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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

quel sera le smartphone du futur

Article de l'ADN - Nicolas Nova : « Nous prenons conscience que les infrastructures du monde nous échappent »

5G, cloud, IA… Quels liens ces innovations tissent-elles entre nous et nos appareils ? Nous rendent-elles encore plus dépendants d’eux ? Réponses avec Nicolas Nova, socio-anthropologue des usages numériques et auteur du livre Smartphones, une enquête anthropologique. Chercheur franco-suisse, Nicolas Nova est professeur associé à la Haute École d'Art et de Design (HEAD) à Genève où il enseigne l'anthropologie des techniques, l’ethnographie appliquée au design et les enjeux contemporains du numérique. Il est également le co-fondateur du Near Future Laboratory, une agence de prospective impliquée dans des projets de design fiction. Pour ce socio-anthropologue des usages numériques, auteur de l'essai Smartphones, une enquête anthropologique, nos outils digitaux reconfigurent notre manière d'appréhender la réalité. Dans votre livre Smartphones, une enquête anthropologique, vous dites que le smartphone est devenu le symbole ultime de la mondialisation. Pour autant, avez-vous constaté des usages différents en fonction des cultures et des pays ? Est-ce que nous considérons tous de la même manière ce petit objet bourré de technologie ? Nicolas Nova : Le livre s’appuie sur une enquête que j'ai menée dans trois villes, Genève, Los Angeles et Tokyo, et, de manière assez frappante, je n’ai en effet pas relevé de différences massives en matière d’usages. Si certaines options sont moins courantes dans le monde occidental, comme l’usage du smartphone pour ouvrir une porte, la très grande majorité des applications utilisées sont les mêmes ou sont très proches, de la communication au jeu, en passant par les transactions financières ou l’usage de la photographie. Par contre, la manière dont l’objet est considéré n’est pas équivalente, notamment dans la confiance que les gens lui accordent pour gérer leurs données et contenus personnels, ou même pour payer avec. La pandémie a fortement accéléré les pratiques numériques, et le distanciel est rentré dans les usages… Télétravail et visioconférences sont devenus la norme. En quoi cela modifie-t-il le rapport que nous entretenons avec nos outils digitaux, et plus particulièrement avec nos smartphones ? N. N. : Je trouve intéressant de se demander si les usages croissants des applications de visioconférence, que ce soit Zoom ou Hangouts, ou de travail collectif, Slack ou Teams, « circulent » vers le smartphone. Je n’ai pas enquêté spécifiquement sur ce point, mais je me rends compte de l’usage croissant d’applications de communication en vidéo de type Facetime… Pour autant, il ne s’agit pas vraiment de la même chose, même si on voit des gens utiliser Zoom ou Teams sur leur smartphone dans la rue pour accéder à des réunions professionnelles, ce qui n’est d’ailleurs pas très confortable. Il me semble plus pertinent d’analyser cela comme un phénomène que l’on rencontre fréquemment dans l’histoire des médias numériques : leur diffusion de la sphère professionnelle vers les usages personnels, familiaux, ou en tout cas privés. On l’a vu avec l’e-mail. Mais cela ne signifie pas que les gens en font exactement le même usage. On se rend donc compte que les usages de la visio dans un but non professionnel se généralisent, tout en développant leurs propres spécificités. Par exemple en répartissant différemment la parole dans un apéro sur Skype ou WhatsApp par rapport à une réunion de bureau ! Justement, est-ce que les usages sont en train d'évoluer ? Utilisons-nous notre smartphone différemment aujourd’hui par rapport à il y a deux ans ou cinq ans ? N. N. : Depuis deux ans, il y a un effet de la situation sanitaire, avec un usage croissant d’applications de paiement ou de transactions financières et l’utilisation massive de la vidéo en streaming, ce qui a d’ailleurs un coût écologique énorme. Pour autant, les études d’usages quantitatives, comme celle d'IHS Markit en 2019, montrent que la majorité des utilisateurs occidentaux voient de moins en moins de raisons de posséder un nouveau modèle ou d'utiliser de nouvelles fonctionnalités. Car les types d'usages sont finalement très stables dans la population générale, avec néanmoins des nuances sur les applications suivant les générations. On constate, par exemple, la fuite de Facebook par les plus jeunes, qui utilisent désormais TikTok ou Instagram, mais ce sont des usages finalement proches. Le smartphone est-il devenu un moyen de fuir la réalité ou au contraire de mieux l'appréhender ? N. N. : Cela dépend de la définition que l’on donne au terme « réalité » . Si cette expression fait référence à l’espace social autour de nous, il est vrai que le fait d’être sur son smartphone donne l’impression de vouloir être ailleurs, au même titre que lire un livre, un journal, ou rêver. Mais au fond les échanges que les utilisateurs de smartphone ont entre eux ne sont pas moins partie prenante de la réalité que le monde environnant. La nuance vient plutôt de cette possibilité d’être à la fois dans un lieu et d’échanger avec des gens qui n'y sont pas… Tout cela pour dire que la fuite de la réalité n’est pas à l’ordre du jour, mais que le smartphone reconfigure notre manière de l'appréhender… en y intégrant l’ailleurs, les autres à distance, ou parfois des contenus et des possibilités qui la renouvellent. La nuance vient aussi du fait que les normes sociales de politesse et d’attention à l’autre s’en voient bousculées et transformées. Écouter des adolescents expliquer leurs attentes et leurs réactions sur les retards de réponses aux messages sur WhatsApp est une belle manière de s’en rendre compte. Ou même voir comment le respect ou non de la réciprocité dans le suivi des comptes Instagram ou Twitter induit toutes sortes de controverses ! Avec l'arrivée de la 5G, du cloud et de l'IA, les consommateurs peuvent bénéficier d'un nombre croissant d'innovations et de services. Cela ne renforce-t-il pas inévitablement leur dépendance aux smartphones ? N. N. : Pas nécessairement. L’omniprésence de l’appareil s’explique assez logiquement par la quantité impressionnante de fonctionnalités qu'il contient… Tour à tour réveille-matin, montre, téléphone, agenda, calculatrice, appareil photo, station météorologique, moyen de lecture, de consultation de vidéos ou d’écoute musicale et radiophonique, lampe de poche, carnet de notes, accès aux transports en commun ou porte-monnaie, le smartphone a de multiples raisons d’être constamment empoigné dans la vie de tous les jours. Tout ce qui vient renforcer cela donne l’impression d’une forme de dépendance, mais au même titre que tous les outils que je cite ici. Pour autant, la 5G et les techniques d’apprentissage automatique au cœur des systèmes d’IA ne seront sans doute pas aussi apparentes pour les usagers, car ces technologies risquent de toucher davantage les couches profondes du smartphone, sans forcément créer des fonctionnalités identifiées en tant que telles. À cet égard, la 5G est moins une technologie pour le grand public que pour des systèmes professionnels de communication entre objets connectés. Le développement des objets connectés donne encore plus de pouvoir aux smartphones sur nos vies, car ils sont devenus un moyen de contrôler tous nos appareils électroniques. Les constructeurs cherchent-ils à les rendre toujours plus indispensables ? N. N. : Avant tout, le monde industriel souhaite, depuis une vingtaine d’années, trouver des applications pertinentes pour les technologies de capteurs et d’actionneurs développées par les entreprises. L’idée de rendre cela indispensable doit les intéresser, mais j’ai aussi l’impression d’une recherche permanente de besoins potentiellement abordables pour ces systèmes… avec un succès mitigé si l’on regarde la diffusion commerciale des technologies domotiques. Dans mes enquêtes, j’ai toujours été frappé par la manière dont les formes d’automatisation, par exemple la régulation du confort thermique, et de recommandations, comme la mesure de l’activité physique en fonction du nombre de pas effectués, étaient rejetées par les utilisateurs, et en particulier sur le smartphone. Et cela, alors que cela semble être une évidence pour les industriels… Selon vous, l'arrivée de la 5G pourrait-elle générer une technocritique encore plus vive et aboutir à un rejet du smartphone ? Les questions de respect de la vie privée et de confidentialité des données suscitent de plus en plus d'inquiétude… N. N. : On constate qu’à chaque nouvelle génération de protocoles de communication mobiles la critique prend de l’ampleur. Et pour la 5G beaucoup plus que pour les précédentes, particulièrement dans le monde occidental, même si cela ne semble guère faire diverger les politiques publiques sur les questions d’antennes et d’ondes. Il me semble que les technocritiques agrègent toutes sortes de récriminations contre les technologies, certaines plus pertinentes que d’autres. L’enjeu sous-jacent qui semble remarquable, c’est la prise de conscience que les choix technologiques de sociétés qui sont effectués échappent aux décisions démocratiques. Et c’est une colère qui risque de prendre de l’ampleur, dans un monde où les inégalités recommencent à s'accroître. Cet aspect me paraît encore plus prépondérant que les craintes sur les problèmes de surveillance ou de confidentialité des données, qui sont importants, certes, mais liés plus largement à cet enjeu de sentir que les infrastructures du monde nous échappent. À quelles évolutions des usages peut-on s'attendre dans un avenir proche ? N. N. : Concernant le smartphone, il me semble que les nouvelles formes de mise en relation, comme le matchmaking, vont prendre de l'ampleur, et ce dans toutes sortes de domaines, de même que les applications de mise en scène de soi, de plus en plus « médiée » par les technologies, les retouches visage BeautyCam pour photo, les filtres pour communication vidéo… D’un point de vue communicationnel, il me semble que la grande période du « tous ensemble sur un seul réseau ouvert et public » est maintenant terminée, avec une partie de la population qui migre sur des espaces plus resserrés, groupes WhatsApp, Discord, voire des plateformes plus obscures. En retour, on peut sans doute s’attendre à de nouvelles habitudes et normes de communication qui vont se construire progressivement avec ces nouveaux usages, avec une réinvention des codes de la conversation en ligne : couper son micro, laisser la parole à l'autre, réserver certaines paroles pour l’écrit…

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