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Photo du rédacteurThierry Bardy

Les villes survivront-elles ?



Julien Damon


Les villes ont toujours facilité contagions et épidémies. Alors qu'il est maintenant relativement aisé de s'en extraire ou de s'y isoler, la crise du Covid aura-t-elle eu raison de ces produits du génie humain ?

Les villes peuvent mourir », avertissent d'emblée Edward Glaeser et David Cutler. Ces deux économistes de Harvard, aux travaux communs et aux opinions souvent opposées, aiment le monde urbain. S'appuyant sur l'histoire longue et sur les bouleversements récents, ils s'inquiètent des conséquences de long terme de la crise du Covid. A rebours des théories urbanophobes, qui blâment la ville et la densité, leur ouvrage captivant montre que les villes ne sont pas le danger, mais qu'elles sont en danger.

L'histoire courte, sur les récentes décennies, indique que des villes ont décliné en raison de la désindustrialisation. Elles sont aujourd'hui en difficulté, voire en péril, face à une pandémie. Rien de bien neuf à cela. Les épidémies ont, depuis toujours, frappé les zones agglomérées. Les redoutables épisodes de peste et de choléra, tout comme les réponses antiques en termes de quarantaines, en attestent. De fait, la vertu de la ville réside dans les effets positifs de l'agglomération : rapidité et multiplicité des échanges, concentration des talents et des énergies.

La densité présente cependant un côté sombre : la facilitation des contagions. Ce problème, très classique, se retrouve aujourd'hui sur des terreaux problématiques : extension des inégalités, numérisation des activités qui peuvent se délocaliser ailleurs. Glaeser et Cutler rappellent que les prospectivistes, depuis des décennies, annoncent l'explosion du télétravail et, partant, une relocalisation des métiers.

Dans des économies et des villes largement post-industrielles, la perspective est celle du développement de friches tertiaires (bureaux abandonnés) et de zones de déréliction (quartiers considérablement appauvris). L'application Zoom, largement citée dans le livre, et les enchaînements des confinements et couvre-feux, ont déjà conduit à de nouveaux équilibres dans les vies quotidiennes et entre les classes sociales. Les plus aisés ont pu profiter des nouvelles technologies en s'éloignant des zones trop denses, tandis que les moins favorisés y restaient piégés. Quand les riches s'en vont, les services peu qualifiés s'effondrent. L'ensemble enclenche une dynamique négative dont la portée ne saurait être exactement évaluée.

Au fil des siècles, les villes se sont remises d'autres pandémies et fléaux. Mais elles sont aujourd'hui, du moins aux Etats-Unis, plus fracturées que jamais, selon des clivages sociaux et raciaux exacerbés, transformant les quartiers en enclaves séparées.

L'interdépendance des villes

Potentiellement dévastatrices, ces tendances peuvent être contrecarrées. Pour que les villes demeurent de formidables lieux de rencontres et de connexions, il faut d'abord, selon nos deux économistes, les protéger de nouvelles pandémies. En l'espèce, Glaeser et utler préconisent de basculer d'un système de santé essentiellement curatif à un modèle plus préventif. Le sujet a ses dimensions proprement urbaines, avec une obésité qui se concentre dans les villes.

Plus originaux, ils envisagent la mise en place d'une nouvelle institution internationale : l'Otan sanitaire. Ce n'est pas le modèle de l'Organisation mondiale de la santé qui doit prévaloir, mais celui d'une organisation de défense, agrégeant les nations de bonne volonté. Afin de remédier aux maux sociaux, les recettes contiennent les ingrédients assez traditionnels del'éducation et de la civilité. Les auteurs suggèrent un « programme Apollo pour le capital humain », c'est-à-dire un investissement conséquent dans l'enfance, la petite enfance en particulier.

Ils aspirent aussi à une réforme de la police, qui doit devenir plus proche et plus comptable des citoyens. Leur proposition la plus forte vise la limitation des contraintes pesant sur l'urbanisme et l'économie. Les villes doivent localement dépasser les égoïsmes locaux et promouvoir la construction et l'entreprenariat. Afin de faire baisser les prix du logement, il faut construire des logements. Concrètement, les auteurs plaident pour simplifier et accélérerla transformation de bureaux en logements. Afin d'innover et de créer de la richesse, il faut soutenir ceux qui prennent des risques, pas ceux qui bénéficient de rentes.

Sur le plan global, Glaeser et Cutler invitent les pays riches à se soucier davantage des villes et bidonvilles des pays pauvres. Une pandémie comme le Covid souligne l'interdépendance des villes à l'échelle de la planète. D'où la nécessité de développer partout là où ils sont encore absents les infrastructures et réseaux les plus basiques, comme ceux de l'assainissement. Tout le monde en ressort mieux, les villes pauvres qui en bénéficient directement, les villes riches qui limitent les risques pouvant les déstabiliser gravement.

Les potions des docteurs Glaeser et Cutler, qui restent optimistes, composent un programme sanitaire et social d'abord concocté pour les Etats-Unis. Nombre de leurs diagnostics et remèdes se transposent aisément dans d'autres contextes.

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