Yann Rolland François Guérin
Comment éviter que l'entreprise à mission ne soit pas juste une opportunité d'affichage sans transformation en profondeur ? Penser l'entreprise comme un modèle de développement associant la performance économique, la rémunération des actionnaires et l'intérêt collectif va de pair avec une gouvernance et un actionnariat plus ouvert. Comment incarner l'intérêt collectif si l'actionnariat est concentré sur un acteur privé unique qui pourrait facilement dévier vers la protection seule de ses intérêts ou de sa corporation ? Comment s'assurer de la bonne prise en compte des impacts de l'entreprise si les parties prenantes et des membres externes ne sont pas intégrés dans la gouvernance ?
L'entreprise à mission s'appuie sur l'idée que l'entreprise, par le projet plus universel qu'elle porte, n'appartient pas uniquement à ses actionnaires mais aussi à ses contributeurs et notamment ses salariés. Par leur engagement et leur créativité, les salariés créent de la valeur au-delà de leur rémunération. La montée en puissance des salariés dans l'actionnariat et la gouvernance est nécessaire pour une vision plus collective et distributive de l'entreprise.
L'Etat, les collectivités territoriales et les associations contribuent également à la réussite de l'entreprise au-delà de la fiscalité et des dons qu'ils perçoivent : formation, santé, défense, transports, réglementation, gestion de crise, soutien à la culture, aux plus fragiles, etc. La gouvernance de l'entreprise à mission doit intégrer ces parties prenantes capables d'apporter un regard sur la contribution de l'entreprise à son territoire.
L'entreprise à mission a, certes, un statut qui la protège de changement de cap, mais comment lui assurer un socle actionnarial stable et notamment dans des périodes de transmission ? Prenons exemple sur certains pays d'Europe du Nord, qui, en transformant l'actionnariat privé en fondation d'actionnariale à but philanthropique, ont protégé l'entreprise de sa perte d'indépendance et ancré la notion de responsabilité. Enfin, une autre part du capital peut aussi être détenue par des investisseurs financiers en cohérence avec la stratégie et les valeurs RSE de l'entreprise pour accompagner le dirigeant dans la réussite de son projet.
Cette forme d'entreprise peut aussi répondre au déclin de nombreuses institutions qui apportaient parfois un cadre, c'est un espace où trouver du sens, du lien social et des valeurs aidant à construire un projet de vie. L'entrepreneur est donc un représentant de la société civile qui a les moyens pour apporter une énergie et une vision sociétale au service du bien commun et ainsi réduire le poids de l'Etat providence. Cette vision est à l'opposé du paternalisme ou de la subordination à la finance, car elle associe toutes les parties prenantes dans une démarche responsabilisante, c'est aussi une alternative à l'ESS.
Entreprise à mission, gouvernance ouverte, actionnariat salarié, fondation actionnariale et fonds financiers responsable ne sont-ils pas les briques fondamentales d'un capitalisme utile ?
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