top of page
  • Photo du rédacteurThierry Bardy

Andy Jassy, l'ombre de Jeff Bezos à la tête d'Amazon



Véronique Le Billon Bureau de New York Nicolas Rauline Bureau de New York


Le nouveau patron d'Amazon n'a pas le charisme de Jeff Bezos. Mais il a été l'une des pierres angulaires de son succès en développant son offre de cloud, Amazon Web Services. Les défis qui l'attendent sont gigantesques.

Un quart de siècle dans l'ombre de Jeff Bezos, et maintenant la pleine lumière. Quand le fondateur d'Amazon a annoncé en février dernier qu'il cédait son poste de PDG à « Andy » pour se concentrer sur des projets clés du groupe et une présidence exécutive, bien peu connaissaient le nom de ce New-Yorkais. A cinquante-trois ans, Andy Jassy fait pourtant partie des premiers « Amazonians » et a passé tous les « tests de résistance » du géant de Seattle. « Avec Jassy, Bezos a donné son onction à un leader discipliné qu'il a méticuleusement formé à sa façon inhabituelle de gérer, qui s'est bien comporté sous les feux de la rampe et qui présente une cible un peu plus humble pour les opposants politiques d'Amazon », résume Brad Stone, auteur d'« Amazon Unbound », une plongée dans l'univers de la plateforme.

Andy Jassy est presque né (professionnellement) chez Amazon : il a passé son dernier examen de MBA à la Harvard Business School « le premier vendredi de mai 1997 », et s'est retrouvé le lundi suivant chez Amazon, à l'autre bout du pays et juste avant l'introduction en Bourse de la start-up de Seattle - sa future femme, originaire de Los Angeles, voulait retourner vivre sur la côte ouest. Après avoir tenté une carrière de journaliste sportif sur ABC Sports et Fox TV, l'ancien athlète scolaire avait repris des études pour un métier plus sérieux. Et il avait préféré Harvard à Stanford (Californie), en faisant le pari que les mois d'hiver rigoureux à Boston (Massachusetts) seraient plus propices aux études.

Contrairement à son « boss », Andy Jassy n'est pas un « techie ». Quand il arrive à Seattle, il rejoint la petite équipe marketing, s'occupe de la veille concurrentielle et de la rétention des clients, avant de basculer dans la « SWAT team » (ainsi nommée en hommage aux unités d'élite de la police américaine) sur les projets de diversification - il choisira la musique. Son premier marchepied vers la tête de l'entreprise est un poste de « l'ombre » : Jassy devient pendant un an et demi une doublure de Bezos, entre directeur de cabinet et petite souris autorisée dans toutes les réunions - de quoi entrer dans la tête du « boss ». « En sortant de ce poste, nous avons eu l'idée de construire une plateforme d'infrastructure technologique qui permettrait à Amazon de développer et de réaliser des choses plus rapidement, mais aussi pour les entreprises tierces », racontait-il en septembre dernier au podcast « The disruptive voice » de la Harvard Business School. Avec une équipe, il travaille sur un « document de vision » pour voir à quoi l'activité pourrait ressembler.

La vache à lait d'Amazon

Au début des années 2000, Amazon n'est déjà plus uniquement un libraire en ligne. Ses activités vont bien au-delà et il cherche à accompagner certains commerçants en leur proposant des solutions pour, à leur tour, vendre en ligne. C'est le cas notamment de Target ou de Marks and Spencer. Mais ses dirigeants sentent que cette montée en puissance est freinée par des questions techniques. Les délais sont rarement tenus dans les projets qu'ils mènent avec leurs clients. « Fournir une solution à Target, l'un de nos premiers clients, était beaucoup plus douloureux que tout ce que nous pouvions imaginer », dira plus tard Andy Jassy. Le scénario se répète à chaque fois. Pour chaque projet, il faut tout recommencer, déployer des serveurs, transférer…

Or, s'il est une chose dont Jeff Bezos et ses acolytes sont fiers, ce sont les infrastructures d'Amazon. « Au cours des dix premières années, nous avions compris que nous avions développé d'énormes compétences en termes d'infrastructures : des centres de données fiables, évolutifs et rentables pour développer le commerce de détail d'Amazon, exactement comme nous en avions besoin », a ainsi expliqué Jassy.

L'expérience Amazon sert à ne pas répéter les mêmes erreurs. Alors que la construction des infrastructures du géant a abouti à un millefeuille gigantesque, avec des couches enchevêtrées, Amazon Web Services (qui ne s'appelle pas encore comme cela) crée des applications claires et simples à utiliser pour ses clients. La naissance officielle d'Amazon Web Services (AWS) a lieu en 2003, lors d'une réunion chez Jeff Bezos. Au menu du jour : les forces et les faiblesses du groupe. Ce qui devait durer une demi-heure s'éternise. En tant que « directeur de cabinet » non officiel de Bezos, Jassy a pris des notes sur tout. Il est le mieux placé pour cet audit qui ne dit pas son nom. Et la décision est prise de miser sur le cloud, qui devient une priorité stratégique du groupe. Ses atouts ? Sa fiabilité, les infrastructures étant l'une des plus belles réussites d'Amazon. Mais surtout sa rentabilité. Là où la grande majorité des activités du géant perdent de l'argent, le cloud en gagne. Et beaucoup. Se développe alors la vision d'un service qui ne serait plus le moteur d'Amazon, ni même celui de quelques clients, mais l'infrastructure d'Internet. La chance d'AWS ? Aucun concurrent ne réagit. Il se passe plusieurs années avant que les Microsoft, Google, IBM et autres ne prennent conscience que le cloud est en train de révolutionner le secteur. Andy Jassy, lui, a le triomphe modeste. « Je crois que personne n'avait l'audace, à l'époque, de prédire que cela grandirait si vite et à un tel niveau », rappelle-t-il. Ce n'est qu'en 2015, quand le groupe publie les résultats de la branche, que les acteurs du secteur se rendent vraiment compte de son poids et de sa rentabilité.

Décontraction et discipline

L'emprise d'Amazon Web Services est gigantesque. En termes de revenus, il contrôlerait 45 % du marché, loin devant Microsoft (19 %) et Google (5 %), selon Gart-ner. Et il génère près des deux tiers des profits d'Amazon. Une grande partie des agences fédérales américaines l'utilise : depuis le Département de la Santé, le premier à faire confiance à AWS, jusqu'au Pentagone et la CIA. Même les concurrents d'Amazon font appel à ses services : Apple pour iCloud, Netflix pour son service de streaming concurrent de Prime Video… Après les Bezonomics, Jeffisms et autres, y aura-t-il des Jassynomics ? De Jeff Bezos, Andy Jassy dit qu'il est « un mélange inhabituel de fortes compétences techniques et d'une grande empathie envers les clients. On ne trouve généralement pas ces deux qualités chez une même personne ». Andy Jassy semble être, lui, un mélange de décontraction et de discipline. A l'occasion d'un regard en arrière sur ses années de lycée à Scarsdale près de New York, il a dit qu'il aurait « aimé savoir qu'essayer d'être cool ou populaire était surfait ». Le disciple Jassy adhère aux fameux mémos de six pages et autres leçons de management qui ont fait le succès d'Amazon. Il a baptisé la salle de réunion où les projets et leurs concepteurs passent sur le gril, « the chop » (« le couperet »), en souvenir du nom de son dortoir à Harvard et en référence à la Chartreuse de Parme de Stendhal. Chaque semaine, lors de la grande réunion de résultats, une roue est aussi lancée pour interroger au hasard de l'aiguille tel ou tel manager.

Des défis immenses

« D'après ses collègues, il faisait preuve d'une discipline presque inhumaine, siégeant en réunion dix heures par jour et digérant des documents denses et complexes sans faiblir », raconte Brad Stone dans « Amazon Unbound ». De ses racines new-yorkaises, Andy Jassy a visiblement gardé une forme d'impatience. « Je me déplace probablement à un rythme un peu plus rapide que la personne moyenne de Seattle. Je conduis probablement un peu plus vite et je klaxonne un peu plus souvent », reconnaissait-il dans une interview.

Andy Jassy a connu tous les débats stratégiques au sein de la « S-team » d'Amazon, cette équipe de super-conseillers qui comptait aussi le patron de Prime Jeff Wilke, parti d'Amazon l'an dernier et qui aurait pu lui aussi prétendre à la succession. Jassy en a retenu qu'il est difficile d'innover quand les marges sont confortables - c'est en tout cas comme cela qu'il explique le retard des concurrents sur AWS. Et que l'innovation est un processus souvent brouillon. « Il y a des gens qui veulent vraiment être la personne qui peut fournir la réponse. Comme dirigeants, notre travail consiste à trouver la bonne réponse, quelle qu'elle soit et quelle que soit la personne qui la propose, puis nous devons construire un processus et le faire avancer », a-t-il expliqué à « The disruptive voice ».

Fort des résultats dans le cloud, Jeff Bezos a donné progressivement à Andy Jassy de l'autonomie, s'assurant seulement que sa division conservait son avance sur ses concurrents. Le nouveau PDG devra maintenant démontrer toute sa rigueur pour continuer à améliorer la chaîne logistique, dans un contexte de concurrence accrue dans la vente en ligne (face à Walmart aux Etats-Unis, notamment), et sa culture du dialogue, alors que le climat social est de plus en plus agité chez Amazon - certains entrepôts tentent de créer un syndicat. Jeff Bezos a reconnu que, dans ce domaine, tout n'était pas parfait. Jassy fait preuve d'une ouverture d'esprit qui n'est pas la principale qualité de son prédécesseur. Ceux qui l'ont côtoyé décrivent un manager exigeant, pointilleux, mais qui sait parler à ses équipes ou s'y mêler. Comme lors des conférences Re : invent, organisées pour la communauté AWS et dont il était le véritable maître de cérémonies. Ou lors du Tatanka Challenge, un concours mensuel du plus gros mangeur de « chicken wings » dans un restaurant de Seattle. Andy Jassy en est fièrement « membre platine », un statut gagné en ingérant 25 ailes de poulet en une soirée…

L'anti-star

Ce fan de sports, supporter des Giants de New York, affiche 400 millions de dollars de fortune personnelle, sans compter les 61.000 actions sur dix ans qu'Amazon va lui accorder au titre de ses nouvelles fonctions, soit 214 millions de dollars au cours actuel. Mais il ressemble davantage au voisin du quartier qu'à un Jeff Bezos désormais « starisé ». Il n'aime visiblement rien tant qu'inviter des collègues et ses amis dans le bar qu'il a reconstitué dans le sous-sol de sa maison, baptisé « The Helmet Head ». Sept écrans y sont installés pour regarder religieusement le Super Bowl.

Grâce à la position unique d'AWS sur le marché, Andy Jassy a pu tisser pendant quinze ans des liens dans des milieux très différents, qui pourront aujourd'hui lui être utiles à la tête d'Amazon. Mais il n'est pas un homme de réseaux et, au moment où l'étau se resserre sur les géants et que les appels à davantage de réglementation se multiplient, certains attendaient davantage un profil de négociateur bien introduit à Washington pour succéder à Bezos. Libéral sur le plan des valeurs, Andy Jassy a déjà prouvé qu'il savait évoluer. Ainsi, quand on accusait un logiciel de reconnaissance faciale d'Amazon Web Services de biais racistes, il bottait d'abord en touche, soulignant qu'Amazon n'était pas responsable de la manière dont la police utilisait ces outils.

Avant de revenir en arrière face aux protestations et de décider un moratoire sur l'utilisation de ce logiciel. « Si vous ne tenez pas la police responsable du meurtre de Noirs, nous n'aurons jamais la justice et le changement. Nous ne serons jamais le pays que nous aspirons et que nous prétendons être », écrivait-il sur Twitter. Une manière aussi d'affirmer sa personnalité et ses convictions.

2 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

L'économie française doit se préparer à +4 °C

Benoît Leguet Après un été qui a encore connu des records climatiques, la question se pose de la résilience des activités économiques et des investissements dans un climat qui change. Après un mois

bottom of page