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Photo du rédacteurThierry Bardy

Ce que leurs votes disent des Français

Daniel Fortin


Jérôme Fourquet analyse les nouveaux facteurs qui déterminent le vote des Français. Une analyse passionnante d'un pays en transformation.

Depuis maintenant plusieurs années, la classe politique française et les commentateurs vivent dans la hantise d'une victoire de Marine Le Pen à l'élection présidentielle. Les sondages récents la donnent même largement en tête du premier tour du prochain scrutin en 2027. Et, aussi bien chez les macronistes qu'à LR, le choix d'un futur candidat est avant tout déterminé par sa capacité à contrer la présidente du Rassemblement national dont l'ombre portée influence désormais jusqu'aux politiques publiques. Comment en sommes-nous arrivés là ?

C'est précisément l'objet du dernier livre de Jérôme Fourquet, cette « France d'après » qu'il sonde avec un goût intact pour la précision des données et la diversification des sources d'information, soucieux de ne pas s'enfermer dans l'explication unique, par exemple celle de la classe sociale, trop souvent utilisée par paresse intellectuelle. « Un ouvrier du Nord-Pas-de-Calais ne vote pas pareil que ses homologues mayennais et vendéens », rappelle utilement l'auteur. La raison ? Au déterminant du statut social s'ajoutent de multiples facteurs, sociologiques, géographiques, mais aussi locaux comme internationaux qui, tous, viennent nourrir, consciemment ou inconsciemment, le comportement électoral.

La couche « yankee »

Lire ce livre, c'est se mettre dans la peau d'un voyageur qui traverse la France et cherche à voir, dans ses paysages apparemment immuables, en quoi elle a vraiment changé. Le premier regard peut en effet être trompeur. Les multiples couches culturelles qui ont sédimenté au fil de son histoire - catholique, agropastorale, communiste, pied noir - se retrouvent en effet dans les comportements d'un électorat qui reste sensible à ces racines. L'auteur y ajoute la couche « yankee », moins documentée comme telle jusqu'ici, qui traduit pourtant la formidable américanisation de nos modes de consommation (McDo, Airbnb). Un phénomène particulièrement visible dans nos entrées de villes où les grandes surfaces commerciales ont remplacé les usines comme pourvoyeuses d'emploi, mais aussi dans les centres de petits bourgs où, selon l'auteur, l'esprit yankee prend la forme de clubs country en plein essor, comme si la ruralité à la française trouvait là une manière de subsister dans la grande marche de la modernité. Cette dernière évolution a donné le coup d'envoi d'un mouvement plus vaste, à l'origine, lui, d'un nouveau clivage dans notre pays. Ce mouvement, c'est l'impressionnante internationalisation de la société française sous le coup d'une mondialisation embrassée par une partie (mais une partie seulement) de la société française. C'est elle qui, d'une certaine façon, a donné naissance au macronisme.Elle aussi, à l'inverse, qui a laissé sur le bord de la route une partie de la population, animée par une rancoeur dont on saisit désormais de plus en plus la violence dans la vie politique, comme en a témoigné le mouvement des « gilets jaunes » en 2018.

Ces nouvelles lignes de fracture rendent de plus en plus obsolètes les grilles de lecture classiques des électorats. On le voit en particulier dans la forte démonétisation des « fiefs », qui voulaient qu'un territoire soit immanquablement attaché à un camp politique. En témoigne le vote Le Pen, dorénavant solidement installé dans les anciens bastions communistes ou encore la Nièvre chère à François Mitterrand, qui a pourtant tourné le dos aux socialistes. En témoigne surtout l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, un candidat non seulement inféodé à aucun parti, mais encore attaché à aucun territoire en particulier, ce qui, selon Jérôme Fourquet, signe clairement la fin de la traditionnelle géographie électorale. Les ressorts du vote en faveur de l'actuel président répondent en revanche à d'autres critères, parfaitement homogènes quelle que soit la région de France que l'on observe : un fort contingent de cadres, mais aussi de propriétaires où règne le plein emploi et encore marqué par une réelle empreinte catholique.

« France des tempêtes » contre « France abritée »

Ce brouillage des pistes territoriales a encore été accentué avec le développement rapide du TGV en France, entraînant avec lui un bouleversement sociologique profond des villes et l'arrivée de citoyens plus mobiles, écolo-libéraux et à plus forte ouverture internationale. C'est aussi ce qui explique la surprenante percée écologiste dans certaines grandes villes comme Lyon ou Grenoble.

A l'autre bout du spectre si finement observé par Jérôme Fourquet, se tient donc le Rassemblement national, deuxième force politique du pays désormais, qui s'est lové dans les plis de cette France mondialisée pour prospérer dans les parties « non instagrammables » du pays, comme l'écrit l'auteur avec un sens aigu de la litote. C'est dans cette France périphérique que braconne à présent le parti d'extrême droite. La carte électorale montre que son succès est exactement proportionnel à l'éloignement des grands centres urbains. Le localisme, le discours anti-élites,la défense de l'automobile maltraitée par les bobos au pouvoir sont les nouveaux mantras d'un parti qui trouve son enracinement dans cette « France des tempêtes », durement touchée par la désindustrialisation par opposition à la « France abritée » des grandes villes ou des grandes zones touristiques.

C'est dans ce contexte nouveau, admirablement décrit dans ce livre passionnant, que se jouera la prochaine élection présidentielle. C'est ce qui la rend si difficile à prédire.

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