Chantal Houzelle
Le palmarès 2022 des grands déposants de brevets de l'Inpi affiche une tendance baissière. Plusieurs fleurons de l'industrie et de la recherche nationales tirent leur épingle du jeu.
Au sortir de la crise sanitaire, aucun des grands déposants de brevets en France n'a réussi à se maintenir au-delà de la barre symbolique des 1.000 titres de propriété industrielle (PI). Cette tendance baissière est le premier constat qui ressort du palmarès 2022 de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), publié ce vendredi en exclusivité par « Les Echos ».
« La particularité de ce palmarès est qu'il correspond précisément au pic de la pandémie. Dans un premier temps, le rythme des dépôts de brevets est resté stable puis, à partir de la fin 2020, s'est ralenti en raison d'une activité moindre dans les laboratoires de R & D due aux confinements successifs », explique Pascal Faure, directeur général de l'Inpi. En effet, ce classement comptabilise les demandes déposées entre le 1er juillet 2020 et le 30 juin 2021, en raison du délai légal de publication de dix-huit mois.
« Il y a donc eu un petit décrochage dans la chaîne de l'innovation, puis la tendance est repartie à la hausse. Malgré les incertitudes sur l'avenir, les grands acteurs n'ont pas du tout tourné le dos à la PI, ni réduit par prudence leurs crédits : ils ont continué à avoir recours aux brevets pour maintenir leurs positions défensives », souligne-t-il.
Safran plus résistant à la crise sanitaire
A l'instar de Safran, qui stoppe sa perte de vitesse à 931 demandes publiées dans ce palmarès - contre 1.037 en 2021 et 1.103 en 2020 - mais consolide néanmoins sa position de champion de France des brevets. En dépit des turbulences, l'équipementier aéronautique a maintenu le cap de son budget de recherche et technologie (R & T) fixé à 4,2 milliards d'euros sur la période 2021-2025 - dont 1,4 milliard de financements publics - qu'il consacre à 75 % à la décarbonation de l'aviation (propulsion, allégement, électrification…).
« C'est effectivement à ce moment-là que les effets de la crise se sont fait le plus sentir en raison des conditions de travail particulières des équipes techniques et de propriété intellectuelle », reconnaît Jean-Marc Brunel, directeur de la propriété intellectuelle de Safran. « Je retiens que cette crise et ses conséquences en matière de R & T, d'innovation et de propriété industrielle, notre groupe l'a bien mieux traversée que d'autres acteurs français et que nos concurrents à l'international, grâce à la confiance dans son avenir et à la capacité inventive et l'engagement de ses équipes. »
Cette perte d'altitude visible de Safran est aussi due à la part croissante de ses innovations qui concourent à la souveraineté nationale, comme les technologies de positionnement, navigation et temps (PNT) ou de défense. « Un certain nombre de nos demandes de brevets ne font pas l'objet d'une publication, parce que la Direction générale de l'armement (DGA) peut décider de l'interdire », explique Jean-Marc Brunel.
Stellantis évolue vers une Tech Company
Recul similaire pour Stellantis, issu de la fusion de PSA et de Fiat Chrysler Automobiles, qui reste en deuxième ligne avec un compteur arrêté à 924 brevets publiés contre 1.035 dans le précédent classement. « Le palmarès 2022 reflète effectivement l'impact des mesures prises au second semestre 2020 dans le cadre de la crise du Covid, mais il a été somme toute limité », justifie Francis Fernandez, directeur de la propriété intellectuelle de Stellantis.
« L'évolution de notre groupe vers une Tech Company amplifie au contraire notre activité en matière de recherche, qui n'a jamais été aussi importante non seulement en France, mais aussi en Italie et en Allemagne, où se situent nos autres grands centres de développement européens. » La priorité de Stellantis est la protection des développements conduits sur l'électrification des véhicules (Peugeot 208, Citroën C3, Fiat 500 ou Jeep Avenger Electric), et les nouvelles technologies embarquées pour l'aide à la conduite ou la connectivité.
Le CEA retrouve sa 3e place
A contre-courant, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) progresse de 630 à 672 brevets et remonte sur la troisième marche du podium qu'il avait perdue depuis 2015. « Cette hausse s'explique par un nombre plus réduit de dépôts au nom de tiers et des objectifs plus ambitieux, accompagnés d'une campagne de sensibilisation aux brevets », explique Laurence Petit, directrice déléguée à l'innovation, aux start-up et aux participations du CEA.
« Le Covid n'a pas eu d'impact sur cet exercice, puisque certains inventeurs ont mis à profit le confinement pour initier la protection d'idées qu'ils avaient en tête ou finaliser les dépôts en cours. L'impact sera plus visible sur le suivant. » Le CEA confirme son statut de chef de file de la recherche publique, suivi par le CNRS, qui se maintient au 6e rang avec 354 brevets.
« La progression des organismes de recherche et des universités est notable : douze d'entre eux se classent dans les 50 premiers de notre palmarès 2022. J'ai le sentiment que le message du décloisonnement de la recherche publique et privée est passé, même si le partage de la propriété intellectuelle, que nous essayons de faciliter avec le programme Alliance PI, reste encore mal maîtrisé », estime Pascal Faure.
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