faite dans le bon sens, nous arrivons à des codécisions sur les projets.
Plus ennuyeux, selon moi, dans la loi Asap, qui comporte plusieurs régressions démocratiques, il est prévu que la mise en concurrence puisse être lancée avant la fin du débat. L'Etat s'est voulu rassurant dans la mesure où c'est une procédure très administrative. Mais pour le grand public, cela peut être incompréhensible car il peut penser que tout est joué, donc que le débat public ne sert à rien. Il faut faire attention, ne fragilisons pas la démocratie environnementale.
Comments