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Photo du rédacteurThierry Bardy

Mountain Pass, la mine de tous les espoirs occidentaux



Nicolas RaulineEnvoyé spécial à Mountain Pass (Californie)


Le site américain extrait désormais 15 % des terres rares dans le monde. Mais le raffinement et la production des aimants, utilisés dans les voitures électriques ou les turbines, sont toujours contrôlés à plus de 90 % par la Chine. Les Etats-Unis ont mis en place une stratégie pour réduire leur dépendance et alimenter le monde occidental.

Huit heures du matin à Mountain Pass. La chaleur est déjà écrasante et les ouvriers de la mine sont à pied d'oeuvre. Sept jours sur sept, ils arpentent cette gigantesque ruche à ciel ouvert, qui s'étend sur 2.200 hectares. Le site se trouve en plein désert californien, à la lisière de la réserve mojave, à une heure au sud de Las Vegas (Nevada). Et c'est là que se joue une partie de la future indépendance économique des Etats-Unis, voire du monde occidental. La mine de Mountain Pass a été rouverte en 2017, quand la société MP Materials a racheté le site, aidée par des fonds d'investissement et par quelques aides du gouvernement américain, qui en a vite compris l'intérêt stratégique. Mountain Pass est un gisement de terres rares, divers métaux qui sont utilisés dans la production de composants électroniques que l'on retrouve dans les téléphones portables et les batteries des voitures électriques. Or, aujourd'hui, l'extraction et l'exploitation de ces terres rares sont contrôlées à près de 90 % par la Chine. Pékin en a fait un argument de poids dans ses négociations commerciales, menaçant à plusieurs reprises de couper les vannes de ces métaux aux sociétés occidentales.

« Depuis les années 2010, c'est devenu un sujet de sécurité nationale. Hillary Clinton, quand elle était secrétaire d'Etat de Barack Obama, a pour la première fois affiché ses préoccupations », se souvient Michael Rosenthal, le directeur des opérations de MP Materials, débarqué là en 2017, alors qu'il était associé à New York chez QVT Financial, l'un des fonds qui a racheté Mountain Pass - avec JHL Capital, basé à Chicago. « Je n'avais aucune formation technique, je continue d'en apprendre tous les jours ! » sourit-il, avant de se lancer dans une explication passionnée de la composition des sols de Mountain Pass.

Un passé glorieux

Ici, la concentration en terres rares est exceptionnellement élevée : de 7 à 8 %, quand elle ne dépasse pas les 2 % en Chine. « Ces métaux ne sont pas si rares, ils peuvent se trouver dans la nature un peu partout. Mais la très faible concentration fait que l'exploitation n'est presque jamais rentable. La situation de ce site est donc unique », affirme Michael Rosenthal. Les terres contiennent notamment du néodyme et du praséodyme (NdPr), indispensables dans la confection des batteries électriques. Mountain Pass a pourtant bien failli être abandonné à tout jamais. La mine est exploitée depuis le XIXe siècle. On y trouve alors du cuivre, et l'on soupçonne l'existence de gisements d'or, jamais confirmés. Mais c'est après la Seconde Guerre mondiale qu'elle prend une autre dimension.

En 1949, trois passionnés découvrent des pierres inconnues et notent la présence de radioactivité élevée - les terres rares se trouvent dans la nature à proximité de métaux radioactifs, comme l'uranium. Ils se tournent vers les autorités, qui confirment la présence de terres rares. Or, dans les années 1960, les fabricants de téléviseurs ont besoin de certains de ces métaux, utilisés dans les télévisions couleurs, comme l'europium. C'est l'âge d'or de Mountain Pass, qui fournit une partie du monde. Des centaines de mineurs y sont employés et vivent près de la mine. Une école est même créée pour leurs enfants.

Mountain Pass change à plusieurs reprises de propriétaire, Chevron met un temps la main dessus, mais le vent a tourné. Les grands fabricants d'électronique sont désormais asiatiques et l'exploitation des terres rares se déplace au plus près de ces nouveaux géants. En Chine, surtout, où les normes environnementales sont plus aléatoires. Dans les années 1990, les relations avec Pékin sont au beau fixe et personne n'imagine que la mainmise de l'empire du Milieu sur le secteur puisse devenir un problème. La production décline peu à peu à Mountain Pass. Une dernière tentative de Molycorp se traduit par un échec cuisant. Trois ans à peine après avoir commencé l'exploitation du site, la société fait faillite et stoppe net sa production. Bilan : 1,8 milliard de dollars engloutis. En 2016, personne ne mise plus sur Mountain Pass. « Il n'y avait aucun repreneur occidental, se souvient Michael Rosenthal. Juste JHL et nous. Si nous n'avions pas investi, le terrain serait sans doute revenu à l'Etat de Californie et la mine n'aurait plus jamais fonctionné. » MP Materials, constitué pour l'occasion, se met au travail sans relâche, investit 200 millions de dollars, dont 10 millions apportés par le ministère de la Défense et celui de l'Energie. Certaines machines sont remises en marche.

Et l'extraction reprend dès 2017… avec huit personnes ! « Le jeu en valait la chandelle, la transformation qui est devant nous est de l'ordre de milliers de milliards de dollars, l'industrie va être complètement électrifiée et elle aura besoin de ces matériaux », ajoute le PDG de MP Materials, James Litinsky, qui s'occupait, lui, du fonds JHL avant de prendre les rênes de la société.

Depuis, le chemin parcouru est démentiel. Pour la première année complète d'exploitation, en 2018, 14.000 tonnes sont extraites. En 2019, la production est doublée. Puis elle grimpe à 38.500 tonnes, l'an dernier. Soit plus de 15 % de la production mondiale. Jamais les Etats-Unis n'avaient extrait autant de terres rares. Le site fait travailler 300 personnes aujourd'hui et 200 embauches sont encore prévues d'ici à l'an prochain. Mais MP Materials doit encore prouver que son modèle est viable. Le plus dur commence désormais avec la séparation des métaux, deuxième étape de son développement pour laquelle elle va investir 200 millions de dollars. « Le principal défi est chimique. La séparation des métaux peut être un processus compliqué, et il faut le faire de manière efficace, à grande échelle. Mais MP Materials peut bénéficier de l'expérience de Molycorp, qui avait commencé cette étape », juge David Deckelbaum, analyste chez Cowen.

Un modèle low cost ?

En effet, MP Materials ne part pas de zéro : la société a hérité de certaines machines utilisées par Molycorp avant sa faillite. De gigantesques broyeurs pour transformer des blocs de roche en pierres de quelques centimètres de longueurs, des cuves alignées sur 200 mètres qui permettront, à partir de l'an prochain, de séparer les oxydes et de les raffiner… Et elle peut encore s'étendre : sur les 2.200 hectares du site, seuls 900 sont aujourd'hui utilisés. Les sols contiendraient, eux, des réserves pour au moins vingt-quatre ans. Et les dernières estimations, qui datent de 2011, ne portaient que sur 600 mètres. En creusant plus profondément, MP Materials pourrait en découvrir davantage.

Aujourd'hui, les pierres extraites et traitées sont expédiées en Chine. Ces partenaires chinois contrôlent l'essentiel de la valeur ajoutée, puisqu'ils fabriquent aussi, dans la foulée, les « aimants », les dérivés de ces métaux qui sont utilisés par les constructeurs automobiles. Ce sera la « troisième étape » du plan de la société américaine, a priori à partir de 2025. « Il faut aller vite, soutient Michael Rosenthal. Si nous attendons vingt ans, il sera impossible de combler notre retard sur la Chine. » Pour cette dernière étape, MP Materials n'a pas communiqué ses besoins. « Mais nous avons des réserves de cash et nous sommes rentables », plaide son PDG. MP Materials veut prouver que l'on peut combiner une production low cost à des normes environnementales strictes. Du fait de la composition des sols, et de la faible quantité d'uranium et de thorium dans la terre de Mountain Pass, il n'y a pas de stockage de déchets radioactifs sur le site - ce qui n'est pas le cas de la majorité de ses concurrents. Ce problème devrait d'ailleurs avoir raison d'un projet d'exploitation de terres rares en Europe, au Groenland, où les autorités ont peur des conséquences écologiques. La société américaine recycle aussi 90 % des énormes quantités d'eau dont elle a besoin (plus d'un milliard de litres par an).

L'industrie automobile ciblée

Pour David Deckelbaum, « il est tout à fait possible de lutter contre les acteurs chinois du point de vue des coûts. Mais leur position sur le marché est telle qu'ils ont un fort pouvoir de nuisance sur la concurrence, par les prix, sachant que le gouvernement chinois restreint le marché par des quotas et qu'il peut décider de baisser ou d'augmenter ces quotas. » Shenghe, une entreprise chinoise contrôlée en partie par l'Etat, a d'ailleurs investi dans MP Materials et détient un peu moins de 10 % du capital. Mais il peut difficilement agir sur sa stratégie. « Shenghe a surtout la priorité sur les achats. Mais, même s'ils n'étaient pas là, MP Materials n'aurait aucun mal à trouver d'autres acheteurs », souligne David Deckelbaum.

Le but est de pouvoir alimenter, in fine, les industries intéressées. La principale cible ? Les constructeurs automobiles, qui vont électrifier leur gamme dans les prochaines années. Chaque modèle contiendrait environ 1 kilogramme de ces métaux. Et, en 2030, Deloitte prévoit que les ventes annuelles de véhicules électriques dépasseront les 30 millions de modèles. Les turbines des éoliennes et l'armement sont aussi des débouchés possibles. « Nous avons déjà des échanges constants avec ces clients potentiels, en particulier les constructeurs automobiles, affirme James Litinsky. Avec la crise des semi-conducteurs, ils ont vraiment pris conscience des risques de dépendance envers l'Asie . La constitution d'un leader capable d'alimenter tous les pays occidentaux suscite beaucoup d'intérêt. »

Certains doutent toutefois que MP Materials puisse concrétiser tous ses plans. « Personne ne peut concurrencer les Chinois aujourd'hui, opine James Kennedy, qui conseille des investisseurs du secteur chez Three Consulting et qui a porté un projet d'exploitation d'une mine, il y a quelques années. Pékin subventionne cette industrie, car elle est stratégique. L'ensemble des coûts des entreprises chinoises, ce sont à peine les coûts d'électricité pour une société américaine. Et croire que les clients vont acheter à MP Materials juste parce qu'ils sont occidentaux, c'est mal connaître les lois du marché ! D'autant que les clients finaux ont surtout besoin de stabilité dans leur chaîne d'approvisionnement. »

La toute-puissance chinoise n'est donc peut-être pas près de s'éteindre. Mais l'administration Biden a bien identifié le problème. Au point de menacer Pékin d'imposer des droits de douane. Une politique trop risquée dans l'immédiat, tant que la production américaine d'aimants n'a pas réellement démarré : les entreprises américaines seraient les premières pénalisées. Washington se montre en tout cas prêt à soutenir le secteur. Le Pentagone l'a encore montré en accordant une subvention de 30 millions de dollars à l'australien Lynas pour qu'il ouvre une usine de traitement des métaux au Texas. Le 100 % made in America n'est pas encore pour demain, mais les moyens sont là.

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