Leïla Marchand
Après le Web 1.0 et le Web 2.0, le Web3 constituerait un futur chapitre dans le développement d'Internet. Ses partisans rêvent d'un espace « décentralisé » échappant aux monopoles actuels des Gafa et redonnant à chaque internaute le pouvoir sur ses données et sur le fonctionnement des plateformes.
Aux alentours de 2005, la presse mondiale bruissait d'un nouveau terme : « Web 2.0 ». « Etes-vous prêt pour ce nouvel Internet ? » lançait le magazine américain « Wired » à ses lecteurs. Plus dubitatif, « Le Monde » se contentait de noter que « l'expression est à la mode, mais qu'elle n'a pas de limites bien définies », quand « Libération » se questionnait sur les enjeux de « ce nouvel Eldorado »… Quinze ans plus tard, l'histoire se répète. Le monde de la tech bourdonne d'un nouveau concept : le Web3. « Le Web3 est la vision rose de l'avenir porté par la Silicon Valley », dépeint désormais « Wired ». Car le Web3 - version courte de Web 3.0 - représenterait un nouveau chapitre du Web, succédant au Web 1.0 et au Web 2.0. Les plus âgés d'entre nous se souviennent bien du Web 1.0, inauguré au début des années 1990, quand les ordinateurs fixes commençaient à trouver leur place dans les salons et permettaient seulement de naviguer entre des pages statiques (au graphique souvent douteux).
Après ce Web « passif » est progressivement apparu - à partir des années 2000 - le temps du Web « participatif », aussi appelé Web 2.0. On vantait alors la nouvelle capacité des utilisateurs à créer et partager leur propre contenu. « L'une des autres grandes tendances de ce Web revu et corrigé, c'est qu'on y crée des réseaux, sociaux de préférence. On se regroupe par centres d'intérêt, on échange, on s'entraide ! » s'extasiait alors « Le Monde ». C'est cette nouvelle version du net qui a vu naître les plateformes aujourd'hui reines que sont Google, Youtube, Facebook ou encore Amazon.
Alors, que nous réserverait le futur de la Toile avec le Web3 ? Le mieux est encore de poser la question à son inventeur, Gavin Wood. Cet informaticien est d'abord connu pour avoir cocréé Ethereum, une blockchain décentralisée et open source disposant de sa propre cryptomonnaie, l'ether. Mais en 2014, le Britannique a aussi inventé un terme : le Web3. Car « le Web d'aujourd'hui est un gros bébé. Il a vieilli sans grandir », déplore-t-il dans une tribune, en prenant comme exemple les transactions en ligne : « Vous n'êtes pas autorisé à effectuer des paiements en soi. En réalité, vous devez communiquer avec votre institution financière pour qu'elle le fasse en votre nom. Vous êtes traité comme un enfant faisant appel à un parent. »
C'est tout ce système « centralisé » entre les mains des quelques géants de la tech que les partisans du Web3 - souvent nostalgiques des espoirs cyber-libertaires du début du Web - souhaitent remettre en cause. Face à ces « goliaths qui gèrent des services essentiels à nos vies » - comme l'écrit Gavin Wood - et ayant amassé de gigantesques quantités de données personnelles, l'idée serait de redonner du pouvoir aux internautes en créant un Web « décentralisé ». Dans ce nouvel espace, les intermédiaires seraient supprimés, les monopoles brisés, et chacun pourrait « transporter » ses données d'un service à l'autre, en toute autonomie. Le Web3 serait construit à partir de la blockchain. Même si l'on est habitué à accoler cette technologie aux cryptomonnaies, elle est en effet aussi utilisée pour conclure des contrats ou contrôler le fonctionnement d'applications. Pour rappel, il s'agit d'une sorte de registre qui contient la liste de tous les échanges effectués entre utilisateurs. Ce registre est décentralisé - c'est-à-dire stocké sur les serveurs de ses utilisateurs - et très sécurisé car il repose sur un système cryptographique de validation par les utilisateurs.
Dans le cas du Web3, chaque internaute disposerait d'un compte personnalisé, créant un enregistrement sur la blockchain de toutes ses activités. Par exemple, chaque fois qu'il publierait un message, l'internaute pourrait gagner un jeton pour sa contribution, lui donnant un moyen de participer au sein de la plate-forme. Car chaque service serait exploité par des communautés d'utilisateurs.
Tout cela reste encore à préciser et à concrétiser. D'ailleurs le Web3, comme le Web 2.0 en son temps, est considéré par ses détracteurs comme très nébuleux. « Cela ressemble plus à un mot marketing à la mode qu'à la réalité », a lui-même taclé Elon Musk, le PDG de Tesla et de SpaceX, pourtant connu pour être un crypto-enthousiaste. Le fantasque milliardaire a également tweeté, moqueur : « Quelqu'un aurait vu le Web3 ? Pas moyen de le trouver. » En réponse à ce tweet, le cofondateur de Twitter, Jack Dorsey, a répliqué sur le même ton : « Il se trouve quelque part entre a et z. » Une référence à peine voilée au fond américain de capital-risque Andreessen Horowitz, également connu sous le nom de « a16z » et important investisseur dans le Web3. L'entrepreneur doute de la capacité du Web3 à redonner du pouvoir aux utilisateurs, estimant que les fonds de capital-risque finiront par en récupérer le contrôle. « C'est finalement une entité centralisée avec une étiquette différente », soutient-il.
Les sceptiques avancent également que le concept est loin d'avoir donné la preuve de son intérêt au-delà d'applications de niche, dont beaucoup sont des services destinés aux utilisateurs de cryptomonnaies. Des cryptomonnaies utilisées pour le blanchiment d'argent ? C'est la crainte des régulateurs, qui s'inquiètent des conséquences d'une finance décentralisée (ou DeFi).
Enfin, à l'heure où le Web est malade de son trop-plein de contenus, de ces milliards de messages et d'interactions postées à la minute, qui virent trop souvent au harcèlement ou à la désinformation, est-on sûr de vouloir le décentraliser et le faire échapper à toute responsabilité globale ?
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