top of page
  • Photo du rédacteurThierry Bardy

Le métavers peut-il passer l'hiver ?


Thomas Pontiroli


Meta a entraîné tout un pan de l'industrie numérique dans la course au métavers. Un an après, tous les projets déçoivent et il n'y a plus d'argent « gratuit » pour les soutenir autant. Des start-up continuent de développer leur concept mais le mot métavers semble bien arrivé à la fin d'un cycle.

A-t-on encore voulu faire advenir le métavers trop tôt ? Vingt ans après l'expérience Second Life, Meta a voulu précipiter la nouvelle version du Web en réaxant sa stratégie en octobre 2021. Il a créé une illusion collective. Un an après, tout le monde a entendu parler de métavers mais peu savent bien le définir, surtout, très peu le fréquentent et, pire, encore moins le désirent.

C'est allé vite. Il n'a pas fallu un an pour que ce soit déjà « ringard » pour une marque de dire qu'elle est « entrée dans le métavers », cingle Frédéric Cavazza, fondateur du cabinet spécialisé en transformation numérique Sysk. Indicateur nouveau : une grande agence de communication a déconseillé à une start-up de dire que le monde virtuel qu'elle développe est un métavers. « Nous attendons que l'orage passe avant de sortir du bois », espère la jeune pousse. En coulisse, Meta s'offusque si l'on qualifie de métavers sa plateforme sociale immersive Horizon Worlds.

Le buzzword mis sous les feux de la rampe par Mark Zuckerberg ne serait déjà plus bankable ? Pas si étonnant. Les rares à s'y être essayés ont constaté que ces mondes étaient dépeuplés et l'expérience proposée, confuse. Après la phase des « attentes exagérées », le cabinet Gartner vient de placer le métavers sur « la pente des désillusions » sur sa célèbre courbe du « hype cycle », une méthodologie qui évalue les cycles de vie des innovations ; leur mort, aussi.

Facebook fait tomber le premier domino de l'emballement le 28 octobre 2021, en devenant Meta. Mais plus encore, en annonçant 10 milliards de dollars par an pour son métavers ; ce sera même 15. Un mouvement titanesque, jamais vu à cette échelle, que l'on ne peut prendre qu'au sérieux. Le lendemain, des start-up opportunistes ajoutent déjà le mot magique sur leur site Internet.

Avec le rachat des casques de réalité virtuelle Oculus en 2014 et même de l'interface cerveau-machine CTRL-Labs en 2019, il était acquis que Mark Zuckerberg rassemblait les briques de son métavers dans son laboratoire de Menlo Park, en Californie. Mais pourquoi a-t-il sorti un produit inabouti ?

Aussi influent soit-il avec ses 3 milliards d'utilisateurs, Facebook est devenu un colosse aux pieds d'argile. Son audience a vieilli et a même commencé à baisser. La pépite Instagram, elle, devenue la locomotive du groupe, n'attire pas autant les jeunes que TikTok. Alors pour donner des perspectives aux investisseurs inquiets, le PDG abat sa carte maîtresse : le métavers.

Cette décision fait tomber les autres dominos, et braque le projecteur sur tout ce qui peut s'apparenter à un concurrent. Le monde découvre alors les métavers décentralisés The Sandbox et Decentraland. Leur singularité : ils utilisent la blockchain et des NFT qui introduisent la notion de propriété numérique. Eureka ! Beaucoup y voient les fossoyeurs des Gafam, trop centralisés.

A la fin de 2021, il n'y a pas encore de guerre en Ukraine, pas d'inflation en Occident, pas de resserrement monétaire, et l'argent « gratuit » coule à flots. Il se déverse donc généreusement sur les cryptomonnaies. Et les investisseurs achètent à l'envi des parcelles de métavers au prix fort, craignant de rater le coche selon le principe du Fomo (« fear of missing out »). En janvier 2022, Carrefour plante un panneau « 4×3 » dans The Sandbox pour essayer ; un an après, le terrain est resté vierge.

Marketing land

Alors que les réseaux sociaux et les médias rassemblent d'abord des audiences avant de les monétiser avec de la publicité, le métavers a fait les choses à l'envers. Avant même que l'on ne sache ce que c'est, les annonceurs s'y précipitent, conférant finalement à Decentraland une ambiance de « marketing land » ; comme si un magazine avait de la pub sans articles !

« Ce ne sont pas de bons produits », enfonce Joël Hazan, associé chez Boston Consulting Group. Aujourd'hui « déçu », il entrevoyait alors la portée de ces nouvelles économies virtuelles. Pour Guillaume Delacroix, consultant chez Havas Blockchain, ces projets « n'ont pas voulu avoir une telle exposition, liée à Meta, et sont victimes d'attentes qui les dépassent ». D'autres s'y essaient mais sans succès : Otherside (porté par le riche « Bored Ape Yacht Club »), AlphaVerse (par l'ancien patron d'Atari), ou Lamina1 (par le père du concept de métavers).

Seulement, ils reposent, eux aussi, sur les NFT… et ce marché s'est effondré de 95 % en 2022, emmené par le crypto-krach consécutif à la remontée des taux et au nouvel arbitrage des investisseurs devenus plus rationnels. Sans le côté spéculatif et alors que les expériences ont déçu, que reste-t-il à ces univers pour espérer convaincre ? L'hiver s'annonce rigoureux.

Chez Meta, tous les voyants sont au rouge. Le « Zuckerverse », comme le veut le quolibet, ne convainc pas la Bourse (-25 % le 27 octobre) et donne l'impression qu'avec ce projet l'ex-Facebook est tombé de Charybde en Scylla. « Si l'entreprise investissait 1 ou 2 milliards de dollars dans le métavers, ça ne serait pas un problème, mais mettre 100 milliards sur dix ans dans un projet si incertain, c'est terrifiant », prévient l'actionnaire Brad Gerstner, d'Altimeter Capital. Avec cette stratégie, Meta espère un jour sortir de sa dépendance au smartphone d'Apple, mais la Bourse sera-t-elle aussi patiente ?

Pour Frédéric Cavazza, la technologie ne serait tout simplement pas au point : « Les serveurs ne peuvent pas accepter assez de joueurs en même temps, un tiers des Français sont malades en réalité virtuelle, les équipements sont trop chers, les graphismes trop faibles, et comment attirer des créateurs si l'audience n'est pas suffisante pour garantir un retour sur investissement ? » Il y a, enfin, leur consommation électrique importante, dissonante avec l'impératif de sobriété. Au bout d'un an, tous les dominos sont tombés.

« On ne parlera plus de métavers en 2023 et c'est très bien, car ce concept, avant tout littéraire, est un amalgame qui mène à une impasse », tranche Frédéric Cavazza. Il imagine chaque projet avancer dans son coin, loin des attentes hystérisées. Les jeux en ligne Fortnite et Roblox n'ont pas attendu d'être qualifiés de métavers pour rencontrer un succès, qui ne se dément pas.

4 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Responsabiliser les consommateurs

Natacha Valla www.clubopenprospective.org Dans un monde de plus en plus conscient de son empreinte écologique, le rôle des consommateurs dans la responsabilité sociale et environnementale devrait reve

A Davos, l'IA a occupé le coeur des débats

Nicolas Barré et Jean-Marc Vittori Deux sujets ont fait consensus cette année lors du Forum économique mondial de Davos : l'intelligence artificielle générative, qui va avoir des effets massifs sur le

bottom of page