Raphaël Balenieri A Oulu (Finlande)
A Oulu, près du cercle polaire, les 500 chercheurs du laboratoire 6G Flagship dessinent déjà les contours de la prochaine technologie mobile, censée arriver à l'horizon 2030. Le pays de Nokia veut tourner la page de la 5G, qui n'a pas séduit les industriels et n'a pas tenu ses promesses.
C'est un petit paradis pour étudier et innover. Avec ses multiples cafés, ses énormes poufs pour faire la sieste, son « fablab » pour imprimer en 3D et même plusieurs coiffeurs, l'université ultramoderne d'Oulu, en Finlande, ne ressemble en rien aux facultés françaises.
Sur le toit, un réseau 5G privé fournit une superconnectivité aux 14.000 étudiants. Tout autour, 400 capteurs contrôlent la température, l'humidité, l'ensoleillement… Des informations cruciales dans ce coin de Laponie recouvert de neige, à seulement 200 kilomètres du cercle polaire. En cette journée d'hiver, le thermomètre descend à -15 degrés et le soleil se couche à 15 heures.
Mais un autre élément fait que l'université d'Oulu boxe dans une autre catégorie. Alors que la 5G peine à trouver son public sur le Vieux Continent, le campus est l'un des premiers en Europe et dans le monde à plancher déjà… sur la 6G. Depuis 2018, 500 chercheurs de 54 nationalités, au sein du 6G Flagship, dessinent les contours de la prochaine génération de réseau mobile. « C'est la technologie que nous utiliserons pendant toute la décennie 2030, peu importe la forme qu'elle prendra. Nous avons plein d'idées ! » sourit Matti Latva-aho, le directeur du laboratoire, financé à hauteur de 251 millions d'euros.
Les 6 apports de la 6G
Le sujet est crucial pour la Finlande et l'Europe. Le pays qui a enfanté Nokia (le seul équipementier télécoms européen avec Ericsson) a été marqué à vie par la grande crise de 2013. Cette année-là, après avoir loupé le virage du smartphone, l'ex-entreprise star se voit obligée de vendre son activité terminaux mobiles à Microsoft pour plus de 5 milliards de dollars, pour se concentrer uniquement sur les équipements aux opérateurs. A Oulu, 5e ville de Finlande, des milliers de salariés perdent alors leur emploi.
Dix ans plus tard, alors que Nokia connaît à nouveau des difficultés (le groupe va licencier jusqu'à 14.000 salariés dans le monde d'ici à trois ans), la Finlande veut prendre de l'avance. La pression est forte, les générations de réseau mobile n'arrivant que tous les dix ans. Le but est de poser les bases théoriques, avant que la 6G ne soit standardisée dans les enceintes de l'ONU en 2028 puis lancée commercialement en 2030, pour capter en premier les bénéfices économiques et commerciaux. Car en face, les Etats-Unis et la Chine sont aussi en pole position.
Les contours de la 6G sont certes encore très flous. A Oulu, ses concepteurs l'imaginent comme un hexagone, avec six points cardinaux, tandis que la 5G était plutôt un triangle. Ainsi, les trois apports de la 5G seront amplifiés : la 6G devrait offrir des débits 10 fois supérieurs (de l'ordre de 1 gigabit par seconde), une réactivité 10 fois plus rapide (latence de l'ordre de 0,1 milliseconde) et la capacité de connecter plus d'objets.
Mais pour la première fois, la 6G transportera aussi autre chose que des données, des vidéos TikTok ou des séries Netflix. Par exemple, des cartes 3D, des jumeaux numériques, des hologrammes… Elle assurera une connectivité « omniprésente » et déplacera encore davantage le process informatique vers le cloud. De quoi alléger et miniaturiser nos appareils du futur… « Les casques de réalité virtuelle, et non les smartphones, seront peut-être le moyen privilégié pour utiliser la 6G. Or, aujourd'hui, ces casques sont lourds et reliés par des câbles. Nous avons besoin de la 6G pour enlever tout ça », plaide Mika Rantakokko, de l'institut de recherche finlandais VTT.
La 5G, un « gâchis de ressources »
En plus de ces usages récréatifs, la 6G doit aussi favoriser des usages critiques, notamment en médecine. La chercheuse Mariella Särestöniemi, par exemple, veut mieux détecter les cancers du sein ou du cerveau grâce à de petites antennes grandes comme un ongle. Placés dans un bandeau ou une brassière, ces composants analyseraient la formation des tumeurs, la 6G pouvant ensuite faire remonter ces informations à distance. « En Finlande, le système de santé public coûte très cher, et certaines parties du territoire sont très reculées », rappelle la chercheuse.
La 6G fera-t-elle mieux que la 5G, qui promettait déjà de telles applications ? En Europe, et notamment en France, les industriels ont tardé à s'emparer de la 5G. Les raisons sont nombreuses : accès difficile aux fréquences, coût des projets, retombées économiques incertaines…« La 5G n'était pas encore mature quand elle a été lancée, et après, il y a eu le Covid, rappelle Matti Latva-aho, du 6G Flagship. Par ailleurs, les opérateurs ont loupé tout l'intérêt de la 5G en la réduisant à un gros tuyau, alors que le rôle des industries aurait dû être clé. »
« Pour la 5G, trop d'architectures ont été autorisées, regrette aussi Olli Liinamaa, responsable de l'écosystème 5G pour Nokia à Oulu. Cela a été un gâchis de ressources. » Après ce semi-échec, la Finlande veut faire mieux. Pas question que la 6G devienne le « G » de trop.
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