Thomas Bourleaud, Gwenola Chambon et Mounir Corm
Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau » : cette maxime du philosophe grec présocratique Anaxagore pourrait être celle de l'économie circulaire, ce système économique qui pense la production et la consommation selon une logique de boucle privilégiant la sobriété, le recyclage et le réemploi des ressources.Si des progrès ont été accomplis vers davantage d'efficacité dans l'utilisation des ressources, seulement 7,2 % des matériaux sont recyclés au sein de nos économies en 2023, selon le Circularity Gap Report. Autrement dit, plus de 90 % des matériaux sont gaspillés, perdus ou simplement indisponibles à la réutilisation. L'impact sur l'environnement et le climat est dès lors colossal étant donné que le volume de ressources extraites a triplé depuis 1970 passant de 27 à 92 tonnes par an : il faudrait aujourd'hui l'équivalent de 1,6 Terre pour régénérer chaque année ce que l'humanité consomme.
Dans ce contexte, l'adoption de pratiques circulaires recèle un potentiel de « valeur écologique » massif. En généralisant des chaînes logistiques de production et des comportements de consommation sobres et circulaires, les émissions mondiales de CO2 pourraient ainsi baisser de 39 % et l'utilisation de ressources brutes de 28 %. Et pourtant, jusqu'à présent, les stratégies climat adoptées par les gouvernements se sont surtout concentrées sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Si rien n'est fait, l'extraction de ressources naturelles devrait doubler d'ici à 2060 ! Responsable de 63 % de la consommation de matériaux dans le monde et de 79 % des émissions de gaz à effet de serre, le secteur des infrastructures est en première ligne, mais a toutes les cartes en main pour relever le défi de l'économie circulaire.
D'un côté, les entreprises de gestion des déchets et de traitement des eaux usées contribuent par essence au développement économique et social et à la vie dans un environnement sain. De l'autre, les opérateurs de transport, d'énergie ou encore de réseaux télécoms s'engagent dans la circularisation de leurs process et valorisent une culture d'entreprise écoresponsable.
La marche reste (très) haute au regard des contraintes inhérentes aux infrastructures, notamment leur longue durée de vie et l'empreinte environnementale élevée du bâti. Des pistes d'action sont toutefois bien identifiées : repenser le design des infrastructures en tenant compte de leur cycle de vie, réduire considérablement les consommations énergétiques ou encore allonger la durée de vie des équipements (par exemple les smartphones) pour permettre une récupération maximale des matériaux.
Pour « réussir », le secteur devra aussi s'appuyer sur trois puissants « accélérateurs » : des technologies innovantes (stockage et réutilisation de carbone, capteurs intelligents pour tracer les déchets…), un cadre de régulation dépassant les seules activités de recyclage et qui soit à la fois incitatif, contraignant et harmonisé aux niveaux européens et nationaux, et davantage de collaboration entre industriels. Il sera aussi nécessaire d'imaginer de nouveaux business models, en particulier ceux fondés sur la notion de service. L'électrification du transport de marchandises est un cas d'école : avec l'émergence de « routes électriques » à induction, l'infrastructure elle-même devient un fournisseur d'énergie en rechargeant les poids lourds alors qu'ils sont en mouvement. Ce système devrait permettre de réduire la taille des batteries et ainsi limiter la demande de lithium et cobalt.
Le verdissement des infrastructures ne pourra faire l'impasse sur l'économie circulaire. Si les solutions existent, c'est bien leur mise à l'échelle qui sera le facteur clé de succès. Les villes, qui ont vocation à concentrer 80 % de la population en 2050 et où les infrastructures sont interconnectées, auront un rôle central à jouer : celui d'« incuber », sans attendre, la « révolution circulaire ».
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