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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

Réviser le capitalisme



Julien Damon


Les activistes décroissants dénoncent les méfaits d'un système centré sur l'accumulation matérielle. Et pourtant ! Le capitalisme devient de plus en plus immatériel, il peut se transformer pour le bien de l'humanité.

Quelques étudiants de la grande école AgroParisTech ont récemment défrayé la chronique à l'occasion d'une cérémonie très relayée de fin de scolarité. Se présentant comme des « déserteurs », ils ont indiqué ne plus vouloir participer à un système économique qu'ils rendent responsable des maux de la planète. Explicitement, ils appelaient à en finir avec le capitalisme. Face aux grands défis de l'humanité, dont le défi climatique, deux écoles s'opposent. Dans un cas, le capitalisme compte parmi les principaux problèmes. Dans l'autre, il représente l'une des principales solutions. Alessio Terzi, économiste à la Commission européenne, figure dans le second camp.

Le capitalisme peut être vert

A travers un ouvrage qui voit large, dans l'espace, dans le temps et dans les disciplines, Terzi commence par aborder les thèses décroissantes. Celles-ci font du capitalisme la cause des inégalités grandissantes et du possible effondrement environnemental. En réponse, elles condamnent la croissance économique. Relisant les critiques les plus sérieuses, depuis Malthus, Terzi renverse leur perspective. Il soutient que la croissance, qui a toujours été liée aux progrès scientifiques et technologiques, constitue en réalité le fondement du bien-être et de la liberté. Plutôt qu'un ennemi, la croissance est un allié pour verdir l'économie. Car ce ne sont ni l'économie ni le capitalisme le problème, mais un type de croissance et de capitalisme. Terzi aspire, en un mot, à ce que le capitalisme redevienne « une force pour le bien ».

Afin de réenchanter le capitalisme, dans un contexte de forte contestation notamment de la part des jeunes générations, il plaide pour un capitalisme compatible avec le progrès de l'humanité et de la planète (deux progrès qui vont bien ensemble). Première raison, l'autre terme de l'alternative, c'est-à-dire l'abandon du capitalisme, par une frugalité généralisée et obligatoire, mènerait plus certainement encore à la catastrophe. La décroissance, c'est nécessairement le déclin, la démocratie limitée, les avancées empêchées. Car la figure enchantée d'un monde meilleur, débarrassé du capitalisme, relève de la douce utopie intellectuelle pouvant dériver en idéologie mortifère.

Deuxième raison, le capitalisme, tempéré par des pouvoirs publics intelligents, peut accélérer les innovations et la transition écologique. Terzi livre ses recettes : croissance impérative, mécanismes et prix de marché pour la décarbonation, investissement dans les énergies et technologies propres, souci de limitation des inégalités (en particulier celles résultant du passage d'un modèle capitalistique à un autre). Seules les ressources rendues disponibles par une économie de marché en expansion pourront résoudre les problèmes du monde. Aucune naïveté dans ce propos pro-croissance et pro-capitalisme tempéré, mais un examen des faits et des données, débouchant sur un optimisme de plutôt bon aloi. Un ouvrage à faire lire aux jeunes révoltés d'AgroParisTech.

Voir et toucher le capital

Voici un autre livre dont ils pourraient tirer profit. En 2018, dans « Capitalism Without Capital » (un titre qui se traduit aisément), les économistes Jonathan Haskel et Stian Westlake analysaient la dématérialisation croissante du capitalisme. Autrefois, comme saint Thomas qui, on le sait, ne croyait que ce qu'il voyait et touchait, les économistes et les entrepreneurs pouvaient voir et toucher le capital : des bâtiments, des équipements, des matières premières. Aujourd'hui, les actifs des entreprises et le PIB sont toujours davantage constitués de brevets, de logiciels, de design. Le capitalisme devient intangible.

Dans leur nouvel ouvrage, les deux auteurs approfondissent leurs observations et réflexions, en traitant notamment d'Apple, une des plus grandes entreprises mondiales qui ne possède que très peu d'actifs physiques. La majeure partie du coût d'un iPhone ne provient pas des matériaux et de la main-d'oeuvre, mais des idées et de la propriété intellectuelle qui sous-tendent sa production. Le capitalisme, en quelque sorte, s'est largement métamorphosé. C'est désormais aux politiques et à l'investissement public de vivre leur mue, afin de s'adapter et d'adapter le capitalisme aux nécessités du jour : combat contre les inégalités excessives, soutien aux énergies renouvelables. Ceci passe par du matériel pour l'immatériel (investissements dans les services intelligents) et par une protection optimisée des brevets et droits d'auteurs.

Alors que Marx annonçait et souhaitait son irréductible déclin, le capitalisme se transforme. Et il peut le faire pour le bien de la terre et de l'humanité tout entière. Un message positif et fondé, qu'il est bon de lire et d'entendre.

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