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2019 - ATELIER 5

L'entreprise peut- elle s'inspirer des VC Venture capital pour sélectionner leurs projets innovants ?

[Contexte]

C’est le jeudi 12 septembre, après un bel été, que nous avons eu le plaisir de nous retrouver à Châtillon chez Orange Gardens pour le cinquième atelier de notre voyage annuel au cœur de l’innovation. Notre dernière étape nous avait amenés à se poser la question essentielle de l’écosystème d’innovation.

 

Cette fois, nous sommes entrés davantage dans le « concret », en abordant un point central : comment sélectionner  les projets d’innovation ? Comment les grandes entreprises peuvent-elles en effet effectuer les bons choix de partenariats parmi la masse de projets d'intrapreunariats ou de  startups en France, mais aussi dans le monde ?

 

Qui n’a jamais rêvé en effet d’investir sur le futur Blablacar ou Doctolib ? Si les initiatives ne manquent pas, peu en revanche aboutissent à un tel succès (la France compte moins de dix licornes en 2019, quatre ne faisant pas débat sur leur statut de licorne : Doctolib, Blablacar, Deezer et Meero). Beaucoup d’appelé.es pour peur d’élu.es : 50 % des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence ! Dès lors, quel modèle adopter pour investir de façon pérenne dans l’innovation ?

 

C’est sur cette réflexion que Georges Nahon, ex-CEO d’Orange Silicon Valley, a lancé la journée, suivi ensuite de Jean-David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital, de Denis Barrier, cofondateur et CEO de Cathay Capital, puis de Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, Président du fonds ISAI. Trois investisseurs inspirants accompagnés de trois startuppers engagés qui ont animé notre après-midi de workshop. Une journée au cours de laquelle tout le monde s’est investi à fond !

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En 2018, les startups françaises ont levé un total de 3,203 milliards d’euros l’année dernière, soit près d’1 milliard de plus que l’année précédente (2,3 milliards en 2017). Preuve que la FrenchTech continue d’attirer. En revanche, fait surprenant, le nombre d’opérations a quant à lui légèrement baissé avec pour conséquence d’augmenter considérablement le ticket moyen (4,8 millions d’euros en moyenne). Et 2019 s’annonce déjà comme une nouvelle année record : au 1er semestre, 2,7 milliards d’euros ont été levés par 342 startups, soit 38 % que l’année dernière à la même époque. Au-delà des startups, c’est tout l’écosystème français de l’innovation qui bat des records. Toutefois, parmi la masse de projets d’innovation proposés, lequel(s) choisir ? Comment effectuer le choix d’investissement pertinent pour l’entreprise ? Difficile parfois de détecter les idées les plus pertinentes, et qui aboutiront à un projet concret et apporteront une réelle valeur ajoutée.

 

Par Violaine Cherrier

 

En 2018, quelque 14,7 milliards d’euros ont été investis par les acteurs français du capital-investissement dans 2 200 startups, PME et ETI, dont la majorité (84 %) sont basées en France. Un volume de financements qui confirme l’attractivité de l’hexagone et auquel doivent s’ajouter pas moins de 1 323 décisions d'investissements étrangers. La course à l’innovation est lancée et la France apparaît plus que jamais comme une terre fertile en innovations.

 

Reste désormais à – bien – choisir dans quels projets investir. Quelle est la meilleure innovation pour mon entreprise ? Où et comment la trouver ? Quel modèle d’investissement (et quel montant) choisir ? Comment associer grand groupe et startup ? Autant de questions stratégiques auxquelles il est parfois difficile de répondre pour une grande entreprise. Pour effectuer le bon choix, elles peuvent néanmoins s’inspirer du modèle de Venture Capital.

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1re partie

L’exemple de la Silicon Valley

Apple, Google, Facebook, Netflix, Tesla… La Silicon Valley regroupe quelques-uns des groupes les plus puissants du monde, véritables porte-drapeaux d’un modèle de croissance ultra rapide et de succès économique mondial.

À l’inverse, les startups, quant à elles, délaissent la région de San Francisco du fait du coût élevé de la vie mais aussi de leur difficulté à se positionner par rapport à ces géants de la Tech comme l’explique Georges Nahon, ex-CEO d’Orange Silicon Valley : « Les géants s’attaquent à tous les domaines transformant considérablement le paysage économique, à l’image d’Amazon dont l’impact sur la grande distribution a causé la faillite de marques historiques telles que SEARS. »

e capital risk : un très bon baromètre de ce qu’il se passe

Le 2e trimestre 2019 a été extraordinaire, notamment grâce à l’introduction en bourse de quelques licornes américaines dont Uber. Aujourd’hui, force est de constater que la plupart des investissements portent sur le software car le domaine permet de passer à l’échelle rapidement et de bénéficier des effets réseau. La santé est également en forte croissance à travers la HealthTech, grâce à l’arrivée de l’IA et du machine learning.

 

Toutefois, malgré ces réussites, la situation n’est pas nécessairement au beau fixe. La course aux acquisitions s’accélère car impossible d’obtenir des technologies critiques sans acheter des équipes. Or les profils spécialistes en cybersécurité manquent cruellement sur le marché lié à l’explosion récente du cloud, IoT, IA, ML et data analytics : près de 3 millions de postes sont à pourvoir dans le monde ! Résultat, 80 % des entreprises françaises éprouveraient ainsi des difficultés à recruter un expert en interne.

 

En conséquence, on rachète plutôt des entreprises car elles possèdent les talents et équipes formées. Par exemple : IBM, Salesforce, Oracle… font beaucoup d’acquisitions. En parallèle, les entreprises n’hésitent pas à revendre leur portefeuille de startups lorsqu’elles doivent se renouveler comme General Electric. « Quand les entreprises vont mal, elles se débarrassent de leurs actifs non stratégiques. Or le Corporate VC n’est pas considéré comme stratégique car avec le temps se crée une divergence avec objectif principal du Venture Corporate, explique Georges Nahon. Le futur est entre HYPE et HOPE. »

 

Les cinq technologies fondatrices
 

  • Intelligence artificielle (IA) et machine learning (ML)

  • Blockchain

  • 5G

  • Réalité augmentée, virtuelle et mixte

  • New space : satellites et lanceurs peu chers et réutilisables.

Innovation, corporations et startups

Quelle est la différence entre le comportement d’un VC (venture capital) et d’une entreprise ? Un VC sur 10 est couronné de succès. Or une entreprise a besoin qu’un projet croisse de façon gérable, cadrable et non de façon ératique !

 

Peut-on émuler le modèle VC dans une entreprise ? Non, on ne peut pas reproduire le même modèle mais il faut avoir des ambitions à la hauteur de ce que l’entreprise peut reconnaitre et récompenser. La culture s’impose alors comme un levier de réussite majeur : alors que les transformations ne cessent de s’accélérer, il est indispensable de savoir composer avec « plus de propos et moins de hiérarchie » ! « Sans la bonne culture, il va y avoir une érosion des talents et un manque d’innovation car les meilleurs partiront à la concurrence », poursuit Georges Nahon.

 

Investir dans les startups est une façon de faire une préacquisition car on pense pouvoir l’acheter après pour faire croître son activité. Or les véritables entrepreneurs possèdent des qualités qui ne s’apprennent pas et qui relèvent de leur ADN.

 

Or les entreprises ne peuvent pas se comporter comme une startup dont les possibilités d’action vont souvent bien au-delà de leur périmètre habituel et qui n’ont pas les mêmes problématiques financières. Les startups n’ont pas d’autre choix que de se concentrer sur la vitesse pour trouver un produit qui convienne au marché. Or les grandes structures ne peuvent donner la priorité à la vitesse. « La Silicon Valley est un système qui expérimente constamment avec une majorité d’échecs. Mais les entreprises sont-elles prêtes à se comporter de cette manière ? Il faut essayer, réessayer, changer les modèles, d’investisseurs… et embrasser plein de grenouilles pour trouver un prince ! »

 

Néanmoins, les entreprises perdent souvent leur vision et ne parviennent pas à transformer leurs connaissances en impact. Elles doivent faire la paix avec l’incertitude. C’est pourquoi elles ont besoin de personnes créatives et des soldats et que ces deux mondes là vivent en paix et interagissent. Elles ont besoin de dissidents comme Steve Jobs ou Elon Musk qui s’attaquent à l’establishment ! Voilà ce que sont les fondateurs et entrepreneurs. « Les industries sont développées par des gens de l’extérieur qui pensent que tout est possible et non par des gens de l’intérieur qui pensent que tout est impossible ! »

 

[Encadré]

Les 3 principaux leviers de croissance pour un grand groupe 

  1. Trouver la compatibilité entre aujourd’hui et demain : structurer, organiser, formater pour qu’il y ait adhésion entre l’existant et l’inexistant.

  2. Il faut des artistes et ça s’organise différemment selon les cultures existantes dans l’entreprise pour être le plus proche possible du CEO. Les entreprises structurellement ont beaucoup de difficultés à adopter les idées qui viennent d’ailleurs.

  3. La récompense.

Voilà pourquoi il est intéressant d’envisager des acquisitions : pour diversifier les équipes et notamment intégrer des profils créatifs dans l’entreprise.

2e partie

De VC à CVC : sourcer la meilleure innovation

Qu’est-ce qui attire l’attention d’un VC ? Une équipe, la traction et un marché donnant beaucoup d’espace de développement, notamment à l’international. « Nous sommes impliqués au jour au jour auprès des dirigeants pour les accompagner mais pas dans les opérations de l’entreprise. Nous sommes des investisseurs ! On cherche un asset innovant pour créer une survaleur en peu de temps. On cherche un marché donnant un espace de développement. Aujourd’hui, la technologie change le monde », présente Julien David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital.​

Identifier et soutenir les meilleures innovations

Investir, c’est bien, mais investir bien, c’est mieux. Et pour y parvenir, il est bien sûr nécessaire de bien étudier les dossiers. Certains points plus particulièrement requièrent une étude plus approfondie.

  • Des marchés à signaux mixtes et complexes : concurrence, barrières à l’entrée ou règlementation

  • Innovation market-driven versus product-driven : ce modèle d’innovation est-il disruptif et durable, la market place va-t-elle attirer les utilisateurs… ?

  • Type de croissance et levier : nice-to-have versus must-have

 

Le point de vue de Denis Barrier, Cofounder et CEO à Cathay Capital

« La vraie difficulté est de voir le potentiel et de ne pas investir dans des petites startups qui font les choses à la marge sans rien changer du tout. Au niveau du deal flow, on s’intéresse moins à l’idée qu’aux conditions de succès. On identifie des sujets grâce à une connaissance industrielle. On connecte les écosystèmes. Le point important, ce sont les conditions de succès. Nous devons être convaincus de la manière dont il est possible de mettre en place les choses et de faire en sorte que ça marche. Nous étudions alors tous les points qui permettent d’aller vite : l’entrepreneur, le projet, les partenaires, la traction, le deal flow, le budget, la gouvernance, les niveaux de délégation… Quand toutes ces conditions sont allouées, on prend les décisions. Il y a un acte de confiance fort, il y a la liberté et il y a la responsabilité ensuite. Il ne s’agit pas des startups vs les grands groupes : on a besoin des uns et des autres. Pour innover, changer le cœur de certains produits, les grands groupes ont besoin des startups et nous regardons alors quelle est la bonne dans l’écosystème. Ça marche sur la confiance, il faut avoir envie de travailler ensemble, d’interagir… Ce lien de confiance est clé car nous sommes dans un métier d’investisseurs et d’entrepreneurs. Donc le risque existe ! »

http://www.cathay.fr/fr/

 

​Le VC : un mode de fonctionnement complémentaire

Le rôle d’un corporate est de créer un produit, le vendre, le faire croître et payer ses employés​

Un investisseur place des fonds, fait grandir l’argent et le produit et restitue l’argent. Face au changement de paradigme apporté par les startups, le corporate ne sait plus comment innover. Or il faut anticiper l’avenir du groupe. Le rôle du corporate est alors de penser à son avenir, à celui de l’investisseur et à celui du marché.

« On se rejoint avec le corporate dans le deal flow : plus on vous connaît, plus on va faire de l’investissement ciblé. Aujourd’hui, en tant que corporate vous devez adresser, maintenir l’innovation, parfois investir, passer. Et dans le monde actuel qui s’intensifie, il va falloir trouver un modèle durable en aidant des sociétés à scaler dans un écosystème qui va de plus en plus vite. Selon nous, voilà le modèle vertueux », affirme Julien David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital.​

Ainsi, VC et entreprises peuvent ainsi collaborer en toute complémentarité grâce à un partage de dealflow, des investissements cadencés ou communs et une mise en relation ciblée.

 

Le point de vue de Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, Président du fonds ISAI

« Très clairement, le jeu de ce métier est d’investir avant que tout le monde s’intéresse à un sujet mais pas trop tôt non plus sinon on ne pourra pas démontrer son potentiel. Le bon timing est de démontrer que quelque chose va arriver vite et pas que ça va arriver un jour car certains produits arrivent sur le marché 10 ans après. Donc on a aucune stratégie établie mais un opportunisme forcené. Il est toutefois à noter que l’expérience de VC ayant drivé des entreprises dont le capital est majoritairement tenu par des corporate reste extrêmement faible. »

http://www.isai.fr/

Partie 3

 

Quels sont les critères d’investissement ?

 

Après une matinée intense et une pause déjeuner bien méritée, l’après-midi était dédié aux ateliers. L’occasion pour les participants de mettre en pratique les riches enseignements reçus le matin et de se glisser à leur tour dans la peau d’un investisseur. Une mise en pratique dans des conditions proches du réel puisque trois « vrais » entrepreneurs, startuppers sont venus pitcher leur projet :

  • Mickaël Kissous, président fondateur de KidiWee

  • Aymard de Scorbiac, fondateur et CEO de NOrder

  • Elliott Siegler, cofondateur et président d’AmazingContent

 

Chaque groupe a alors dû évaluer le potentiel de chaque projet et leur attribuer un budget « virtuel » selon leur classement. Si plusieurs critères peuvent et doivent être pris en compte, certains doivent être analysés avec précision pour établir au plus juste la « valeur » et « le risque potentiel » de l’investissement. Parmi lesquels :

  • La maturité et la taille du marché

  • La scalabilité

  • La monétisation

  • Les avantages concurrentiels

  • La marge

  • La valorisation

  • La gouvernance et l’équipe

  • Le degré d’innovation

 

Ressources

 

Vidéo 

Jean de La Rochebrochard, CEO Kima Ventures (fonds d’investissement de Free, Xavier Niel)

https://www.youtube.com/watch?v=pd1tc83uHyg

 

Blog

https://medium.com/@Domingues_David

https://blog.feedspot.com/venture_capital_blogs/

https://articles.bplans.com/17-venture-capital-blogs-you-should-be-reading/

https://medium.com/startup-grind/all-the-venture-capital-fundraising-bloggers-you-should-be-following-6ea9817039c4

Les Échos, juin 019 – https://start.lesechos.fr/startups/actu-startups/combien-compte-t-on-vraiment-de-licornes-en-france-15396.php

Maddyness, janvier 2019 – https://www.maddyness.com/2019/01/03/maddymoney-bilan-2018/

Source : Medium, https://medium.com/@AdrienChl/bilan-et-analyse-des-lev%C3%A9es-de-fonds-1er-semestre-2019-97ef9608fb0e

Baromètre 2018 publié par France Invest – https://www.businessfrance.fr/decouvrir-la-france-article-le-capital-investissement-francais-bat-de-nouveaux-records

Selon une étude publiée en octobre 2018 par (ISC)²

     
  Pour aller plus loin sur notre sujet , 3 articles ...

 

Il faut en finir avec les « startupisations » de façade !

Jean-Christophe Conticello

A en croire les grands incubateurs, les organisations traditionnelles ne peuvent envisager de poursuivre leur développement sans collaborer étroitement avec des start-up. Beaucoup d'initiatives sont ainsi lancées pour rapprocher ces deux mondes, comme l'ouverture récente du studio Schoolab, faisant cohabiter jeunes pousses, étudiants et entreprises.

Plus largement, la liturgie de l'innovation fait depuis longtemps la part belle au « fail fast » et à l'agilité. Les potentielles licornes sont devenues des sources d'inspiration pour les grands groupes, contraints de désapprendre ce qu'ils ont religieusement appris. Mais jusqu'où prôner cette « startupisation », dans un contexte où une infime minorité de jeunes pousses parviennent à pérenniser leur modèle de croissance ?

Si l'on s'en tient à une analyse caricaturale de l'économie à l'âge du numérique, le salut des grands groupes passerait par le nombre de start-up qu'ils comptent en leur sein. Le potentiel d'innovation est pourtant loin d'être corrélé à la « coolitude » d'une entreprise. Or c'est bien à cela qu'on juge de la réussite d'une initiative. Netflix et Facebook ont intégré les foyers de la plupart des individus : en ce sens, l'innovation n'est pas l'apanage des start-up !

Nicolas Menet et Benjamin Zimmer, engagés dans l'économie des seniors, prennent à coeur cette question de l'usage et dressent, dans un livre, un constat sévère du « start-up washing » ambiant : « La mascarade, c'est que ce qui compte aujourd'hui, c'est de lever des fonds et pas forcément de répondre à un besoin. » Bien sûr, toutes les start-up ne sont pas des fausses bonnes idées. Mais avant de prendre une décision engageante, les grands groupes doivent se poser les bonnes questions : comment mettre l'utilisateur au centre de mes services pour les lui faire adopter ? comment faire évoluer mes produits pour répondre aux demandes émergentes ?

Rien ne sert donc de se « startupiser » si l'objectif est de s'offrir l'illusion d'un coup de jeune. La stratégie de rachats opérée par Yahoo! n'a pas suffi à faire oublier ses erreurs : ce n'est pas l'acquisition de GeoCities ou de Tumblr qui aurait pu compenser le train raté des réseaux sociaux. Les start-up ne doivent pas être le cache-misère d'une fausse transformation.*

Ajoutons à cela qu'il est extrêmement long, quand on crée ou rachète une start-up, de lui donner les moyens de passer à l'échelle. Est-il toujours pertinent de concentrer de l'énergie (et de l'argent) dans des offres périphériques, quand c'est le coeur de métier qui est à risque ? Le fait que des acteurs de l'énergie ou du « retail » organisent des concours de start-up en reléguant au second plan leurs clients principaux - qui partent massivement - a de quoi laisser perplexe.

La problématique est financière, mais aussi culturelle. C'est bien la culture qui permet de fédérer, de rayonner et construire l'avenir. Grandes corporations et start-up ont beaucoup à faire ensemble et peuvent converger vers de belles réussites. Mais gardons à l'esprit que le plus souvent, lors d'un rachat, la greffe ne prend pas : les créateurs de start-up ne se reconnaissent pas dans leur projet, et les employés de la maison mère sont déstabilisés par un impératif de changement dont ils ne comprennent pas la finalité.

Le seul mot d'ordre qui vaille est celui de la transformation au service du business, peu importe son biais. Les entreprises évoluent dans un environnement imprévisible. Il leur faut donc être capable de réinventer continûment leur coeur de métier, en capitalisant sur ses actifs les plus solides. C'est ce qui a permis à Fujifilm de connaître un nouvel essor, à l'heure où le passage au numérique remettait en question sa stratégie. Fujifilm s'est défini à partir de ses compétences (la chimie) et a trouvé de nouvelles applications à celles-ci, là où Kodak a préféré s'accrocher à son vieux métier.

Dans les faits, la transformation passe souvent par une coopération poussée avec des start-up, dont les méthodes encouragent une culture plus entrepreneuriale ainsi qu'un « time to market » plus rapide. McDonald's a fait l'acquisition d'une société spécialisée dans le traitement de la donnée. L'objectif est cohérent : il s'agit de proposer aux clients des menus personnalisés en fonction de la météo ou du moment de la journée. C'est ce type d'initiative, au service d'une meilleure expérience, qui a du sens et garantit l'adoption massive des services. Pas dans une « startupisation de façade » !

L'entrepreneuriat, ça s'apprend !

Le gène de l'entrepreneur n'existe pas. Créer une boîte et la mener au succès, cela s'apprend. Au moins pour éviter les principales erreurs.

« Pensez-vous que l'entrepreneuriat puisse s'enseigner ? » C'est souvent l'une des premières questions que je pose au début d'un atelier ou d'un cours. Un silence s'abat invariablement sur le groupe. Mes auditeurs, mal à l'aise, s'agitent sur leur chaise. Quelques-uns d'entre eux me répondent poliment par l'affirmative - ils sont « venus pour ça ». Après un échange courtois, quelqu'un finit néanmoins toujours par dire tout haut ce que beaucoup d'autres pensent tout bas : « N'importe quoi ! L'entrepreneuriat, c'est dans les gènes ! » Cette personne, une fois lancée, défend fougueusement son point de vue.

Déboulonner trois mythes fallacieux

Je l'aime bien, cette personne, je dois dire, surtout parce qu'il y a quinze ans, c'est moi qui aurais tenu ce discours. Je sais maintenant que si, cela s'apprend. Je le vis pratiquement toutes les semaines, à l'occasion de mes cours au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et ailleurs, dans de nombreux pays. Richard Branson, Steve Jobs, Bill Gates, Larry Ellison et autres héros très médiatisés de l'entrepreneuriat ont certes l'air différents du commun des mortels - ils semblent même extraordinaires, au sens littéral du terme. Ils doivent tous néanmoins leur réussite à un produit remarquable et non à je ne sais quel gène.

Pour réussir une création d'entreprise, il faut pouvoir compter sur des produits exceptionnels et innovants. Il peut s'agir de marchandises physiques, mais aussi de services ou de la façon d'en faire la promotion. Aucun autre facteur de réussite ne pèse bien lourd sans un tel produit. Or c'est l'aboutissement d'un processus qu'il est possible d'enseigner et d'apprendre.

[La discipline entrepreneuriale] présente une méthode disciplinée, par étapes successives, pour créer une nouvelle entreprise. L'ensemble constitue une feuille de route, aussi utile en salle de cours que pour les personnes décidées à créer une entreprise sur un nouveau marché. Mais avant, il nous faut déboulonner trois mythes qui gênent souvent les candidats à la création d'entreprise ainsi que ceux qui s'efforcent de leur en enseigner les techniques.

Plus de fondateurs =  plus de chances de réussir

Il existe de nombreuses idées reçues (et fausses) sur la nature de l'entrepreneuriat et les qualités indispensables à tout entrepreneur. La première, c'est que ce sont des individus qui créent des entreprises. Si l'on dit souvent que l'entrepreneur est un héros solitaire, une lecture attentive de la recherche en la matière débouche sur la conclusion inverse : ce sont les équipes qui créent les entreprises. Une équipe plus nombreuse accroît en fait les chances de réussir, il est important de le savoir.

Le deuxième mythe, c'est que tous les entrepreneurs sont charismatiques et que cet attribut est un facteur essentiel à leur succès. En fait, si le charisme peut être utile durant une période courte, son efficacité est difficile à maintenir sur la durée. La recherche montre qu'il est plus important d'exceller en matière de communication, de recrutement et de vente.

Le troisième mythe, c'est le gène entrepreneurial : certains seraient prédisposés par leur ADN à réussir chaque fois qu'ils créent une start-up. Ce gène physique n'a pas encore été isolé et ne le sera jamais. Certains pensent que des traits de personnalité comme le panache ou l'audace sont corrélés à la réussite entrepreneuriale - ils se trompent. En fait, un certain nombre de savoir-faire augmentent les chances de réussir, comme le management des hommes, la compétence commerciale, ainsi que la conception et la réalisation du produit.

Loin d'être des dons du ciel dont bénéficieraient quelques heureux élus, ce sont des savoir-faire que l'on peut enseigner. Les gens peuvent s'adapter, apprendre de nouveaux comportements - l'entrepreneuriat peut donc se décomposer en comportements et processus distincts, qui s'apprennent. Pour en trouver la preuve, inutile de chercher plus loin que le carré magique (2,5 km2) où se situe le MIT. Les étudiants qui en sortent sont extraordinairement prolifiques en matière de créations d'entreprises. En fait, il y en avait déjà plus de 25.000 en 2006, et il s'en crée 900 autres tous les ans. Ces entreprises emploient plus de 3 millions de personnes et réalisent un chiffre d'affaires cumulé d'environ 2.000 milliards de dollars. Pour mettre ces chiffres en perspective, le chiffre d'affaires annuel total de ces entreprises fondées par des anciens élèves du MIT est l'équivalent de la 11e économie mondiale [la Corée du sud, NDLR].

Quand les fonds poussent les start-up à se vendre

Sous la pression d'investisseurs, de jeunes pousses passent sous pavillon étranger.
INNOVATION «  Je ne voulais pas vendre. Mais les fonds d'investissement étaient pressés et j'ai dû céder . » Quelques mois après la vente de sa société, l'amertume est encore palpable chez cet entrepreneur. Sa start-up, jadis classée parmi quelques pépites tricolores de la tech a filé entre les mains d'un groupe américain.
Ces derniers temps, ce scénario s'est répété. «  Il va même être de plus en plus fréquent  », prédit Julien Coulon, directeur général CM-CIC Innovation, et ancien fondateur de Cedexis. C'est une simple question de calendrier. Les levées de fonds ont été nombreuses en 2014 et 2015, il y a cinq ou six ans. Justement le délai à partir duquel la plupart des investisseurs cherchent à réaliser leurs gains. «  Les fonds voulaient sortir, cinq ans après être entrés à notre capital. J'ai commencé à chercher d'autres investisseurs pour les remplacer . J'ai été contacté par notre principal concurrent européen, le britannique Wireless Logistic. Le projet global avait un sens industriel. C'est donc la solution que j'ai validée  », relate de son côté Frédéric Salles, président et fondateur de Matooma. «  I l faut plus de cinq ans pour faire une licorne  », ajoute Julien Coulon, qui parle d'expérience.
L'année dernière, il a cédé sa start-up Cedexis à un fonds américain. «  J'ai la certitude qu'en ayant attendu cinq ans de plus, elle aurait été vendue cinq fois plus cher  », ajoute-il. Mais le temps des entrepreneurs n'est pas celui des investisseurs. «  Quand un fonds peut sortir il le fait. Nexstage (le fonds qui avait investi dans Greenflex, NDLR) , n'a pas voulu prendre le risque d'accompagner l'entreprise dans sa croissance. Nous n'avons pas été accompagnés pour devenir une licorne , renchérit Frédéric Rodriguez, président de Greenflex, une start-up rachetée il y a dix-huit mois par Total. C'est une autre aventure, qui se passe bien  ». Si Greenflex est restée française, nombreuses sont celles qui filent à l'étranger... Et tous les fondateurs n'ont pas la chance de rester en place. Certains sont contraints de quitter leur entreprise au moment de la cession !
Se pose aussi la question de la profondeur du marché français du financement, illustrée par l'exemple de Matooma. Son concurrent britannique venait de lever 400 millions d'euros et avait les moyens de mener la consolidation en Europe. Sept ans après sa création, le français affichait un taux de croissance de 50 %. Il s'apprête à réaliser un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros cette année. Pour autant, il ne parvenait pas à lever plus de 60 millions d'euros. Pas suffisant pour rester dans la course face aux velléités de croissance externe de Wireless Logistic.
Des intérêts divergents
Les préoccupations des investisseurs ne sont pas celles des entrepreneurs. Par définition, un fonds est investi dans plusieurs start-up. Son modèle économique repose sur le fait qu'une ou deux seront des succès et les autres non. Il a donc tout intérêt à valoriser au mieux les plus profitables, quitte à les céder contre la volonté des fondateurs. Ces derniers, eux, n'ont par définition qu'un modèle à défendre : celui de la société qu'ils ont créée. «  Mon conseil aux entrepreneurs ? Ne faites pas appel à des investisseurs, c'est trop risqué   ! , lance Tristan de Viairis, associé chez Melcion, Chassagne et Cie, un cabinet de conseil. Mieux vaut croître moins vite mais être rentable et, quand c'est possible, faire appel à des banques . » Nombre d'entrepreneurs regrettent d'avoir perdu le contrôle de leur société au fil des levées de fonds successives. La réglementation française ne leur offre pas la même protection qu'aux États-Unis. Outre-Atlantique, les fondateurs bénéficient souvent d'actions à droit de vote multiple, quand ils sont plafonnés à des droits de vote double en France.


Recourir à des investisseurs reste néanmoins un moyen pour accélérer sa croissance en allant plus vite sur de nouveaux marchés. «  Mais si c'était à refaire, je ferais appel à d'autres profils financiers. Je me tournerais davantage vers des family offices ou des banques  », ajoute Julien Coulon, dont le rôle au CM-CIC est désormais d'accompagner et de financer des start-up. «  Les banques investissent leur argent, elles ont donc un horizon plus long que celui des fonds  », explique-t-il. Aux États-Unis, l'écosystème est suffisamment puissant pour porter plus longtemps les start-up. Les fonds peuvent aussi compter sur la Bourse pour prendre le relais, tandis que la France souffre du manque de dynamisme de son marché financier.
Source : Factiva / Le Figaro

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