L'interview de Solène Madec, CEO et co-fondatrice de l'agence Belle.
90 % des Français pensent que l’on vit dans une société qui nous pousse à acheter sans cesse et 83 % des Français pensent qu’il faudrait interdire la publicité concernant les produits ayant un fort impact sur l’environnement. Des chiffres en forme de plébiscite contre la société de consommation, extraits des dernières études de l’ADEME que nous partagions et analysions récemment dans un article.
Pourtant, face à l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat, les consommateurs sont tiraillés entre leurs aspirations et leurs moyens. Ils aimeraient que les entreprises et les marques les aident à mieux consommer. Un constat qui n’a pas manqué de faire réagir Solène Madec, CEO et co-fondatrice de l’agence Belle, fraichement indépendante (émancipée depuis novembre 2022 du groupe Babel). Pour la rubrique Moteurs de changement, l’entrepreneure formée par la Convention des entreprises pour le climat (CEC) et business angel auprès de Leia Capital, co-fondée avec 13 autres femmes, imagine le rôle que prendra de la publicité dans l’accélération des mutations environnementales et sociétales. Quel est le principal défi qui s’annonce pour le monde publicitaire ? Solène Madec : Si on parle de transition pure, la publicité va avoir un rôle à jouer pour rendre compréhensible et désirable les changements de comportement. Qu’ils ne soient pas vécus par les consommateurs comme la même offre en moins bien et/ou plus cher. C’est notamment le sujet de la réutilisation et à ce titre, Back Market est un très bon exemple. La marque a réussi à rendre la seconde main sexy pour les smart consommateurs, sans en faire un choix par défaut (pas les moyens d’acheter du neuf, etc.). Demain, pléthore d’acteurs vont inventer de nouveaux métiers. Nous devrons être là pour les rendre compréhensibles. Face à la nouveauté, le rôle du communicant est clé. On n’a pas souvent l’occasion d’opérer deux fois un lancement, la première impression est souvent déterminante. Les entreprises naissantes ne peuvent pas se permettre d’échouer, car peu d’entre elles ont la trésorerie suffisante pour un deuxième coup d’essai. C’est un vrai défi pour accélérer et rendre désirable la transition écologique. Les entreprises ont dix ans devant elles pour mettre en œuvre cette transition et éviter de dépasser les 1,5 °C de réchauffement planétaire (Rapport du Giec, NDLR). Depuis le 1er mai 2022, l’expérimentation « Oui Pub » est lancée, depuis le 1er janvier de cette année, c’est l’encadrement de l’allégation « neutre en carbone » dans les publicités qui est mis en œuvre. Sentez-vous l’industrie publicitaire en ordre de marche pour répondre à ces défis ? S.M. : Oui. De nouveaux acteurs nous sollicitent, notamment le secteur de la carbone tech. Une révolution arrive, du même ordre que Yuka et le nutri-score qui ont rebattu les cartes dans l’alimentation et la beauté : le label environnemental (par l’ADEME, NDLR). Il donnera une lecture claire de l’impact d’un produit sur la biodiversité, l’empreinte carbone, la consommation d’eau, etc. De nouveaux acteurs BtoB arrivent sur le sujet et les industriels qui ont pris de plein fouet le nutri-score – avec de gros impacts sur leurs parts de marché – ont rectifié le tir ou sont en train de le faire. Certains produits notés C sont passés A récemment, comme les céréales pour enfants, entièrement refaites. Dans le retail, le sujet est au cœur de la majorité des directions générales, des comex et des plans stratégiques à venir. Cela fait progresser collectivement. Les dernières études de l’ADEME l’ont montré : les Français aspirent à reformater le logiciel économique et politique, mais restent paradoxalement ancrés dans un modèle consumériste. Est-ce le rôle de la publicité de les aider à changer de paradigme ? S.M. : La publicité est le porte voix d’une création de valeur d’offres et de services imaginée par les marques. Son rôle n’est pas de travestir et rendre sexy quelque chose qui ne l’est pas. Et ceci au même titre que d’autres acteurs dans l’industrie du cinéma, de l’art ou tout médias liés à l’image ont également ce rôle et cette responsabilité-là. Cela contribue à forger les imaginaires et les attitudes. L’ambivalence du consommateur, voire ses attentes paradoxales sont souvent liées à la monnaie sonnante et trébuchante. Nous faisons face à l’inflation et à une baisse du pouvoir d’achat : aujourd’hui sur certaines catégories, consommer durablement et local coûte plus cher. Comme acheter un t-shirt produit en France de la manière la plus respectueuse possible versus un t-shirt importé d’Asie. De nombreuses familles ont des difficultés à habiller leurs enfants qui changent de taille trois fois dans l’année. Il ne faut pas être monolithique, les sujets sont complexes, le modèle consumériste est un héritage des 30 Glorieuses, et un paquebot long à pivoter. Idem du côté des marques qui cherchent des solutions pour modifier leur modèle – économie circulaire, réutilisation de la matière, location, etc. Cela ne se fait pas en un jour et les décisions reviennent aux directions. Vous ne trouverez personne pour vous dire qu’elle est contre la transition écologique, il s’agit de savoir comment l’orchestrer de telle sorte qu’elle soit opérante le plus rapidement possible et finançable. Depuis que j’ai été formée par la Convention des entreprises pour le climat, j’ai vu énormément de patrons être mobilisés et changer leur plan stratégique d’entreprise au cours de la même année. Ne soyons donc pas naïfs et donneurs de leçons, le secteur publicitaire, en tant que partenaire, doit être rassurant et les accompagner au mieux. Avez-vous des exemples concrets de campagnes publicitaires qui ont eu un réel impact sur les comportements des consommateurs ? S.M. : Back Market c’est le cas d’école. C’est une capacité à forger les imaginaires par rapport à une proposition de valeur. Auparavant, la seconde main était vue comme “moins quelque chose” : moins bien que le neuf, certes moins coûteux, mais moins branché. La marque est parvenue à montrer “le plus” : plus intelligent et du côté de l’avenir (la campagne «New is old», lauréate du Grand Prix Effie 2022, NDLR). Je tire ma révérence à la marque et son agence (Marcel jusqu’en avril dernier, date à laquelle la marque a annoncé choisir Buzzman pour ses prochaines campagnes, NDLR).
De nouveaux acteurs BtoB arrivent sur le sujet et les industriels qui ont pris de plein fouet le nutri-score – avec de gros impacts sur leurs parts de marché – ont rectifié le tir ou sont en train de le faire. Certains produits notés C sont passés A récemment, comme les céréales pour enfants, entièrement refaites. Dans le retail, le sujet est au cœur de la majorité des directions générales, des comex et des plans stratégiques à venir. Cela fait progresser collectivement.
Avez-vous des exemples concrets de campagnes publicitaires qui ont eu un réel impact sur les comportements des consommateurs ?
S.M. : Back Market c’est le cas d’école. C’est une capacité à forger les imaginaires par rapport à une proposition de valeur. Auparavant, la seconde main était vue comme “moins quelque chose” : moins bien que le neuf, certes moins coûteux, mais moins branché. La marque est parvenue à montrer “le plus” : plus intelligent et du côté de l’avenir (la campagne «New is old», lauréate du Grand Prix Effie 2022, NDLR). Je tire ma révérence à la marque et son agence (Marcel jusqu’en avril dernier, date à laquelle la marque a annoncé choisir Buzzman pour ses prochaines campagnes, NDLR).
Renault aussi dans sa publicité pour son modèle électrique ZOE, l’explique bien : cela ne changera rien. Vous vous arrêterez toujours en station service pour manger votre sandwich triangle pendant que vous rechargez votre voiture. Ce sont des insights très justes. Ce ne sera pas moins bien, puisque cela correspond déjà à un vécu.
D’autres sujets montrent que la publicité à sa part de responsabilité dans des révolutions de comportements ou de prises de conscience, comme sur le body positivisme et l’inclusion par exemple. Les marques mode et beauté ont aussi leur rôle à jouer.
Toujours selon l’ADEME, 85 % des Français considèrent que les entreprises et les marques incitent à la surconsommation et 89 % que les publicités utilisent des techniques pour inciter à consommer toujours plus. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
S.M. : Oui, la majorité des marques qui communiquent, notamment avec de la publicité, le font pour vendre. Après, il faut faire confiance à l’intelligence de sa cible, nous ne pouvons pas être parents-enfants partout, il faut laisser une marge de liberté aux gens, laisser une place au désir, et ne pas être moralisateur sur les comportements d’achat.
Dans le même temps, les entreprises doivent être responsables. J’ai travaillé à la FDJ (La Française des Jeux), le “Jeu responsable” existe pour ça : ne pas communiquer de façon à induire en erreur les joueurs sur le fait qu’ils gagnent à chaque fois ou faire en sorte que les mineurs ne jouent pas. C’est pour toutes ces raisons que la publicité offline est encadrée. En revanche sur le digital, c’est le far west : n’importe qui peut dire ce qu’il veut sans réglementation, ce qui est embêtant lorsque la majorité des investissements publicitaires sont réalisés sur le digital…
Toutefois, quand une entreprise comme Garnier (groupe L’Oréal) et L’Oréal deviennent des marques en forte transition, la publicité est aussi là pour faire connaître ces démarches. La publicité est le porte voix d’une transformation de fond que les entreprises ont décidé de mener.
Comment l’industrie publicitaire peut-elle se rebrander ?
S.M. : C’est un vrai sujet ! En business school, c’était très à la mode de faire de la publicité, Mercedes Erra était ma marraine de promotion. Et encore, nous n’étions que 2 ou 3 à vouloir faire de la publicité en sortant de HEC. Aujourd’hui, c’est encore moins. Le métier n’a pas bonne presse, même Accenture a du mal à recruter. Les papiers qui diabolisent la publicité se plaignent souvent de la baisse du pouvoir d’achat et de l’emploi la page d’avant. La publicité est aussi un moteur pour l’économie des entreprises. C’est un sujet subtil sur lequel il ne faut pas être manichéen et naïf.
Ce qui est sexy à présent, c’est le monde des startups et de la nouvelle économie. Je le vois, on trouve plus intéressant que je sois business angel avec Leia Capital que fondatrice de ma propre agence. Pourtant, c’est un métier passionnant où nous avons un rôle déterminant à jouer dans cette nouvelle consommation à faire advenir. À la fois parce que nous sommes conseil des entreprises, et que l’on peut être force de proposition, mais aussi pour faire en sorte que ces nouvelles offres trouvent leurs audiences et deviennent un succès commercial et pérenne.
Enfin, le secteur manque de « rôles modèles” auprès des nouvelles générations, et il a été beaucoup diabolisé comme étant la tête de proue de la société de consommation. Notamment parce que les gens n’ont pas accès aux coulisses de fabrication. La publicité c’est quelques secondes pour faire comprendre certaines choses. Aujourd’hui, quand je dis que j’ai une agence de publicité, cela intéresse les gens au même titre que le cinéma ou le divertissement, mais c’est une profession qui a pâti d’un manque de présence dans les médias. C’est à nous de donner à voir nos points de vue, et nos contributions.
Pensez-vous que la baisse de l’attractivité des métiers de la communication (première étude COM-ENT/Occurrence) soit à mettre au crédit d’un déficit d’image du secteur ?
S.M. : C’est le principe des sciences humaines et des sciences molles. Les gens se disent, c’est du bon sens, mais on ne donne peut-être pas assez à voir la technicité de nos métiers, sa nuance ou sa sophistication. En quelques années, nous avons intégré tout le digital et le social, appris à faire mieux avec beaucoup moins et ce, dans des délais raccourcis. Cela paraît évident maintenant que les gens consomment du préroll sur YouTube ou TikTok et de la publicité sur TF1, mais c’est un métier qui a réussi à faire sa mue, notamment analytique.
Nous devrions plus raconter le ROI de ce que l’on fait, la technicité, les arbitrages, etc., sinon tout le monde pense qu’une affiche c’est 4 mots et une image. Résumer une idée en quelques mots, c’est extrêmement sophistiqué. Utiliser un iPhone paraît simple alors que cela cache beaucoup d’intelligence et de complexité.
Après, il ne faut pas se le cacher, le #MeToo de la publicité n’a pas fait beaucoup de bien pour l’attractivité du métier. L’industrie a également souffert de baisses budgétaires terribles, nous devons défendre quotidiennement la valeur ajoutée créée, notre rémunération et donc notre pérennité. Pourquoi un avocat d’affaires serait extrêmement bien payé, quand il réalise, au même titre qu’une agence, un rôle de conseil auprès des comex ou des conseils d’administration ?
Au diapason avec la loi Climat et Résilience, 83 % des Français pensent qu’il faudrait interdire la publicité concernant les produits ayant un fort impact sur l’environnement et promouvoir ceux sur les produits durables. Est-ce la solution selon vous ?
S.M. : Je ne sais pas. J’ai trouvé l’initiative du Kit hygiène à moindre coût très intéressante pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat et l’accès à ces produits. On ne peut pas être aussi univoques : faut-il faire porter la responsabilité aux consommateurs ? C’est aux marques et aux dirigeants de faire de leur mieux pour proposer des produits durables, moins cher. Nous devons être responsables, mais pas moralisateurs. Ça, c’est le rôle de l’ARPP et c’est très bien qu’un organe tiers réfléchisse à ces sujets-là. En France, la liberté est clé, il faut laisser aux consommateurs leur liberté de choix. “Un escalier se balaie toujours pas le haut” : c’est via la Convention des entreprises pour le climat que cela va se jouer.
Quelles seront, selon vous, les futures tendances de la publicité “responsable” et “durable” ?
S.M. : La publicité responsable et durable fera confiance à l’intelligence des gens : le nombre de fois où j’entends “les gens ne lisent pas”, “les gens ne vont pas comprendre”, etc. Les gens et les audiences sont beaucoup plus intelligents que ce que l’on a parfois tendance à croire dans nos bureaux.
Ensuite, il faut parvenir, en trois mots, à renverser la table pour rendre les choses sexy et compréhensibles afin de donner envie d’être le smart consommateur de demain.
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