Gaëtan de Lavilléon
Télétravail, semaine de 4 jours : tous ces changements présentent un risque pour notre capital social, pourtant fondamental dans le travail en entreprises.
A quand remonte votre dernier moment de réelle intelligence collective ? Quand a eu lieu votre dernière discussion personnelle avec l'un de vos collègues ? Votre dernier fou rire a-t-il eu lieu au travail, là où vous passez certainement la majeure partie de votre temps à interagir ? Toute la journée, nous collaborons. Nous interagissons par e-mails, le tchat ou encore en visioconférence. Mais quand prenons-nous le temps d'être véritablement ensemble ? Malheureusement, ce désaveu croissant pour les liens sociaux au travail est loin d'être sans conséquence pour notre santé mentale, comme pour notre efficacité individuelle et collective.
Les récentes évolutions majeures dans l'organisation du travail, qu'il s'agisse du télétravail, des espaces de travail flexibles ou encore plus récemment de la semaine de 4 jours, ont un point commun : elles présentent toutes un risque pour notre capital social, à savoir les ressources sociales dont on dispose pour se soutenir mutuellement, s'entraider, ou agir ensemble. Ainsi, à l'ère du tout collaboratif, une compétition aussi discrète que profonde s'intensifie entre le traitement de nos tâches quotidiennes et le développement, voire le maintien, de notre capital social au travail : une compétition cependant loin d'être équitable !
Diminution de la synchronie cérébrale
Son iniquité provient tout d'abord du fait que la collaboration à distance n'est pas naturelle pour cet organe social qu'est notre cerveau. Lorsque l'on reçoit une information écrite, notre cerveau ne dispose pas de toutes les informations non verbales dont il a besoin pour faire sens de la situation. Le risque est alors de mal interpréter l'intention de notre interlocuteur. D'apparence moins néfaste, la visioconférence pourrait nous laisser croire à la préservation de la qualité de nos interactions sociales puisqu'elle donne à voir nos réactions non verbales. Pourtant, une étude récente internationale (Schwartz et al., 2023) montre une diminution de la synchronie cérébrale qui survient naturellement entre le cerveau d'une mère et de son enfant, lorsque cette interaction se fait en visioconférence. Or, cette synchronie de cerveau à cerveau est supposée tenir un rôle fondamental dans la qualité de nos interactions sociales.
Elle résulte également de l'intensification du travail et de l'explosion des informations quotidiennes à traiter. Quand les journées de travail s'allongent ou qu'elles sont de plus en plus denses, les temps informels constituent l'une des premières variables d'ajustement sur lesquelles rogner pour tenter de contenir la place de la vie professionnelle. En télétravail, ou au bureau, chaque salarié sera donc tenté de ne pas s'impliquer dans des interactions sociales pourtant fondamentales.
Cette compétition inéquitable n'est pas sans répercussion sur le bien-être des individus comme sur la performance collective. D'une part car le capital social joue un rôle majeur dans le développement d'un élément qualifié de boost d'engagement par 93 % des salariés, selon une étude Deloitte : le sentiment d'appartenance à l'entreprise et à l'équipe. D'autre part car c'est un pilier de l'intelligence collective en ce qu'il permet de développer un climat de sécurité psychologique, dans lequel chacun peut exprimer ses opinions et réagir à celles d'autrui de manière constructive.
A l'heure où les directions se donnent comme priorité de retenir leurs talents et d'innover dans un contexte ultra-concurrentiel, il serait grand temps de considérer le capital social pour ce qu'il est : une ressource essentielle pour l'entreprise.
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