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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

« On ne peut exclure des méthodes radicales, comme la relocalisation de villes entières »



Propos recueillis par Joël Cossardeaux


Quelles évolutions faut-il redouter pour les espaces insulaires et les zones littorales ?

L'élévation du niveau de la mer, qui va se poursuivre sur des siècles, va continuer à s'accélérer. Mais ce n'est pas le seul facteur à prendre en compte. Il y a aussi l'intensification des cyclones les plus puissants, qui génèrent déjà des rafales de vent soufflant à plus de 360 km/h et des vagues atteignant 9 mètres à la côte.

Et la dégradation accélérée des écosystèmes marins et côtiers, en particulier des récifs coralliens, sous l'effet de l'augmentation des températures océaniques et de l'acidification des océans. Les récifs coralliens connaissent des phénomènes de blanchissement qui peuvent engendrer leur mort à partir de 30-31 degrés : ces épisodes sont de plus en plus fréquents, donc de plus en plus rapprochés. Les récifs coralliens sont pourtant la meilleure barrière contre les vagues de tempêtes, dont ils amortissent 70 % à 95 % de l'énergie. S'ils disparaissent, les dommages seront décuplés.

Quel est le diagnostic du GIEC à ce sujet ?

Le rapport du GIEC sorti lundi insiste beaucoup sur la notion d'évènements combinés. C'est, par exemple, le cas pour les phénomènes de submersion-inondation dévastateurs engendrés par la combinaison de l'élévation du niveau de la mer, de vagues de tempêtes de plus en plus puissantes, de pluies toujours plus intenses entraînant le débordement de cours d'eau et de la dégradation des coraux amortisseurs de vagues.

Ces événements combinés sont particulièrement marqués en milieu tropical, affectés par les cyclones qui constituent les tempêtes les plus puissantes du globe. Mais pas seulement dans ces régions. La submersion due à la tempête Xynthia, en 2010, était déjà un événement combiné résultant d'un cumul de facteurs. Les aménagements dus à l'homme, qui modifient le fonctionnement des milieux côtiers, contribuent aussi à exacerber les impacts des tempêtes. Par exemple, l'imperméabilisation des sols et les aménagements portuaires peuvent amplifier les phénomènes de submersion-inondation. On l'a vu pour le port de Saint-Gilles, sur la côte ouest de la Réunion, avec le cyclone Bejisa, en 2014.

Qu'en est-il de la menace qui pèse sur les îles ?

Depuis dix ans, nous sommes un certain nombre de chercheurs à mesurer précisément leur évolution de surface pour déterminer si elles sont peu à peu submergées par l'élévation du niveau de la mer. Parmi le millier d'îles -majoritairement situées dans le Pacifique - dont nos travaux ont documenté l'évolution de surface entre 1960 et aujourd'hui, 75 % ont conservé la même superficie qu'en 1960, 15 % se sont agrandies, et 10 % seulement, soit une centaine d'îles extrêmement petites dont la surface est inférieure à 10 hectares, ont perdu en surface.

Ce n'est pas nouveau : on a toujours vu des îles coralliennes se former et disparaître. L'élévation du niveau de la mer peut être en cause dans certains cas, comme dans celui des Iles Salomon, mais on n'observe pas de tendance générale à la submersion et à la disparition.

C'est important de le dire, car il faut sortir de la vision fantasmée du problème - le fantasme de la disparition - qui pousse à agir dans l'urgence et produit souvent de la maladaptation. Agir dans l'urgence conduit souvent à construire des murs de protection, des digues et des cordons d'enrochement qui accroissent plus les risques qu'ils ne les réduisent.

Par exemple, dans la Caraïbe, l'océan Indien et le Pacifique, des murs sont souvent construits à la verticale sur les rivages. Ils n'absorbent pas l'énergie des vagues, mais l'augmentent en engendrant des fuites de sable très importantes vers le large au point de faire souvent disparaître les plages.

Quelles sont les bonnes solutions ?

Des ouvrages lourds de protection peuvent se concevoir dans les grandes métropoles côtières. Mais en dehors de celles-ci, d'autres solutions peuvent être plus pertinentes, comme les solutions fondées sur la nature. Ces solutions consistent à s'appuyer sur la capacité des écosystèmes à amortir les pressions climatiques, comme c'est le cas, au-delà des récifs coralliens, des mangroves, qui amortissent de 31 % l'énergie des vagues, ou encore des herbiers marins, qui la réduisent de 36 %. Les dunes végétalisées sont aussi une formidable barrière face à la mer. Il est indispensable de mieux protéger ces écosystèmes et de réduire les pressions humaines qui les dégradent. Il faut aussi parfois en créer de nouveaux : par exemple, la République dominicaine s'est lancée dans la création de récifs artificiels pour amortir les vagues et réduire leur impact érosif sur les plages.

Cela peut-il suffire ?

Pas si on reste sur la trajectoire actuelle de réchauffement qui se traduira, à partir de 2040-2050, par la disparition de nombreux écosystèmes. Ce sont, notamment, 90 % des récifs coralliens qui risquent de disparaître dans la seconde moitié de ce siècle. En revanche, si on parvient à contenir le réchauffement climatique à moins de 2 degrés en 2100, on conservera des récifs coralliens ainsi que l'ensemble des services qu'ils rendent à l'humanité.

Il faut aussi avoir en tête qu'à partir de 2040-2050, les solutions fondées sur la nature ne seront plus aussi efficaces qu'aujourd'hui si le réchauffement se poursuit à son rythme actuel. Et ce qui est complexe, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement de développer des solutions pour mieux contrôler les risques actuels, mais aussi de construire des trajectoires d'adaptation.

Ce qui signifie qu'il faudra, face à des risques croissants, faire évoluer dans le temps les solutions que l'on emploie. Et ne pas exclure des méthodes plus radicales, comme la relocalisation de villes entières à partir de 2040-2050. On doit s'y préparer dès aujourd'hui. On estime qu'un plan de relocalisation prend une décennie à être construit. Il faut ensuite le temps de le déployer sur les territoires. Si on veut être prêt pour 2040-2050, il est urgent de se retrousser les manches dès maintenant.

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