2021 - ATELIER 2
Comment peut-on envisager demain une Souveraineté ?
quid de la Next Souveraineté ?
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Restitution /animation graphique de l'atelier
Introduction
Le commerce international s’est considérablement développé depuis la chute du mur de Berlin et le basculement des anciens régimes communistes dans l’économie de marché. Le modèle qui a soutenu ce développement est la théorie des avantages comparatifs, formulée au début du XIXe siècle par David Ricardo. Selon cette théorie, tous les pays, même les moins compétitifs, trouvent un intérêt à rentrer dans le jeu du commerce international ; chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production où il détient l'avantage relatif le plus important.
Cette doctrine a fondé l’action de l’OMC qui a œuvré pour la suppression des barrières douanières à l’échelle du globe (accords de Marrakech – 1994). L’essor du commerce international qui s’est accompagné d’une fragmentation des chaînes de valeur, a soutenu la croissance dans les pays riches et permis sur les 30 dernières années aux pays pauvres de réduire leur écart avec ces derniers, avec, en contrepoint un développement fort des inégalités intra zones.
La théorie des avantages comparatifs a été au cœur de l’idéologie défendue par la Commission européenne (promotion d’une concurrence « libre et non faussée »). Cette posture, bénéfique au consommateur, a interdit la mise en place d’une vraie politique industrielle et a conduit l’Europe, dans de nombreux domaines, dans une situation de faiblesse face aux super puissances chinoise et américaine.
La crise sanitaire a mis en évidence les limites et les fragilités liées au développement tous azimuts du commerce international et à l’éclatement des chaînes de valeur. Rupture d’approvisionnement, dépendance forte envers un ou plusieurs fournisseurs, les facteurs de fragilité du modèle ont éclaté au grand jour et ont conduit à un retour en force des Etats et de la notion de souveraineté.
« Quand on a une économie qui, grossièrement, pousse à l’extrême le modèle théorique ricardien, dans laquelle chaque pays produit uniquement les biens ou étapes de production dans lesquels il a un avantage comparatif, la concentration de l’activité devient extrêmement forte. Cette concentration de l’offre produit des risques jusque-là peu identifiés » explique Isabelle Méjean dans « La relocalisation n’est pas la solution miracle ».
La souveraineté désigne l'exercice du pouvoir sur une zone géographique et sur la population qui l'occupe. Ce concept s’applique davantage aux Etats qu’aux entreprises, pour lesquelles on parlera plutôt d’autonomie stratégique. Dans tous les cas, il s’agit de garder le contrôle sur les décisions qui engagent l’avenir du pays (ou de l’entreprise) et de diversifier suffisamment l’approvisionnement pour limiter les risques.
Mais souveraineté ne veut pas dire autarcie. Et relocalisation et réindustrialisation, concepts aujourd’hui très à la mode, doivent être interrogés. Comme le précise Isabelle Méjean : « Tous les problèmes de la mondialisation seraient résolus d’un coup par une espèce de relocalisation, sans que l’on sache très bien ce que cela veut dire… Je plaide donc pour une meilleure identification des problèmes et pour des réponses précises dans le débat public ».
C’est ce que nos trois intervenants se sont proposés de faire, relativement à trois domaines considérés aujourd’hui comme stratégiques : le numérique, l’énergie et la santé.
Session plénière
David Ricardo (Principe de l’Economie politique et de l’Impôt - 1817) est, avec Adam Smith (La richesse des nations - 1776), le représentant le plus célèbre de l’école classique anglaise. Ils ont établi les fondements théoriques de l’économie de marché
Voir à ce sujet Branko Milanovic Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalization, Belknap Harvard, 2016. Pour une présentation résumée de cette approche, voir l’article d’Olivier Galland : https://www.telos-eu.com/fr/economie/que-nous-dit-la-courbe-de-lelephant-de-branko-mila.html
Pour des raisons liées à son histoire récente (deux guerres mondiales), L’Europe s’est construite sur la base du « marché unique » et non sur celle d’un projet d’union politique. Faute d’une vision politique commune, l’Europe ne se conçoit pas en termes de puissance (contrairement aux USA et à la Chine)… à quelques exceptions près (PAC, RGPD).
Le Grand Continent, juillet 2020, accessible à l’adresse : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/07/03/isabelle-mejean/
Souveraineté numérique
Pascal Guillet (auditeur en intelligence économique à l’Institut des hautes études de défense nationale – IHEDN)
Le domaine couvert ici est extrêmement large puisque le numérique est présent dans tous les secteurs en tant que support technologique nécessaire à l’activité économique. Sa maîtrise suppose, entre autres, le contrôle des ressources Internet et des réseaux, la protection des institutions contre les cyberattaques, la protection des données personnelles, la maîtrise des technologies clefs (Operating System, Intelligence Artificielle…). Sur ce terrain, l’Europe est en grande position de faiblesse face aux Etats Unis et à la montée en puissance de la Chine.
Les Etats-Unis ont bâti depuis longtemps un écosystème articulé autour des agences gouvernementales (NSF, DARPA, NASA…), des grandes universités et de grands programmes industriels, leur permettant de maîtriser les chaînes technologiques. Par ailleurs, La signature du Patriot Act / Freedom Act et plus récemment du Cloud Act autorise les USA à accéder sur son sol, mais aussi n’importe où, aux données résidentes au sein de sociétés américaines (GAFAM et autres). Ces dispositifs sont à l’origine d’amendes très élevées exigées à des entreprises françaises et européennes, au prétexte qu’elles ne respectaient pas le droit américain.
Si les Etats Unis recherchent une position de leadership incontesté, la Chine met en place une stratégie numérique quasi-militaire, au moyen d’une politique économique dirigiste et d’un arsenal juridique au service de la souveraineté numérique du pays.
A la question : « existe-t-il, pour la France et L’Europe, des risques de grande ampleur liés à la souveraineté numérique ? », la réponse est indubitablement positive : perte de contrôle sur l’ensemble de la chaîne technique, risque de cyberattaque, risque d’ingérence dans des groupes industriels européens…
La réaction de l’Europe a jusqu’ici été plutôt défensive (mesures de protection comme la « Loi de blocage » française, annulation du « privacy shield » par la Cour de justice européenne, élaboration du RGPD). Trop lente, la réponse met principalement l’accent sur le juridique, ce qui est souvent inopérant. De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour une vision plus « offensive » du problème et pour la mise en place d’une véritable stratégie nationale voire européenne en matière de souveraineté (rapport Longuet, 2019), comme le fait Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, malgré l’hostilité au sein même de la Commission de la Direction Générale de la Concurrence. Une des initiatives les plus emblématiques de cette approche est la volonté de bâtir un « cloud » souverain, a minima français, et, si possible, européen.
Présentation de Pascal Guillet - Merci à Pascal d'avoir accepté de diffuser sa présentation.
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Souveraineté énergétique
Armand Laferrère (Senior Vice President, Government Affairs, Orano)
La notion de souveraineté fait un retour en force dans le discours politique en France, comme en Europe. Deux exemples parmi d’autres. La Commission européenne a présenté le 5 mai une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe, applicable dans 14 secteurs, où l’accent est mis sur les dépendances stratégiques et les rapports de force. Un sondage publié récemment révèle qu’une large majorité de français souhaitent augmenter leurs achats de produits « made in France » même si les prix sont plus élevés. Le COVID n’a fait qu’accélérer cette transformation de l’opinion, déjà à l’œuvre depuis quelques années à cause des tensions géopolitiques internationales.
Dans le domaine de l’énergie, cela se traduit par une conception fondée non plus sur la base des coûts, mais en prenant en compte le risque de rupture d’approvisionnement. Comment gérer ce risque ? Trois stades dans la filière.
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Les matières premières : les importations sont inévitables. Il s’agit alors de diversifier les sources. Pour l’uranium : le Canada, l’Afrique, le Kazakhstan ; pour les énergies renouvelables (éolien, solaire), c’est plus compliqué : elles sont dépendantes des terres rares (éolien, solaire) qui sont très majoritairement extraites en Chine.
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Les industries de transformation : pour le nucléaire, on a fait le choix d’être sur le territoire national (ou dans l’Union européenne) ; le photovoltaïque vient à 80 % de Chine.
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La propriété intellectuelle et la capacité à innover doivent être impérativement gardées sur le territoire national (ou européen).
On s’aperçoit à la lecture de ce panorama que la souveraineté n’a pas du tout été prise en compte dans le développement des énergies renouvelables. Il y a un risque de pénurie en cas de tension forte avec la Chine qui a une position très dominante sur les terres rares.
Il convient dès lors de penser le domaine de l'énergie comme un instrument de puissance géopolitique. Ce qui suppose, pour la France :
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de maîtriser les technologies,
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de maîtriser les droits d’exploitation,
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d’être capable d’exporter de grands projets,
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d’assurer la sécurité de l’Europe.
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Souveraineté dans l'industrie pharmaceutique
Jean François Hilaire (Executive Vice-President, Head of Strategy & Global Integration,Recipharm AB)
La souveraineté est un mot très ambigu. Il vaut mieux contrôler une chaîne d’approvisionnement que vouloir tout faire de A à Z. L’autarcie est en effet un système très inefficace, à l‘image de ce que fut la production de voitures en Tchécoslovaquie sous le régime communiste.
La chaîne de valeur du médicament a 6 composantes : de la connaissance scientifique, un principe actif, des capacités de production, un dossier réglementaire, un patient et un payeur. Elle est mondialisée. Malgré une innovation très dynamique, l’Europe est de plus en plus en position de faiblesse : sous-capacités de production, pression sur les prix, complexité et lourdeur réglementaire (dans l’UE, il y a autant de réglementations que d’Etats membres), une coopération public-privé sous-optimale et une industrie du capital-risque, permettant de passer du principe actif au produit fabriqué, très sous développée.
L’Europe et la France en particulier ont été longtemps leader dans la production pharmaceutique et sont encore leader en matière d’innovation. A la lumière de la crise Covid, les dirigeants européens ont pris conscience des conséquences de cette perte de leadership et semblent prendre les mesures appropriées, telle que le plan « HealthTech, financé en France par la BPI et visant à permettre aux BioTech et HealthTech françaises de passer à l’échelle mondiale. La question est d’ancrer la production de médicaments innovants en Europe plus que de rapatrier des productions de médicaments anciens. Le renforcement du capital-risque est un élément-clef de cette reconstruction.
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Présentation de Jean François Hilaire ( merci à Jean Françoisd'avoir accepté la diffusion de cette présentation )
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Travail en atelier
Pour y accéder : https://app.klaxoon.com/join/4NGPWGJ
Les participants ont été séparés en trois groupes, chacun travaillant sur un des secteurs analysés lors de la séance plénière. Il a été proposé à chaque groupe une mise en situation… telle qu’on pourrait l’imaginer en 2035.
Première situation (groupe « numérique ») :
2035. Le projet de Cloud Souverain européen GAIA X a dopé le développement d'hébergeurs existants comme OVHCloud qui est devenu en quelques années le pilier central du cloud européen. Pourtant une rumeur circule dans les couloirs de Bruxelles disant que GAIA X pourrait être arrêté brutalement.
Vous faites partie de l'écosystème d'acteurs numériques européens et vous essayez de comprendre ce qui a pu motiver cette décision, afin de proposer une évolution du projet qui éviterait le fiasco annoncé.
Identification des failles :
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non-respect du RGPD,
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intégration d'acteurs non souverains,
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non-respect d'une ou plusieurs des règles imposées par GAIAx,
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c’est devenu une usine à gaz ingérable faute d'acteur de taille suffisante.
Les éléments de réponse : une offre souveraine qui fédère des acteurs européens sur trois secteurs prioritaires, la santé, l’énergie et le cyber.
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on reconstruit une offre d’infrastructure à partir de quelques acteurs majeurs, sans attendre le feu vert des politiques européens,
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création d’un outil collaboratif souverain, alternatif à Office 360,
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initiatives “service” sur les secteurs santé, énergie et cyber.
Deuxième situation (groupe « santé ») :
Nous sommes en 2035, après le COVID (2020-2024), plusieurs pandémies ont touché régulièrement la communauté internationale.
L'Europe dispose toujours de laboratoires capables d'innovations majeures mais peine encore à passer au stade de l'industrialisation. Face à la menace grandissante que les virus font peser sur l'humanité, L'Europe doit prendre un virage majeur pour assurer son autonomie stratégique en matière de vaccins et de traitements.
En tant que banque d'investissement reconnue mais souvent contestée, vous y voyez une opportunité de redorer votre image. Vous décidez d'ouvrir un fonds santé afin d'aider à l'industrialisation de la recherche européenne.
Quelle sera votre stratégie ?
Les éléments de réponse : une PAC Santé. S'appuyer sur la force de l'Europe : axer sur la recherche publique, développer de la puissance de calcul (IA et quantique), environnement de production (campus université-entreprise)
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Le fonds finance la R&D des entreprises sous condition de mise en commun et de mise en réseau des actions :
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préférence européenne : Une IP "Europe" utilisable par toute entreprise européenne,
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co-développement avec des entreprises européennes ou qui s'engagent vis-à-vis de l'Europe (localisation production, fiscalité, etc.) ;
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cibles : recherche publique à l'hôpital, labo de recherche universitaire ;
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le fonds n’est pas que financier, il permet de bénéficier d’une puissance de calcul, d’outils de mutualisation (plateforme de recherche et de données en open source) et d’un environnement favorable (faciliter l’accès aux composants, aux capacités de production) ;
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accord multipartite : négociation avec les autres pays pour bénéficier de leurs innovations.
Troisième situation (groupe « énergie ») :
2035 - Le développement des énergies renouvelables nous a globalement rendus moins dépendants aux énergies fossiles. En revanche, elles ont créé de nouvelles dépendances, par exemple l’éolien est très consommateur de balsa et de terres rares. Or, la loi européenne climat et environnement, récemment votée, a encore durci les normes environnementales, et la crise sanitaire de 2020 a engendré des obligations supplémentaires en termes d’autonomie énergétique. Vous êtes un producteur d’éoliennes danois et l’Europe est votre premier client, mais vous risquez de perdre votre agrément en raison de vulnérabilités dans vos circuits d’approvisionnement.
Comment retrouver plus d'autonomie ?
Les vulnérabilités identifiées :
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approvisionnement en matières-premières balsa et terres-rares,
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pénurie de transport,
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pénurie de pièces mécaniques,
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Modifications drastiques des taxes à l'import en raison de tensions géopolitiques,
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bilan environnemental des éoliennes remis en cause,
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achat de l’Amazonie équatorienne par la Chine.
Les éléments de réponse : « We can wind it ! » Réduction du risque de vulnérabilité d'approvisionnement par la diversification et la prise en compte des contraintes majeures tels que l'environnement et les évolutions sociétales
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évolution vers un modèle de production en mode coopératif : implication de tous / meilleure acceptation sociale / impact sur les autorités normatives ;
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diversifier les technologies d'éoliennes ;
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diversifier les types d'énergie ;
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passer d’une logique centralisée (grosses éoliennes) à une logique décentralisée (unités petites tailles = moins de balsa) ;
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éco-conception favorisant la réduction des matières-premières et le recyclage.
Pour aller plus loin...
Comment retrouver la souveraineté européenne dans les semi-conducteurs
Eric Le Boucher
La création d'une filière européenne des semi-conducteurs, telle que voulue par Bruno Le Maire, est vouée à l'échec. L'Europe semble oublier les leçons du fiasco français du « Plan composants » de 1978. La stratégie de reconquête doit être à la hauteur de l'industrie la plus pointue du monde.
Roulement de tambour. Constatant qu'une pénurie de semi-conducteurs bloque l'industrie automobile lui faisant manquer « des dizaines de milliers de voitures non produites », le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, dénonce cette « vulnérabilité » et en appelle à « la mise en place d'une filière européenne de composants électroniques ». Il dit mobiliser son homologue allemand et Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, pour en finir avec la dépendance européenne « inacceptable ».
Tambours et fifres. La martiale musique d'aujourd'hui nous renvoie aux temps naguère, au « Plan composants » lancé par le président Valéry Giscard d'Estaing en 1978. A l'époque déjà, les Européens découvrent leur pénurie quasi-totale dans les semi-conducteurs, technologie apparue dans les années 1950 puis passée au stade industriel grâce au californien Fairchild. L'Europe assiste, les bras croisés, à l'explosion technologique du silicium (le substrat semi-conducteur) qui donne son nom à la Silicon Valley, aux pieds de San Francisco. Les géants européens, Philips, Siemens, Thomson ont baissé les bras.
Echec français
VGE est un ingénieur. Il a vu que l'électronique rend brutalement obsolète la technologie électromécanique qui fait marcher tous les automatismes, des ascenseurs aux chaînes d'usines, en passant par les centraux téléphoniques dont il est en train d'équiper le pays. Il faut fabriquer en France des semi-conducteurs, dit le président. Le faire au niveau européen n'est même pas envisagé. Les mémoires sont encore pleines de l'échec de la tentative Unidata dans les ordinateurs entre les mêmes Philips et Siemens et CII-Honeywell Bull.
Le Plan sera français uniquement. Il donnera naissance à trois entreprises, chacune trouvant un mari américain qui apporte la technologie. Thomson avec Motorola, Matra (devenu Lagardère) avec Harris, et Saint-Gobain qui avait des envies de diversification avec National Semiconductor. L'aide publique sur cinq ans est de 600 millions de francs (330 millions d'euros aujourd'hui).
Ce Plan conduira vite à des regroupements puis au mariage avec les Italiens pour fonder STMicroelectronics, société aujourd'hui valeureuse, classée au onzième rang mondial. Mais globalement l'Union européenne produit moins de 1 % des semi-conducteurs mondiaux. Le Plan composants est un échec, comme le « Plan calcul » lancé, lui, par le général de Gaulle en 1966.
Effet filière
Pourquoi ces échecs ? La raison en est apparue très vite. Les entreprises poussées par les gouvernements n'arrivent pas à vendre. Les clients, y compris l'administration, préfèrent acheter des IBM plutôt que des Bull, les directeurs informatiques refusant de risquer se voir reprocher leur choix français, en cas de bug. Ils achètent des puces américaines ou coréennes pour la même raison, mais surtout pour une autre : la demande européenne des puces est très faible (10 % du volume mondial) parce que l'industrie avale est très faible. L'Europe ne fabrique ni smartphone ni PC, les deux gros débouchés… C'est l'effet filière. On ne peut pas développer l'aval sans l'amont, ni l'amont sans l'aval.
Les volontés actuelles buteront sur les mêmes causes. Combler les déficits européens dans l'industrie électronique demanderait un effort financier colossal, un soutien public de long terme et une solidarité de filière qui imposerait d'acheter européen. Impossible à imaginer. En outre, la fabrication des puces est devenue d'une telle difficulté homérique (tracer des composants de moins de 10 nanomètres) que même le roi Intel, incontesté depuis quarante ans, a désormais du mal, le Taïwanais TSMC a pris sa couronne.
Copier à la chinoise
Faut-il baisser les bras à nouveau ? Non. Bull, placé sur des niches par Thierry Breton a survécu, STMicroelectronics existe, tout comme des perles çà et là en Europe, comme le britannique ARM fabricant des machines pour fonderies de silicium. Comment partir de là et pour aller où ? L'industrie du semi-conducteur est la plus pointue du monde, la stratégie de reconquête doit l'être autant. Un jeu amont-aval en modifiant la politique de concurrence européenne, un appel à faire venir les Asiatiques pour les copier à la chinoise, un financement d'acquisitions… L'Asie l'a fait, mais l'Europe et la France sont-elles capables d'inventer une telle politique industrielle ? Pourquoi pas.
Les cartes se rebattent en ce moment plus que jamais. La 5G, par exemple, pourrait servir à reconquérir la production de centraux téléphoniques d'un type nouveau et de reprendre pied face au chinois Huawei. L'intelligence artificielle ou l'informatique quantique aussi ouvrent des horizons nouveaux. Il faut juste que l'Europe ne se suffise pas de tambours mais se dote de vrais canons et de vrai argent. Beaucoup, beaucoup.