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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

De la nouvelle civilisation numérique



Christine Kerdellant


Daniel Cohen raconte comment la révolution numérique a bouleversé nos vies, pour le meilleur ou pour le pire.

En 2013, Google voulait « faire passer l'espérance de vie à 500 ans » et même « vaincre la mort ». D'autres Gafam prétendaient résoudre, à coups d'IA et de milliards, tous les problèmes de la planète. Et puis, au début de l'année 2020, un petit virus venu d'Asie, qui n'était mortel « que » dans 2 ou 3 % des cas, a engendré une récession mondiale. Et les sauveurs du monde, les solutionnistes de la Silicon Valley, n'ont rien fait. Ou plutôt, si : ils ont surfé sur la vague. Ils en ont profité. Ils ont été les grands gagnants de la crise.

Daniel Cohen n'a pas écrit un livre anti-Gafam. Mais il raconte la civilisation qui vient, la grande transformation en cours. Il montre comment la pandémie du Covid a servi de catalyseur à cette gigantesque transformation.Pourquoi la capitalisation boursière des Amazon, Apple, Netflix et d'autres a explosé durant le confinement.

Réduire au minimum le coût des interactions physiques

Car avec Microsoft Teams pour éviter les déplacements au bout du monde, Amazon pour remplacer les magasins de chaussures ou les libraires, et Netflix pour nous consoler des salles obscures et du théâtre, chacun a pu continuer de vivre. « Chacun a pu comprendre la visée du capitalisme numérique, résume l'économiste : elle est de réduire au maximum le coût des interactions physiques, dispensant de se rencontrer en face-à-face. Pour générer du rendement, il dématérialise les relations humaines, les privant de leur chair. »

Ce capitalisme nouveau crée un « homo numericus » qui, certes, « optimise » ses relations et ses actions grâce aux algorithmes qui le guident dans ses choix, mais qui, par dommage collatéral, devient « irrationnel et impulsif ». Tinder permet d'industrialiser la relation amoureuse en supprimant le temps de « cour » et en « limitant l'amour au 'just fuck' ». Ce n'est pas seulement la gestion des corps qui est optimisée, c'est la psyché des humains qui est « taylorisée » : les moteurs de recherche les conduisent sur les sites d'opinions censés leur convenir, les enfermant dans de nouveaux ghettos numériques.

Ce processus est le produit du choc libéral des années 1980

On ne cherche plus des informations sur le Net mais des croyances, des vérités qui vous conviennent ; on ne converse plus sur le Net, on y déverse de la haine ; on ne rencontre plus ses collègues sur son lieu de travail, on télétravaille de chez soi…

« La révolution numérique, écrit Daniel Cohen, porte à son paroxysme la désintégration des institutions qui structuraient la société industrielle, qu'il s'agisse des entreprises elles-mêmes, des syndicats, des partis politiques ou des médias. Ce processus est lui-même le produit direct du choc libéral des années 1980, qui a voulu étendre la place du marché et de la compétition dans toutes les dimensions possibles, sans médiations, sans corps intermédiaires. »

Le président de l'Ecole d'économie de Paris note aussi que la révolution numérique, censée améliorer les conditions d'existence dans les sociétés avancées, offre le paradoxe d'une technologie « appauvrissante » : aux Etats-Unis, son pays d'origine, le salaire ouvrier n'a plus progressé depuis un demi-siècle. Le salaire de « l'ouvrier blanc sans qualification » a même perdu 13 % de pouvoir d'achat !

Il y a pourtant une bonne nouvelle, et elle explique que Daniel Cohen explore autant la noirceur de l'ère numérique (comme le « capitalisme de surveillance » déjà à l'oeuvre en Chine), que l'utopie qu'elle porte en germe : les technologies n'ont pas pris le contrôle de nos vies. Elles donnent corps à nos pulsions latentes mais ne les inventent pas.

Un monde où toute parole mériterait d'être écoutée

« A sa manière, perverse, la révolution numérique dessine aussi en creux un chemin exaltant : celui qui mène à un monde où toute parole mériterait d'être écoutée, sans vérité transcendante en surplomb. » Où jouir de connaissances infinies n'est plus une utopie. Cette nouvelle manière de vivre, sans précédent dans l'histoire des civilisations, c'est une société horizontale et laïque : sans la verticalité de l'ère industrielle, sans la religiosité des sociétés agraires. Et si les réseaux sociaux donnent des instruments pour la bâtir, il faut, pour commencer, en réinventer les usages.

Daniel Cohen a organisé son essai en deux parties : la première porte sur l'illusion numérique, la seconde sur le retour du réel - puisque c'est bien « avec les vivants, et sur cette planète, qu'il faut accepter de vivre ». Dès lors que le numérique « dissout » notre rapport à autrui et au monde réel, il faut apprendre à lutter contre ses effets pervers en comprenant les phénomènes et en affûtant nos armes.

Le populisme était bien pire pendant les années 1930

Un exemple : la montée du populisme ne peut être imputée au seul Facebook, car cette approche politique n'est pas née avec les réseaux sociaux : le populisme était plus agressif encore dans les années 1930… Pour autant, le rôle néfaste de Facebook est bien réel.

Daniel Cohen rapporte une expérimentation qui montre sa responsabilité directe dans cette culture de la haine. Elle porte sur 3000 personnes, dont le compte Facebook a été désactivé pendant un mois. A la fin du sevrage, les penchants extrémistes des cobayes avaient fortement baissé. Et lorsqu'ils sont revenus sur Facebook, leur consommation des réseaux a diminué. Quatre personnes sur cinq reconnaissaient même que cette désactivation leur avait fait grand bien.

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