Bruno Trévidic
L'opérateur européen de satellites géostationnaires Eutelsat a rejoint l'Etat britannique et l'indien Barthi à bord de la future constellation de satellites OneWeb, avec 24 % du capital. Dès 2022, elle sera la première à offrir un accès à Internet depuis n'importe quel point du globe.
Après une période de doutes, l'Europe spatiale renoue avec le succès, ces derniers jours. A l'heure où le spationaute Thomas Pesquet de retour à bord de la Station spatiale internationale, ISS, bat des records de popularité, le groupe Eutelsat, champion français et européen de l'orbite terrestre, annonce un accord majeur pour l'avenir de l'industrie spatiale européenne : sa prise de participation de 24 % au capital de OneWeb, la constellation de satellites de télécommunications, qui a vocation à devenir un leader mondial de la fourniture d'accès à Internet.
« Cet accord majeur nous permet de prendre une place de premier plan dans le domaine des constellations satellitaires à orbite basse et de remettre l'industrie spatiale européenne, au sens géographique du terme, dans ce jeu », déclare le directeur général d'Eutelsat, Rodolphe Belmer. Face aux projets de constellations de SpaceX et d'Amazon, et la puissance de feu de leurs patrons milliardaires, respectivement Elon Musk et Jeff Bezos, OneWeb fait en effet figure de seule alternative non-américaine. Et ce alors que la demande d'accès à Internet via des satellites va augmenter de manière exponentielle ces prochaines années, afin de satisfaire au besoin d'une couverture mondiale jusque dans les zones les plus reculées ou à bord des avions, avec un temps de latence aussi réduit que possible.
Sauvé de la faillite
Il y a moins d'un an, l'Europe spatiale semblait pourtant en passe de sortir du jeu des futures constellations à orbites basses. A court d'argent pour poursuivre le déploiement de ses satellites, la constellation OneWeb, issue d'un partenariat entre une start-up américaine et le groupe Airbus qui fabrique les satellites, n'avait été sauvée de la faillite que par une offre de reprise du gouvernement britannique, associé au groupe indien de télécommunications Barthi.
Avec cet investissement de 500 millions d'euros, Eutelsat redonne à OneWeb un passeport européen, en revenant au même niveau de participation que le gouvernement britannique et le groupe indien, chacun à 24 %. « En tant que partenaire à parts égales, nous serons associés à toutes les décisions majeures », souligne Rodolphe Belmer. Mais surtout, l'argent d'Eutelsat va permettre à OneWeb d'achever le déploiement des 648 satellites nécessaires pour être la première constellation à offrir une couverture mondiale complète dès 2022, avant ses concurrents américains.
Pour l'heure, 182 satellites ont déjà été mis en orbite par Ariane-space et le lanceur russe Soyouz. « Avec nos 500 millions, le financement de la phase 1 est bouclé et OneWeb pourra entrer en service commercial, avec une couverture partielle dès la fin de l'année et une couverture mondiale complète fin 2022 », assure le patron d'Eutelsat. Le groupe n'apporte pas que de l'argent. « Comparés aux nouveaux entrants américains, nous bénéficions d'une expertise extrêmement solide du marché mondial des télécoms, d'une connaissance unique des technologies spatiales et des principaux acteurs industriels, ajoute Rodolphe Belmer. Et nous serons les seuls à pouvoir associer une flotte de satellites géostationnaires et une constellation de satellites en orbite basse ».
Une fenêtre de tir
Mais pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ? « Nous sommes convaincus depuis longtemps de l'intérêt stratégique des constellations à orbite basse, mais le coût initial de déploiement de telles constellations - de l'ordre de 5 à 6 milliards d'euros - était hors de portée d'une entreprise comme la nôtre, explique le patron d'Eutelsat. Il nous fallait trouver une opportunité d'investissement proportionnée à nos moyens et en ligne avec nos ambitions, ainsi que des partenaires ».
La faillite de OneWeb et sa reprise par le gouvernement britannique et l'indien Barthi a donc fourni à Eutelsat la fenêtre de tir espérée. « Le placement de OneWeb sous chapitre 11 [la loi des faillites américaines, NDLR] a permis d'effacer les 3,5 milliards de dollars d'investissements déjà consentis, nous offrant ainsi un point d'entrée intéressant », remarque Rodolphe Belmer.
Le pari n'en reste pas moins risqué. Si les satellites géostationnaires ont une durée de vie de vie de 18 ans, les satellites en orbite basse ne restent opérationnels que de 5 à 7 ans. D'où la nécessité de les remplacer fréquemment. De plus, la technologie de ces petits satellites évolue à toute vitesse, au point qu'une phase 2 est déjà en préparation chez OneWeb. « La phase 2 n'est pas encore décidée, indique le dirigeant. Elle ne sera pas lancée avant six à sept ans. Mais si, comme nous le prévoyons, la demande mondiale de connectivité explose dans les années à venir, dans les zones à faible densité, on aura besoin d'infrastructures beaucoup plus capacitives que celles qui ont été imaginées pour l'instant ».
Eutelsat n'a toutefois pas vraiment le choix. De la même façon qu'Internet a pris le pas sur la télévision dans les foyers, la connectivité dépassera « à terme » la diffusion des signaux TV dans le chiffre d'affaires du groupe, reconnaît son directeur général. Et pour rester un acteur majeur des télécommunications, il faudra nécessairement être associé à l'une des trois ou quatre constellations de satellites en orbite basse, où la place n'est pas illimitée.
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