Club Open prospective
Laurence Boisseau
La Commission européenne doit publier l'acte délégué de la CSRD. Selon des eurodéputés, ce texte équivalant à un décret d'application pourrait en réduire la portée.
A Bruxelles, les partisans d'un capitalisme durable s'inquiètent. En novembre dernier, le Parlement et le Conseil européens ont voté la directive CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) qui vise à rendre les entreprises plus responsables en les obligeant à divulguer leur impact sur les personnes et la planète.
« Cette semaine, la Commission européenne aurait dû soumettre à consultation publique l'acte délégué (l'équivalent d'un décret d'application) qui doit définir le contenu exact des informations à communiquer. Mais elle a pris du retard », explique Thierry Philipponnat, membre du conseil de reporting de durabilité de l'Efrag (European Financial Reporting Advisory Group), l'organisme chargé d'élaborer des normes sur le reporting extra-financier. Ce retard serait passé inaperçu si, depuis des semaines, certains politiques, des technocrates et des associations d'investisseurs n'avaient l'impression que la Commission européenne essaie de gagner du temps soit pour repousser la mise en oeuvre de la directive, soit pour en ajuster le contenu et revoir à la baisse ses ambitions.
Le 15 mars, devant le Parlement européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré vouloir simplifier les obligations de compte rendu des entreprises et souhaiter les réduire, d'ici à l'automne, d'environ 25 %. Et ce, au nom de la compétitivité de l'Europe. La directive CSRD, qui exige plus de reporting extra-financier qu'avant, est-elle visée ? Sera-t-elle la première victime collatérale de cette volonté de simplification ? Quelques jours plus tard, Mairead McGuinness, commissaire européenne aux services financiers, a demandé à l'Efrag de modifier son programme de travail. Mandatée par Bruxelles en 2020 pour élaborer des normes sur les sujets de durabilité (normes ESRS qui vont servir de socle à la directive CSRD), cette organisation a mis au point, il y a six mois, un jeu de 12 standards généralistes pour toutes les entreprises.
Sous couvert de simplification
« Elle devait désormais s'atteler à des normes spécifiques à chaque secteur d'activité. Au lieu de cela, la commissaire européenne lui a demandé de se concentrer sur la rédaction d'un mode d'emploi en lien avec les normes généralistes », explique Thierry Philipponnat.
Surpris par ces deux discours, début avril, des investisseurs, des syndicats, des membres de l'Efrag et des ONG ont écrit à la Commission. Ils demandent que le chantier de la CSRD ne soit pas rouvert, que son contenu ou sa date d'application ne soient pas modifiés (ni pour les grandes entreprises ni pour les PME cotées), et que le contenu et le calendrier de mise en oeuvre du premier jeu des normes ESRS soient bien maintenus. Ils veulent aussi que des standards sectoriels soient développés.
Leur crainte ? Que la Commission européenne ne réduise la portée de la directive CSRD, en n'adoptant qu'une partie de ces normes. Soit en réduisant de 25 % les indicateurs définis par l'Efrag dans le cadre du reporting, pour répondre aux préoccupations d'Ursula von der Leyen. Soit en mettant de côté certains types de standards, en l'occurrence ceux qui n'ont pas trait au climat.
« Sous couvert de simplification, certains acteurs politiques et industriels veulent diminuer la portée des actes pour ne pas traiter maintenant des questions sociales, de droits humains et de biodiversité, explique Pascal Durand, député européen, membre du Groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, et ancien rapporteur pour la commission juridique de la directive CSRD. En Allemagne surtout, mais en France aussi, des entreprises s'inquiètent du niveau de détail exigé, et de « la complexité susceptible de déboucher sur des rapports illisibles ». Mandaté par la Commission européenne, l'Efrag a développé des standards climatiques mais aussi environnementaux, sociaux et de gouvernance qui vont s'imposer aux entreprises. Il se trouve que l'ISSB, un organisme international, émanation de la fondation IFRS qui élabore les normes internationales pour les comptes consolidés, n'a pour l'instant publié que deux standards liés au climat. Sur le climat précisément, l'ISSB et l'Efrag travaillent à une convergence. Mais pas sur les autres aspects des normes (biodiversité, gouvernance, etc.), l'ISSB n'ayant pas - encore - prévu d'aller sur ce terrain.
Pour un green deal
A peine votée, la directive CSRD serait-elle en danger ? « Ce qui est en danger, c'est la capacité de l'Union européenne à définir sa propre vision de la durabilité, et à inscrire la CSRD comme une première brique d'un green deal et de la nouvelle économie », résume Pascal Durand.
Après le reporting extra-financier, le prochain chantier de l'Europe, déjà bien avancé, c'est la directive sur le devoir de vigilance qui, elle, va obliger les entreprises à agir de manière équitable et durable. « L'Europe veut-elle se donner les moyens d'aller jusqu'au bout de la normalisation européenne, en créant les normes elles-mêmes, ou va-t-elle encore une fois, comme elle l'a fait avec les normes comptables IFRS, abandonner sa souveraineté au profit des normes étrangères », s'interroge-t-il.
Une directive pour rendre les entreprises plus responsables
Qui est visé ? Environ 50.000 entreprises (plus de 250 employés et plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires), contre 12.000 entreprises sous la directive précédente NFRD. Les entreprises non européennes avec un chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros en Europe devront appliquer les mêmes règles.
Quelles obligations ? Communiquer des informations sur leur impact sur l'environnement, les droits de l'homme, les normes sociales et l'éthique du travail, sur la base de normes communes. Ces informations feront l'objet d'un audit et d'une certification indépendants. Quand ? CSRD sera appliquée en 2024 pour un premier rapport en 2025.
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