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COP30 à Belém : l’urgence de la pérennisation et de l’innovation en matière de financements climatiques

  • Photo du rédacteur: Thierry Bardy
    Thierry Bardy
  • 12 nov.
  • 9 min de lecture

Fondation Jean Jaures

Alors que la COP30 s’ouvre à Belém, la communauté internationale risque encore d’achopper sur la question cruciale qui se répète chaque année : le financement. Jean Burkard, directeur du plaidoyer de WWF France, voit pourtant dans le Tropical Forest Forever Facility (TFFF), un nouvel outil de financement, une opportunité pour faire avancer les discussions financières dans un contexte de durcissement dans les relations internationales et de repli autant politique qu’économique dans les États du Nord.

Introduction

La COP30 s’ouvre à Belém, au Brésil, dans une ambiance singulièrement pessimiste : alors que les États-Unis ont confirmé leur nouveau retrait des accords de Paris, de nombreux autres pays – dont l’Union européenne ! – rechignent à présenter leurs plans climatiques. Selon l’ONU1, la planète s’achemine désormais vers une hausse des températures mondiales par rapport à l’ère préindustrielle d’au moins 2,3°C d’ici 2100… À condition que les pays mettent en œuvre intégralement leurs engagements actuels. La poursuite des politiques actuelles conduirait, elle, vers une surchauffe de 2,8°C à la fin du siècle.

Minée par les tensions internationales grandissantes (conflits en Ukraine et à Gaza, guerre commerciale et retour du protectionnisme, tensions sur les ressources en eau et en métaux critiques…), la communauté internationale risque encore d’achopper sur la question cruciale qui se répète de COP en COP : le financement. Si la scène géopolitique a considérablement évolué depuis 1995 avec l’émergence et l’affirmation de nouvelles puissances économiques, le monde a toujours autant de difficultés à obtenir et à diriger les capitaux vers les solutions favorables à l’atténuation du dérèglement climatique, sans parler de l’adaptation à celui-ci. Or, cette COP devrait précisément voir émerger un nouvel outil de financement, le Tropical Forest Forever Facility (TFFF)2 dont la première note conceptuelle, portée par le gouvernement brésilien, la Banque mondiale et d’autres partenaires, a été publiée l’an dernier, en juillet 2024. En se proposant de rémunérer chaque année les pays tropicaux en fonction du nombre d’hectares de forêt qu’ils préservent, il introduit une logique de paiement au résultat et non plus au projet et crée une ressource pérenne. En plaçant sur les marchés les capitaux qu’il sera parvenu à mobiliser et en promettant un retour garanti aux donateurs avant que le surplus des revenus générés ne soit redistribué aux pays récipiendaires, il multiplie le capital initial tout en diminuant le risque de perte pour les investisseurs.

Ce mécanisme, qui entend mobiliser 125 milliards de dollars pour générer 4 milliards de dollars par an, pourrait-il enfin aligner les intérêts économiques avec la protection de l’environnement ? S’il est loin d’être exempt de critiques, il permettrait déjà de faire avancer les discussions financières, un mouvement d’autant plus salutaire qu’il répondrait à un durcissement dans les relations internationales et à un repli, autant politique qu’économique, des États du Nord.



De la COP1 à la COP21 : retour sur les mécanismes de financement de la transition écologique

Depuis la première Conférence des parties (COP) à Berlin en 1995, la communauté internationale a rapidement pris conscience de l’urgence climatique et de la nécessité de mobiliser des ressources financières pour y faire face, étant donné la disparité des moyens entre – schématiquement – pays du Nord historiquement pollueurs et pays du Sud en passe de le devenir. L’histoire des fonds dédiés à la lutte contre le changement climatique et à la préservation des écosystèmes reflète cette prise de conscience, ainsi que les défis rencontrés pour concilier ambition environnementale, équité et efficacité. Cette trajectoire, marquée par des avancées, des échecs et des réinventions, illustre les efforts déployés pour transformer les engagements politiques en actions concrètes.

Si le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a été créé dès 1991, avant même la première COP, et s’est très vite imposé comme un acteur clé dans le financement de projets contre la désertification ou la perte de biodiversité, il a fallu attendre le Protocole de Kyoto en 1997 pour voir émerger les premiers instruments financiers structurés, porteurs d’une vision qui se voulait systémique, par laquelle les pays émetteurs de gaz à effet de serre allaient compenser leurs émissions en finançant des projets de réduction d’émissions dans les pays en développement. Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) et la Mise en œuvre conjointe (MOC) ont introduit les premiers crédits carbone censés témoigner de l’effort des pays industrialisés. Bien que novateurs, ces mécanismes ont vite été critiqués pour leur complexité (pour ne pas dire leur opacité) et leur efficacité limitée, souvent centrés sur des projets ponctuels plutôt que sur des transformations systémiques.

Au début des années 2000, la prise de conscience de la nécessité d’un financement climatique plus ambitieux s’accentue. La COP7 à Marrakech en 2001 marque un tournant avec la création de trois fonds sous l’égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) : le Fonds pour les pays les moins avancés (FPMA), le Fonds spécial pour les changements climatiques (FSCC) et le Fonds d’adaptation. Ce dernier, initialement censé être alimenté par une taxe sur les crédits carbone, était spécifiquement destiné à aider les pays vulnérables à s’adapter aux impacts du changement climatique. Si ces fonds ont ouvert la voie à une reconnaissance officielle du besoin de financements dédiés, notamment pour l’adaptation – parent pauvre des négociations climatiques –, ils sont restés largement insuffisants, au-delà du temps qu’il a fallu entre leur annonce et leur lancement. À la COP13 en 2007, le Plan d’action de Bali a souligné la nécessité de mobiliser des ressources financières « mesurables, notifiables et vérifiables ».


À cet égard, la COP15 de Copenhague en 2009 a été un moment charnière. Pour la première fois, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour soutenir les actions climatiques dans les pays du Sud. Bien que non contraignant, cet engagement a conduit l’année suivante à la création du Fonds vert pour le climat (FVC) dont la gouvernance innovante, incluant une représentation équilibrée entre pays développés et en développement, devait dépasser les blocages apparus dans les fonds précédents. Les débuts ont toutefois été, une fois encore, laborieux, les pays donateurs peinant à atteindre leurs engagements, les bénéficiaires dénonçant des délais trop longs et des critères d’accès trop stricts. Le cap symbolique des 100 milliards de dollars par an sera réitéré en 2015, à la COP21, lors de laquelle les parties se sont engagées à fixer, d’ici à 2025, un « nouvel objectif chiffré collectif » à partir de ce plancher des 100 milliards.



De la COP21 à la COP29 : des besoins en financement colossaux pour lutter contre le dérèglement climatique et s’adapter


Dix ans après les accords de Paris, d’un strict point de vue comptable, l’objectif est atteint : en additionnant le financement public bilatéral (aide publique au développement), le financement multilatéral (banques multilatérales de développement, fonds climatiques comme le FVC) et financement privé mobilisé par l’intervention publique (garanties, prêts concessionnels, cofinancement, etc.), l’OCDE a constaté qu’en 2022, les pays développés ont fourni et mobilisé un total de 115,9 milliards de dollars de financements climatiques pour les pays en développement, dépassant ainsi pour la première fois, certes avec deux ans de retard, l’objectif fixé en 20153. Néanmoins, les critiques demeurent vives car, sans même parler de la qualité de ces financements (double comptabilité, manque de transparence, prêts onéreux…), les besoins dépassent largement les 100 milliards évoqués.

De fait, lors de la COP29, l’année dernière, le « nouvel objectif chiffré collectif » a été fixé par les parties à au moins 300 milliards de dollars par an d’ici 2035… et s’est doublé d’un appel plus large à tous les acteurs pour atteindre au moins 1300 milliards de dollars par an d’ici 2035, toutes sources combinées, ce qui témoigne de la marche à franchir alors que de nombreux experts estiment les besoins à des niveaux encore plus importants. Pour ne citer qu’eux : la Banque mondiale estime que les pays en développement doivent investir 1000 à 2000 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour rester sur une trajectoire compatible avec +1,5°C4 ; le Fonds monétaire international l’évalue à 2000 milliards5 ; l’OCDE considère que ce chiffre pourrait monter jusqu’à 2400 milliards6

Trente ans après la première COP, le financement climatique des pays industrialisés vers les pays en développement pâtit donc de trois limites qui se renforcent mutuellement : s’il est clairement insuffisant, c’est que les pays donateurs ont de plus en plus de mal à se financer eux-mêmes et rechignent à s’engager sur des projets dont ils maîtrisent mal la mise en œuvre et donc le résultat et le risque. Faute de dépasser ce constat, la finance est condamnée à innover.


La COP30 : l’enjeu autour du fonds consacré à la préservation des forêts tropicales

C’est précisément l’objet du Tropical Forest Forever Facility (TFFF) qui doit être lancé par le gouvernement brésilien, soutenu par la Banque mondiale, lors de cette COP30. Cette initiative n’est pas la première à prendre en considération spécifiquement les forêts tropicales (Amazonie, Bassin du Congo, Asie du Sud-Est) dont le rôle pivot ne sera jamais assez souligné, représentant, d’une part, environ un tiers du potentiel mondial de séquestration naturelle du carbone et abritant, d’autre part, près des deux tiers de la biodiversité terrestre mondiale7. Or, situées dans des pays en pleine expansion, elles sont fragilisées à la fois par leur sous-financement et leur forte exposition, sous la pression de l’exploitation agricole, forestière ou minière. Ainsi, face à une déforestation dont le Giec a largement documenté le poids majeur dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre8, il a été introduit très tôt l’idée de payer les pays pour la conservation de leurs forêts.

C’est ainsi qu’est né le mécanisme « Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts » (REDD+), prévoyant de fournir des incitations financières aux pays en développement proportionnelles aux réductions vérifiées de leurs émissions de carbone issues de la déforestation et de la dégradation forestière, tout en incluant la conservation et la gestion durable des forêts. Cependant, malgré son potentiel, REDD+ a rencontré plusieurs limites : outre la complexité des systèmes de mesure et de vérification des émissions, il a été freiné par la lenteur des transferts financiers, le manque de coordination entre les donateurs et les bénéficiaires… et toujours l’insuffisance des financements par rapport à l’ampleur du problème. De plus, le mécanisme, bien que soutenu notamment par la Banque mondiale via le Fonds coopératif pour le carbone des forêts (FCPF), dépend largement des contributions publiques et des crédits carbone volontaires, souvent fragmentés et peu prévisibles, ce qui freine la planification à long terme.

Le TFFF s’inspire de cette expérience pour proposer un cadre d’apparence plus simple, plus sécurisé, plus structuré et plus ambitieux, capable de mobiliser des financements importants et prévisibles sur le long terme, en combinant contributions publiques et investissements privés. Contrairement aux subventions classiques, qui sont versées ex ante sur la base de promesses ou de plans d’action, le TFFF rémunère les pays détenteurs de forêts tropicales en fonction des résultats effectifs de conservation, mesurés par satellite. Concrètement, il propose d’instaurer un paiement de 4 dollars par hectare de forêt tropicale pour tous les pays engagés, directement versés au gouvernement du pays avec une part incompressible (au moins 20%) réservée aux peuples autochtones et aux communautés locales9. En conditionnant les versements à la réduction vérifiable de la déforestation, le TFFF crée un incitatif fort pour transformer la préservation des forêts en une source de revenus pérenne.

Source : Données issues de la note conceptuelle du TFFF.

La deuxième innovation fondamentale du TFFF est justement de pouvoir générer un flux de ressources stable, qui ne repose pas sur les subventions annuelles de ses donateurs ou sur la volatilité des crédits carbone. L’enjeu est au contraire de combiner les capitaux publics et privés en un fonds qui sera investi sur les marchés dans un portefeuille diversifié d’obligations à revenu fixe, pondéré en faveur des marchés émergents, avec des exclusions strictes empêchant tout investissement dans les combustibles fossiles ou les activités à haut risque de déforestation. Le rendement de ces actifs serait comparable à d’autres instruments de marché, avec une garantie de revenu fixe pour les investisseurs et, au-delà de cette garantie, un surplus qui est reversé aux pays tropicaux. Si le TFFF est pleinement capitalisé et si les taux de déforestation devaient tomber proche de zéro d’ici 2030, le TFFF pourrait générer jusqu’à 4 milliards de dollars par an en paiements aux 70 pays dotés de forêts tropicales10, soit le double de ce que la finance apporte aujourd’hui aux forêts à l’échelle mondiale.


Conclusion

Le TFFF sera-t-il la solution miracle ? Alors que s’ouvre la COP30, l’histoire des fonds climatiques rappelle que les progrès sont lents et semés d’embûches. De fait, il est indispensable de considérer que le TFFF doit venir compléter et non pas se substituer aux nombreux mécanismes existants dont la maturation, pour peu qu’elle soit considérée comme effective, a déjà été longue et difficile. Pourtant, cela montre aussi que la coopération internationale n’a pas atteint un plafond et qu’elle peut encore ouvrir des voies inédites. Le succès des futurs mécanismes dépendra de leur capacité à concilier ambition, équité et efficacité, tout en s’adaptant aux réalités changeantes d’un monde en crise climatique. Il est d’ailleurs révélateur que les pays les plus allants pour proposer de premiers financements soient d’abord des pays du Sud : le Brésil a promis un milliard de dollars, la Chine et les Émirats ont exprimé leur intérêt… Ceci témoignerait d’un renversement de la scène géopolitique par rapport aux premières COP, dans un contexte concomitant d’affaiblissement des pays du Nord.

 
 
 

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