Elaborer une stratégie d'entreprise digne de ce nom demande de sortir de sa zone de confort et d'accepter de prendre des risques. Mais surtout d'être à l'écoute de ses collaborateurs et de la conjoncture.
PDG de l'entreprise norvégienne Noratel AS depuis 2020, Grégory Malherbe a enchaîné les postes de management et de direction générale dans plusieurs sociétés au cours de sa carrière. De ces expériences, il tire un constat : 80 % des stratégies d'entreprise ne sont jamais exécutées, tout simplement car elles ne sont pas exécutables. Il a donc mis au point un processus de développement de stratégie d'entreprise qu'il détaille dans son livre « Stratégie d'entreprise, la sérendipité au service de la gouvernance, des processus, des outils et des équipes », paru aux éditions Gereso.
Qu'est-ce qu'une stratégie d'entreprise ?
C'est la matérialisation, en un plan concret, holistique et exécutable, de la vision de l'entreprise, c'est-à-dire ce qu'elle veut devenir dans le futur. Concrètement, une stratégie d'entreprise doit répondre à quatre questions. D'abord qu'est-ce que le succès pour cette entreprise ? Car la réponse à cette question n'est pas la même pour toutes les sociétés, selon leur culture. Ensuite sur quels marchés compte-t-on se déployer ? Comment y gagner et prospérer durablement ? Enfin, quelle gouvernance adopter pour mener à bien ces objectifs ? La stratégie est profondément liée à la culture de l'entreprise. Ce n'est pas un simple Powerpoint pondu par un consultant. Il est impensable de la déléguer à un élément extérieur ! La stratégie n'est pas non plus une synthèse consensuelle, qui agrège de façon exhaustive tous les points de vue : il faut faire des choix, avoir le courage de dire non à certaines idées, ou les reporter.
Enfin, il faut que la stratégie soit ancrée dans le réel de l'entreprise et de son environnement. Et ceux qui ont l'intelligence du concret, ce sont moins les dirigeants que les collaborateurs qui sont directement au coeur des opérations de la compagnie.
Vous conseillez de faire participer les salariés à l'élaboration de la stratégie ?
Oui ! Les ouvriers, les chefs d'équipe, les ressources humaines… même les agents d'entretien dans certains cas, s'ils sont là depuis longtemps ! Dans les pays nordiques, la notion de hiérarchie est abstraite. Quand je sillonne nos usines, les ouvriers m'interpellent, pour me proposer des améliorations au vu des attentes des clients par exemple.
Au-delà des collaborateurs de l'entreprise, il faut aussi faire participer les clients, car ils sont les plus à même de faire part de leurs attentes. Les fournisseurs aussi, qui ont l'avantage de connaître de près vos concurrents. Bref, toutes les parties prenantes de votre environnement économique doivent participer plus ou moins activement à l'élaboration de votre stratégie d'entreprise.
Consulter tous ces acteurs peut paraître très laborieux…
Bien sûr, ça prend du temps, mais tant mieux car cela veut dire que l'on enrichit sa réflexion. Le tout est de le faire avec bienveillance, pour que ce soit utile. Il ne faut pas écouter pour répondre, c'est-à-dire pour opposer nos propres arguments. Il faut écouter pour comprendre, étudier chaque idée même opposée à celles qui apparaissent comme des évidences. Pour rendre le processus plus efficace, j'aime diviser la stratégie en sous-sujets, chacun confié à une « task-force » qui interroge des représentants de chaque partie prenante.
Si on ne fait pas ce travail, on doit le confier à des consultants. C'est très onéreux alors autant le faire nous-même. En outre cela permet au chef d'entreprise d'avoir une vision encore plus fine et de fertiliser le dialogue interne. Aussi, il vaut mieux avoir ces débats en amont, quitte à retarder la mise en place de la stratégie, plutôt que de la remettre en question une fois les décisions prises.
Comment impliquer dans sa stratégie les collaborateurs qui se sont opposés ou qui doutent des décisions ?
Il faut faire nôtres les règles de la démocratie en entreprise : écouter toutes les idées avec bienveillance, les étudier, mais prendre la décision finale. Certaines idées ne seront finalement pas prises en compte. Cela ne signifie pas pour autant qu'elles étaient mauvaises : elles étaient juste en contradiction avec le reste des besoins, ou elles ne sont pas intervenues au bon moment.
Avant d'élaborer une stratégie d'entreprise, le chef d'entreprise doit faire en sorte que chacun se sente impliqué dans la structure globale : il est impératif d'établir une bonne hygiène relationnelle, y compris dans les réunions, et de favoriser les coopérations et le dialogue entre unités.
Comment être sûr que la stratégie choisie est la bonne, sans savoir ce que l'avenir réserve, surtout en période de crise comme aujourd'hui ?
On ne le peut pas ! Mais si on attend d'être sûr, on ne prend jamais de décision… Il faut en prendre, les assumer, les suivre. Le tout est d'accepter de les revoir régulièrement, de relancer une étude sur l‘efficacité de la stratégie. Cela exige d'accepter que la voie suivie est erronée et de la réadapter en fonction des nouvelles donnes du marché.
Toute votre méthode s'appuie sur la notion de sérendipité. En quoi cela consiste-t-il ?
La sérendipité se définit comme la capacité à trouver des circonstances favorables qui ne sont pas nécessairement recherchées, grâce au hasard et à la sagacité, et à en comprendre l'utilité. Concrètement, cela implique d'accepter que le hasard à un rôle important dans la réussite des entreprises. Et cela signifie que l'on doit accepter que nos projets peuvent être remis en question du jour au lendemain par un évènement imprévu, comme la crise du Covid-19.
Une fois que l'on a accepté cet état de fait, il faut essayer de favoriser le hasard, d'attirer la chance. En restant à l'écoute, en cultivant un appétit du risque, en favorisant les initiatives et critiques. La sérendipité, c'est mettre toutes les chances de son côté, en se mettant en condition d'exploiter les opportunités.
Léo Da Veiga Les Echos
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