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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

Retrouver l'art de la stratégie dans les décisions



Daniel Fortin


Un livre foisonnant où réflexion et témoignages de grands dirigeants se mêlent pour renouer avec les visions et décisions de long terme.

Voici, à l'heure du court-termisme triomphant et de la tactique à la petite semaine, un ouvrage régénérant. Il y est question de ce qui nous manque le plus dans nos sociétés aveuglées par la vitesse, faisant passer la frénésie de l'action avant l'art de la réflexion. On y parle de stratégie - le grand mot est lâché -, une notion régulièrement évoquée mais le plus souvent sur un mode nostalgique, comme si le temps de la vision à long terme était une fois pour toutes révolu.

Dans leur ouvrage, Christine Kerdellant, par ailleurs rédactrice en chef aux « Echos », et le général Vincent Desportes s'attachent à ressusciter cette valeur cardinale du management, qu'il s'agisse de la conduite d'une armée, d'un pays ou d'une entreprise. Pour appuyer leur démonstration, ils ont eu l'excellente idée d'inviter dans leurs pages quelques grandes figures dirigeantes pour qui la stratégie a toujours été une priorité.

Vision, résistance, rendement

On trouvera dans ce livre les témoignages du général David Petraeus, ancien commandant en chef en Afghanistan et ex-directeur de la CIA, de Jacques Attali, autrefois conseiller le plus proche de François Mitterrand, de Michel-Edouard Leclerc, patron des centres du même nom, de Denis Kessler, président de SCOR, d'Alain Minc, qui conseille des grands patrons, et de bien d'autres acteurs. Tous apportent une lecture passionnante, à la fois théorique et pratique, de l'art de la stratégie qu'ils ont pour la plupart exercé au plus haut niveau. Si l'on y ajoute le travail de recherche et de réflexion des auteurs, ce livre s'éloigne définitivement de l'insipide prêchi-prêcha managérial auquel nous sommes si souvent confrontés en la matière.

Etymologiquement, la stratégie est l'art de conduire une armée. Ses contraintes ont guidé son extension à la sphère civile. Aujourd'hui encore, rien n'a changé. La stratégie repose sur un triptyque : d'abord et avant tout, une vision, c'est-à-dire la volonté de parvenir à un état final différent de l'initial. Ensuite, la résistance. Toute action stratégique rencontre une adversité qu'il faut savoir affronter. Enfin, le rendement. Tout mouvement suppose une consommation de ressources par définition inférieures à celles dont on a besoin pour avancer dans ses projets.

Aucune stratégie ne peut réussir si ces trois dimensions ne sont pas d'emblée présentes à l'esprit du dirigeant, préviennent les auteurs. Quand il décide de marier l'ordinateur au téléphone au sein de l'iPhone, Steve Jobs a une vision qu'il lui faudra défendre bec et ongles contre ses concurrents, ses actionnaires et même ses cadres (l'adversité). Et il lui faudra beaucoup de force de persuasion pour arrêter des projets coûteux et mobiliser Apple sur ce projet (gestion des ressources).

Naviguer à vue, c'est échouer

C'est une certitude : aucun dirigeant ne peut durablement s'imposer dans ce siècle s'il s'est contenté de naviguer à vue, sans avoir élaboré une stratégie qu'il conduira sur plusieurs années, écrivent Christine Kerdellant et Vincent Desportes. « La stratégie, c'est ce qui fait la différence entre un dériveur et un quillard », abonde Denis Kessler. Pour autant, ce serait une erreur que de figer une bonne fois pour toutes sa ligne de conduite. Car l'univers stratégique lui-même se déforme. Votre action change celle de l'autre et tout ce que fait l'autre change votre propre action. Le bon stratège est donc celui qui s'adapte en permanence, sans jamais perdre de vue son cap, son point d'arrivée.

Arbitrer en permanence

« La vision qui guide le groupement est la même depuis un demi-siècle, mais nous adaptons notre stratégie aux attentes sociales pour rester conformes à nos promesses », témoigne Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des centres E.Leclerc. Pour ne pas être pris par surprise, la connaissance intime de la concurrence est un impératif absolu. « Après vingt ans de métier à la tête d'Essilor, j'étais capable de prévoir les mouvements de Takao Sato - le patron de mon plus dangereux concurrent, Hoya », témoigne Xavier Fontanet. « J'étais aussi capable de reconstituer les comptes et les budgets de ses filiales. Mais comme c'était un concurrent redoutable, Sato San était aussi capable de reconstituer les nôtres. »

Vigilance donc, mais aussi transparence. La stratégie est également un récit et sa réussite dépend de sa bonne communication. Il faut convaincre ses propres troupes - l'adhésion est primordiale - mais aussi l'opinion. « Le chef d'entreprise doit expliquer sa vision, et donc sa stratégie, à plusieurs publics », explique Anne Méaux, fondatrice et présidente de l'agence Image 7. « En rappelant toujours que les discours qui s'adressent aux différentes cibles ne peuvent pas être contradictoires. »

Pour réussir dans ses projets, un dirigeant doit « mettre du futur dans chacune de ses décisions », écrivent les auteurs, et arbitrer en permanence son champ d'action entre les batailles immédiates qu'il faut gagner tout en préservant l'avenir. Un art difficile, mais un art remarquable, dont on retrouve l'infinie richesse grâce à ce livre passionnant.

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