Face aux centaines de milliards investis en Chine et aux Etats-Unis, l'UE peine à produire des leaders mondiaux de l'intelligence artificielle. Plutôt que de bureaucratiser, elle ferait mieux d'encourager l'innovation et l'originalité, à placer au coeur du Sommet de Paris, juge Georges Nahon.
Les gouvernements aux Etats-Unis, en Europe et en Chine aspirent à jouer un rôle majeur dans le développement de l'IA, à affirmer leur souveraineté et à remporter la course à la domination technologique mondiale. Face à ces ambitions, l'Union européenne mise sur la souveraineté numérique et des programmes d'innovation tels qu'Horizon Europe. Elle a également lancé des initiatives comme EuroStack, Gaia-X, IRIS2 ou un réseau de supercalculateurs pour connecter des « fabriques d'IA ».
Cependant, avec des réglementations comme l'AI Act, l'UE se concentre davantage sur les risques que sur les opportunités, imposant des contraintes rigides dans un secteur en rapide évolution. Cette approche pourrait freiner l'innovation et inciter des entreprises à migrer vers des régions plus flexibles, entraînant une perte d'investissements et de talents au profit de la Silicon Valley.
L'Europe distancée
La course à l'IA a engendré une prolifération de rapports et de conférences mondiales, comme le Sommet de Paris ce mois-ci. Malgré ces efforts, l'impact pratique de ces initiatives reste flou. La rapidité des avancées en IA complique la situation : en 2023, l'attention se portait sur les risques, l'éthique et la sécurité. Aujourd'hui, on parle davantage d'actions concrètes, avec une discrète mise à l'écart des préoccupations sociétales liées à l'IA. Derrière le discours sur la souveraineté, l'enjeu réel est en fait la compétitivité des entreprises européennes.
Toutefois, souveraineté, dirigisme et protectionnisme, bien que séduisants, comportent des risques. Le succès fulgurant des modèles d'IA chinois de DeepSeek montre que la politique de restriction des exportations de puces d'IA américaines vers la Chine a eu les effets inverses à ceux recherchés.
L'UE, déjà absente dans des domaines clés comme les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les semi-conducteurs, le cloud et les smartphones, peine à produire des leaders mondiaux de l'IA. Elle reste distancée par les Etats-Unis en raison de sa bureaucratie lourde, de sa fragmentation politique et culturelle, de son obsession réglementaire et de ses investissements insuffisants et dispersés.
Aux Etats-Unis, les investissements privés soutiennent l'essor de l'IA. En 2024, les cinq géants du cloud ont investi 197 milliards de dollars, et le projet Stargate mobilisera jusqu'à 500 milliards de fonds privés. De son côté, la Banque de Chine a alloué 131 milliards d'euros pour soutenir son écosystème d'IA. À titre de comparaison, l'UE consacre 1,5 milliard d'euros à ses « fabriques d'IA » et 95,5 milliards sur sept ans via Horizon Europe. En France, 2,5 milliards ont été investis depuis 2018.
Innover de façon non conventionnelle
En Europe, la recherche académique peine à déboucher sur des applications commerciales compétitives. Pour réussir dans l'IA, il faut également favoriser la recherche à court terme dans les entreprises et les start-up par des contrats de l'Etat pour ses besoins propres actuels et surtout pour ses projets pour le futur. Les start-up d'IA sont prédisposées à innover rapidement de façon non conventionnelle.
« Plutôt que de chercher à rivaliser avec les géants, il serait plus judicieux d'encourager l'audace et l'agilité des acteurs privés. »
OpenAI a commencé comme cela, de même que DeepSeek. Justement, les start-up françaises d'IA se développent bien. En 2024, selon 20VC, elles ont levé 7,8 milliards d'euros, dont 27 % dans l'IA (+82 % en un an). La création par l'Etat de l'Amiad pour la défense qui rappelle Etalab pour les données publiques favorise judicieusement les partenariats public-privé.
Concurrencer directement les Etats-Unis dans l'IA semble illusoire pour l'Europe. Plutôt que de chercher à rivaliser avec les géants, il serait plus judicieux d'encourager l'audace et l'agilité des acteurs privés, afin de développer des solutions originales, ingénieuses et indépendantes. Comme l'a démontré DeepSeek, face aux Goliath, il faut savoir jouer David.
Georges Nahon est analyste indépendant dans le domaine des technologies numériques et de l'innovation, conseil et ancien directeur général d'Orange Labs à San Francisco, et lecturer à clubopenprospective
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