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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

du new Normal vers le Next Normal - La terrible illusion du retour à la normale



Après avoir chamboulé la production, l'épidémie bouscule les prix et l'emploi. Dans ces conditions, le pilotage d'une entreprise ou d'une économie redevient un art.

L'été n'a pas été pourri partout. Dans l'économie française, il y avait même un beau ciel bleu foncé. L'activité a progressé de 3 % en un trimestre. Sur l'ensemble de l'année 2021, elle aura sans doute progressé de près de 7 %. Il faut remonter un demi-siècle en arrière, en 1969, pour retrouver une telle énergie. Il faut bien sûr s'en réjouir. Une production plus forte, c'est davantage d'emplois, plus de revenus à distribuer, des moyens plus grands pour financer la transition énergétique. Mais il faut aussi se poser un certain nombre de questions.

Car l'année 1969 n'était pas une année comme les autres. C'était un rebond, après un ralentissement de la production en 1968 (pour cause de grève) et une distribution d'argent public. L'année 2021 n'est pas plus une année comme les autres. C'est aussi un rebond, après en 2020 la plus forte chute de la production (pour cause de Covid-19) depuis la funeste année 1944, et une autre distribution d'argent public.

Après un choc sanitaire violent mais abrégé par la vaccination de masse, il paraissait logique d'espérer un retour à la normale, que permettraient de décrire les indicateurs classiques de la conjoncture. Il faut se rendre à l'évidence : nous sommes encore loin de ce retour. Qui n'aura peut-être jamais lieu.

Le premier choc économique de l'épidémie a touché la production, qui s'est violemment contractée sous l'effet des confinements de la population. Tellement violemment que les statisticiens ont dû recourir à de nouveaux outils (données des cartes bancaires, recherches sur Google…) pour l'appréhender. Ils ont aussi adopté un nouveau mode de présentation, en parlant non plus du taux de croissance mais du niveau de la production comparé à celui d'avant-crise.

Maints prévisionnistes, eux, ont d'abord sous-estimé l'ampleur du choc puis ils l'ont surestimée. Avant de sous-estimer les rebonds. Le choc sur la production commence à s'atténuer. Sauf redémarrage brutal de l'épidémie avec un nouveau variant échappant aux vaccins, les oscillations du PIB français vont retrouver dans les prochains trimestres leur amplitude habituelle de quelques dixièmes de points.

Mais d'autres indicateurs économiques essentiels commencent à leur tour à valdinguer. Car l'épidémie a grippé des rouages de la machine à la fois très sophistiquée et très bien huilée de l'économie mondiale. Ou peut-être faudrait-il dire désormais que l'épidémie a covidé l'économie.

Le premier indicateur « covidé » est bien sûr la hausse des prix. Elle atteint 2,6 % sur un an en France, la plus forte hausse depuis trente ans à l'exception de la pointe de 2008. Elle approche 5 % en Allemagne et dépasse cette barre aux Etats-Unis.

Ce n'est pas encore vraiment de l'inflation, qui se définit par un emballement généralisé des prix et des salaires. Les hausses restent pour l'instant concentrées sur quelques familles de produits et de services. Elles viennent pratiquement toutes des goulets d'étranglement apparus sur les chaînes de production mondiales, avec des usines arrêtées et redémarrées à des moments très différents d'un pays à l'autre selon les caprices du virus et les politiques adoptées pour le contenir.

Mais les salaires pourraient bien augmenter dans nombre de secteurs au cours des prochains mois. Certains experts prédisent une bosse de prix, d'autres un embrasement inflationniste de plusieurs années, d'autres encore l'entrée dans un nouveau monde de prix plus élevés ou un bond à 10 %. Aucun d'entre eux ne sait vraiment si la machine retrouvera son réglage antérieur. Ou si les replis nationalistes et la transition écologique vont nous emmener vers un réglage radicalement différent.

Le mystère règne aussi sur l'emploi. En France, les entreprises embauchent comme jamais depuis deux décennies. Elles ont du mal à trouver les compétences qu'elles recherchent. Le chômage touche 7,6 % des actifs, le plus bas niveau depuis treize ans. Et pourtant, la production est à peine revenue à son niveau d'avant-crise.

L'effet global du télétravail sur l'efficacité des entreprises n'est pas connu à ce jour. Et des foules d'actifs ont disparu dans un trou noir : tous ceux qui ont abandonné leur métier car ils ont découvert lors des confinements à quel point leur travail était astreignant (c'est le cas dans l'hôtellerie et la restauration, mais pas seulement). On ne les voit ni dans les chiffres du chômage ni dans ceux de la formation permanente, et relativement peu dans ceux de la pauvreté.

Quand les indicateurs de l'emploi et de la production perdent leur sens, ce n'est pas seulement la compréhension de l'économie qui est en cause. C'est aussi l'action. L'action dans les entreprises, l'action publique aussi. Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l'Insee, a fait un bel aveu aux « Echos » : « Celui qui prétend savoir précisément où va la productivité est un charlatan. »

Or toute la mécanique européenne d'évaluation des politiques budgétaires, péniblement mise au point lors de longues nuits de négociations, passe par la « croissance potentielle » des pays. Et cet indicateur complexe ne peut pas être calculé sans « savoir précisément où va la productivité ».

Les entrepreneurs savent de toute éternité que le jugement est une qualité essentielle pour piloter une entreprise. Les gouvernants devront y venir, ou plutôt y revenir, après des décennies de pilotage technocratique de l'économie. Et ils devront le faire en tenant compte du ressenti des citoyens, comme le dit précisément le sociologue Pierre Rosanvallon. Plus que jamais, gouverner sera demain un art.

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