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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

A Davos, l'IA a occupé le coeur des débats

Nicolas Barré et Jean-Marc Vittori

Deux sujets ont fait consensus cette année lors du Forum économique mondial de Davos : l'intelligence artificielle générative, qui va avoir des effets massifs sur le monde, et… la réélection probable de Donald Trump.

C'est peu dire que le fameux « consensus de Davos » est changeant. Il fut un temps où les Etats et les frontières apparaissaient comme des entraves aux affaires, voire des concepts d'un autre siècle. La guerre en Ukraine, la crise au Proche-Orient et les tensions entre blocs ont brisé ces certitudes. Les CEO « globaux » ne mettent plus leur drapeau dans leur poche, se ruent sur les programmes de subventions publiques massifs tels que la loi IRA américaine et souscrivent aux discours appelant au « réarmement ». Vu de Davos, le monde apparaît plus fragmenté et inquiétant que jamais, l'humeur du temps est au repli sur soi et si le thème du Forum, « Rebâtir la confiance », était bien choisi, tout reste à faire.

« Djène-aïe » : c'est le mot de l'année au Forum de Davos. « C'est curieux, dans toutes les sessions où je suis allé, le mot est sorti dans les dix premières minutes, quel que soit le sujet », témoigne un patron français. GenAI, pour intelligence artificielle générative, le terme générique d'une technologie qui s'est répandue comme une traînée de poudre avec le lancement, fin 2022, de ChatGPT-3. Les anciens du Forum se rappellent avoir connu une pareille excitation avec Internet à la fin des années 1990, quand un jeune startuppeur nommé Jeff Bezos était venu raconter sa librairie en ligne. Il s'agit là aussi d'une « general purpose technology » (une autre GPT, une « technologie à but général »).

L'intelligence au bout des doigts

« Internet, c'était l'information au bout des doigts, explique Satya Nadella, le patron de Microsoft. ChatGPT, c'est l'intelligence au bout des doigts. » Les applications sont infinies, de la recherche tout en amont jusqu'à la relation client tout en aval. « Ça pourrait fondamentalement accélérer la science », s'emballe Nadella, pourtant d'ordinaire très posé. « Ça va très vite », confirme Paul Hudson, le patron du groupe pharmaceutique Sanofi. « GenAI s'applique dans tous les domaines, constate Jean-Marc Ollagnier, le patron Europe du consultant Accenture. Dans la recherche sur les nouveaux matériaux, dans la personnalisation de la relation client, dans la             quête de gains de productivité … » Erik Brynjolfsson, un professeur d'économie de l'université américaine Stanford irrémédiablement techno-optimiste, veut d'ailleurs croire que « 2024 sera l'année des gains de productivité ».

La joie n'est hélas pas sans nuages. Des questions se posent sur l'emploi, l'éthique, la désinformation. Même Sam Altman, le jeune patron d'Open AI qui a lancé ChatGPT, en convient : « C'est une technologie très puissante. Elle aura des effets massifs sur le monde, qui pourraient être négatifs. Il faut la rendre sûre. »

Une ombre a plané sur toutes les conversations, celle de Donald Trump. Comme s'il ne fallait pas insulter l'avenir, Jamie Dimon, le patron de JPMorgan Chase, a fait entendre une musique dissonante par rapport à la crainte que suscite le possible retour du 45e président en novembre prochain. « Soyons honnêtes, il a plutôt eu raison sur l'Otan et sur l'immigration. Il a bien soutenu la croissance, les taxes sur le commerce ont fonctionné et il a vu juste au fond sur la Chine… »

Dimon a pris la tête de la grande banque américaine sous Bill Clinton. Les présidents passent, lui reste. Pas si grave, une réélection de Trump ? La question fait bondir le président polonais Andrzej Duda pour qui « l'Europe doit se tenir prête » à se retrouver seule face à la Russie pour défendre l'Ukraine et manifestement ne l'est pas. « Une victoire de Trump serait une catastrophe absolue pour l'Europe », soutient le géopolitologue américain Ian Bremmer.

Dans le brouillard

Si les participants à Davos parient sur la réélection de Trump, ils se divisent profondément sur les conséquences que cela pourrait avoir. Dimon, comme d'autres patrons américains en privé, relativisent en remarquant que Joe Biden a peu ou prou poursuivi la même politique économique. Trump ou Biden ? « On se prépare aux deux », dit le banquier, pragmatique, comme si les implications géopolitiques se valaient. Le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba se prépare aussi aux deux et s'applique à ne surtout rien dire qui puisse compromettre les relations avec une future administration Trump : « Je ne crois pas que Poutine et Trump pourraient se mettre d'accord sur quelque chose dans le dos de l'Ukraine si Trump redevient président. » Nul ne souhaite le retour du « fou » mais tout le monde s'y prépare.

« L'incertitude est très grande », explique Saadia Zahidi, une économiste pakistanaise devenue l'une des dirigeantes du World Economic Forum. « L'année 2024 sera très compliquée », confirme Ludovic Subran, l'économiste en chef français de l'assureur allemand Allianz. Mais la réalité est encore plus complexe. Tharman Shanmugaratnam l'exprime avec force.

Le nouveau président de Singapour explique que l'incertitude est devenue radicale. La pandémie ou le basculement climatique sont de bons exemples de cette forme d'incertitude. Les modèles ne sont d'aucune aide. L'ancien économiste critique doucement mais fermement les modèles économiques. Ils sont fondés sur l'utilité et non le nombre de morts. Ils supposent souvent un retour à l'équilibre alors que les tensions peuvent au contraire se renforcer mutuellement. C'est vrai pour le climat. C'est vrai aussi en politique, où « la polarisation alimente la polarisation ». Dans ce brouillard, comment doivent agir les gouvernants ? « Ils doivent orienter la politique vers la prévention du pire. » Pour le climat, le message est simple : « Il faut investir plus et plus vite. » Ce n'est pas précisément ce qui est dans le tuyau.

L'argent du climat

On se pousse, on se marche sur les pieds. C'est la cohue pour accéder à l'hôtel Belvédère -10.000 euros la nuit pendant la semaine de Davos - afin d'écouter un Al Gore vieillissant (il a quitté il y a quelques jours le conseil d'Apple pour cause de limite d'âge à 75 ans) expliquer que le monde se trouve dans un état de « servitude volontaire » à l'égard des énergies fossiles. Il n'a pas cité La Boétie mais Jane Goodall, la pétillante anthropologue britannique qui a passé sa vie à étudier les chimpanzés. « A 10 ans, j'étais amoureuse de Tarzan, mais il a épousé la mauvaise Jane… » En pleine forme à 89 ans, pleine de malice, elle a glissé : « N'oublions pas que nous, les humains, ne sommes pas immunisés contre l'extinction… »

Il est vrai que la question du climat n'était plus aussi centrale que lors des précédentes éditions. « Cela montre que tout le monde a intégré la nécessité de lutter contre les émissions de CO2 », veut croire le patron d'un grand groupe industriel. L'attention s'est davantage portée sur l'énergie, renouvelable et nucléaire. Le président français a vanté les efforts tous azimuts en faveur de l'atome et de la recherche en la matière. « La France est en pointe, se félicite Stefano Buono, le patron-fondateur de Newcleo, un pionnier européen des petits réacteurs (SMR). Nous livrerons le premier en 2030. »

La nécessité d'investir dans la transition écologique fait consensus mais à y regarder de près, tempère Mark Carney, l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, « il y a un décalage énorme » entre ce que disent les poids lourds de la finance et l'argent qui se dirige vers des projets verts. « C'est bien beau de dire 'il faut, il faut' mais encore faut-il que les projets soient rentables », se défend Ray Dalio, le fondateur du fonds d'investissement Bridgewater. « Pure cupidité ! » rétorque Al Gore. Même à Davos, les débats sur le climat tournent parfois au dialogue de sourds.

Moment indien

Dans sa jeunesse, Eknath Shinde a quitté l'école pour devenir conducteur de rickshaw. A la tête aujourd'hui d'un parti ultranationaliste hindou, il est le chef de l'exécutif du Maharashtra dont la capitale est Mumbai, le coeur économique du pays. A Davos, le « Chief minister » reçoit comme un chef d'Etat dans le pavillon à ses couleurs trônant au coeur de la station. Le Maharashtra représente 17 % de l'économie indienne avec un PIB de 500 milliards de dollars. « Dans quatre ans, notre PIB atteindra 1.000 milliards de dollars », l'équivalent de l'économie des Pays-Bas, affirme-t-il aux « Echos » dans un anglais hésitant.

Les Etats du Tamil Nadu, Karnataka, Telangana et Uttar Pradesh ont fait le déplacement tandis que l'Etat fédéral est aussi représenté séparément : l'Inde est présente en force à Davos, avec la certitude de vivre « une décennie dorée », dit le représentant de la Confederation of Indian Industry, l'organisation patronale. Le gouverneur de la Banque centrale, Shaktikanta Das, confirme sur le ton de la confidence : « La prévision n'est pas officielle mais je peux vous dire que nous aurons une croissance de 7 % en 2024-2025. »

L'Inde enregistrerait ainsi, pour la quatrième année de suite, une croissance de 7 %, bien plus que la Chine. « Notre potentiel dans les années à venir sera même un peu supérieur à 7 % », certifie le gouverneur. Chief technology officer de TCS, une branche du groupe Tata employant 625.000 personnes à elle seule, Harrick Vin incarne cette confiance dans l'avenir économique du pays. Après des années comme professeur à l'université du Texas à Austin, ce scientifique a décidé de revenir en Inde. « Nous sommes à un moment où les possibilités sont immenses. »

Le miracle des gènes

La foi en la technologie est l'un des piliers du Forum. Dans ce dîner consacré à la « décennie prodigieuse » que nous venons de vivre avec l'émergence des vaccins à ARN messager, la diffusion de la voiture électrique, la meilleure connaissance du génotype et bien sûr ChatGPT, des experts vivant tous aux Etats-Unis vantent les perspectives mirifiques de l'intelligence artificielle, des énergies renouvelables, des thérapies géniques.

A une table, une Libanaise se réjouit de tous ces progrès, en s'inquiétant toutefois de ce qui se passe en biologie. Le patron d'une firme pétrolière du Golfe prend alors la parole, d'une voix blanche. Il raconte son histoire. Sa fille tombe malade quinze jours après sa naissance, en 2014. Après des mois d'investigation, les médecins diagnostiquent une anomalie génétique rare. Les parents partent en quête de traitement dans le monde entier. La conclusion les désespère : « Ça existera peut-être dans dix ans. »

Nous sommes début 2024. Une technologie dérivée de CRISPS/Cas9, ces véritables « ciseaux génétiques » qui ont valu à leurs inventrices le Nobel de médecine, permet de fabriquer des gènes qui pourront remplacer les gènes défaillants. Le traitement est en phase II de validation par les autorités sanitaires. Bientôt, la fille du pétrolier pourra être soignée. A la table, tout le monde prend l'air grave. La foi dans la technologie n'en sortira que grandie.

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