Cyril Dion : « N'allez pas faire un métier juste pour gagner de l'argent ! » IA l'occasion de la sortie de son troisième documentaire « Animal », ce mercredi 1er décembre en salles, l'auteur du best-seller « Petit manuel de résistance contemporaine » nous raconte son engagement contre la sixième extinction de masse. Le militant écologiste appelle les jeunes à faire de leur job leur meilleur moyen d'action.
Cyril Dion a plusieurs projets sur le feu : trois documentaires sur Arte pour l'année prochaine et l'adaptation (pour sa première fiction) du roman « Le grand vertige » (Ed. Actes Sud, 2020) écrit par Pierre Ducrozet en série pour une plateforme. (Fanny Dion) Par Marion Simon-Rainaud Cyril Dion incarne son combat jusqu'au bout des ongles, celui du parfait écolo : il est végétarien, a une voiture électrique, des toilettes sèches, un potager, un compost, une maison isolée, il achète bio et local, ne prend pas l'avion… Sauf pour son troisième film documentaire « Animal » qui sort ce mercredi 1er décembre en salles, partout en France. Loin d'être moralisateur ou catastrophiste, le réalisateur militant veut que ses images fassent réagir poussent à l'action, et donnent aux spectateurs l'envie de « réparer le monde et sa diversité ». Et pour lui, il faut que tout le monde se retrousse les manches. Les Echos START : Pourquoi contrairement à « Demain » et « Après-Demain », vous ne vous êtes pas directement mis en scène, en choisissant deux adolescents militants âgés de 16 ans comme personnages principaux ? Cyril Dion : Ça fait une quinzaine d'années que je suis engagé sur ces sujets-là, et j'avais envie de laisser la tribune à la jeune génération. A ceux qui marchent, comme Bella et Vipulan que j'ai rencontré à l'occasion des manifestations pour le climat. « Animal » est à la fois un voyage géographique, on se déplace dans plusieurs pays (Inde, Kenya, etc.) mais aussi un voyage initiatique à la rencontre des autres humains. Par exemple, lorsqu'ils discutent avec l'éleveur de lapins sur son exploitation, j'ai pu filmer la rencontre entre deux mondes : deux véganes urbains d'un côté et un éleveur rural en proie à des logiques de production intensive de l'autre. Ce décalage-là nous oblige, nous spectateurs, à nous positionner et à nous poser des questions. L.E.S. : Dans ce « voyage initiatique », vous recherchiez à avoir un regard neuf et naïf sur le monde ? C.D. : C'est tout l'intérêt du dispositif ! On ne répond pas la même chose à des adultes qu'à des jeunes adolescents. On est plus francs, plus directs. Et en même temps, leurs interlocuteurs se mettent à leur hauteur. La militante Claire Nouvian est cash sur ses difficultés au Parlement européen ou encore le philosophe Baptiste Morizot emprunte leur langage. Le dialogue est facilité, les spectateurs peuvent plus facilement s'identifier. Les deux protagonistes incarnent le combat contre la menace de la sixième extinction de masse. D'autant que Bella et Vipulan ont 16 ans mais qu'ils en paraissent 14 ans ! (rires) L.E.S. : Comme on le voit dans votre film, la jeune génération n'est pas dépolitisée. Pourtant leur abstention enregistre des taux records… Est-ce une question de désengagement ? C. D. : Je ne crois pas du tout que les jeunes générations soient dépolitisées, ni désengagées. Elles sont concernées, seulement elles se désintéressent des formes traditionnelles d'engagement politique (vote, partis politiques, etc.). S'il est impossible de parler d'une génération de manière homogène, en tout cas, ceux que je croise dans la rue sont très engagés. Ils sont déçus alors ils font du bruit comme ils peuvent. Certains sont encore plus désireux de faire des actions localement. Bella est par exemple très investie dans la protection des animaux. Elle donne un coup de main dans un refuge à côté de chez elle. Vipulan, de son côté, s'est opposé à la destruction des jardins ouverts d'Aubervilliers au profit des installations pour les Jeux Olympiques 2024. L.E.S. : Avec Animal, vous vous attaquez au risque de sixième extinction animale de masse, et à la fin du film, contrairement aux autres on a l'impression que les solutions sont maigres… Y en a-t-il ? C. D. : C'est marrant que vous disiez cela alors que nous montrons tout au long du film des actions concrètes. En Inde, on voit des gens se mobiliser pour déplastifier les plages et l'océan. On rencontre des gens qui ont fait interdire la pêche en eaux profondes, qui essaient de cohabiter avec les loups. D'autres qui tentent de réensauvager le travail à la ferme. D'autres encore qui ont participé à la reforestation au Costa Rica… Non, ce n'est pas un film de constat. Mais, on voulait montrer que ce combat ne se gagne pas juste en montrant les solutions expérimentées dans tel ou tel endroit, et en les calquant ailleurs. On voulait éviter l'écueil de la « solutionnite ». L.E.S. : C'est-à-dire ? C. D. : Le problème de fond c'est qu'on est prisonniers du récit de la croissance et de celui du productivisme. Il faut construire un autre imaginaire, et les films, les livres y contribuent. Nous sommes en tant qu'humains, irrémédiablement liés au vivant et on a cru qu'on pouvait s'en émanciper, mais non. Le but de ce film est de donner aux spectateurs de l'énergie pour le sauver, nous sauver. Je veux ouvrir de nouveaux espaces possibles, des trajectoires nouvelles. La conversation sur l'écologie est urgente et la question écologique est centrale. Il y a déjà des dégâts, des incendies, des inondations… L'enjeu est de savoir comment changer les choses maintenant. Or, pour l'instant, le débat sur le climat et ces conneries d'écologie réaliste ne sont pas à la hauteur… On veut réaménager l'existant, alors qu'il faut tout repenser, et vite ! Cyril Dion avec son caméraman sur le tournage de son troisième film « Animal » en salles, qui s'accompagne d'un livre éponyme.Brice BarbierL.E.S. : Est-ce qu'avec ce film vous ne prêchez pas un public déjà convaincu ? C. D. : Celui des avant-premières, peut-être. Mais, petit à petit, par le bouche-à-oreille, on touche ceux qui ne le sont pas. Et puis on a gagné cinq prix, on est allés au Festival de Cannes. C'est la même trajectoire qu'a connue le documentaire « Demain » qui à la fin a fait plus d'un million d'entrées… Je suis optimiste mais surtout déterminé. Alors après j'avoue être assez fatigué de sans cesse répéter les mêmes choses, mais les retours que je reçois depuis six ans me donnent de la force. Quand je reçois des mails d'une personne qui a changé de travail après avoir vu le documentaire, je me dis : « ça vaut le coup ! » L.E.S. : Quel message voudriez-vous vous faire passer aux jeunes de moins de 35 ans qui peuvent avoir l'impression d'avoir loupé l'opportunité de s'engager pour sauver le vivant ? C. D. : N'allez pas faire un métier juste pour gagner de l'argent. Le militantisme c'est une chose mais là où on a le plus d'impact c'est dans ce qu'on fait tous les jours ! N'acceptez plus d'être les bras et les cerveaux d'un système qui va dans le mur. Faites de la place pour créer de nouveaux boulots. On a besoin de tellement de choses pour réparer le monde : de nouveaux ingénieurs, de nouveaux agriculteurs, de nouveaux artisans... Devenez charpentier, couvreur, électricien - même si ce sont des métiers souvent dévalorisés. Vous êtes à une époque où vous pouvez le faire et vous trouverez des gens pour vous donner votre chance comme on m'a donné la mienne. Si on est capables du pire, nous les humains, on est aussi capables du meilleur ! Marion Simon-Rainaud
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