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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

La prospective ne s'use que si on ne s'en sert pas


Nicolas Arpagian


Conjoncture, nouvelles menaces, innovations technologiques… les travaux n'ont jamais été aussi disponibles. Mais sans réel impact sur les décisions politiques.

Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » L'interrogation maladroite exprimée par le président Macron lors de ses voeux de janvier 2023 résume l'hiatus qui sépare durablement l'expertise documentée de la communauté de spécialistes et l'échelon des décideurs, qu'ils soient politiques ou économiques. D'autant plus que personne ne peut sérieusement soupçonner le chef de l'Etat d'avoir jusqu'alors ignoré l'existence du sujet.

Exigences de la communication obligent, les entreprises et les élus sont constamment sollicités pour annoncer des plans stratégiques et des calendriers d'actions. A grand renfort de chiffrage et d'échéances datées afin de répondre sans délai aux questions si cruciales « combien ? » et « quand ? ». L'affirmation martiale de données chiffrées semble incontournable pour crédibiliser une prise de parole, rassurant l'auditoire quant au sérieux des préparatifs ayant conduit à ces proclamations.

Prenons l'exemple de la filière nucléaire, le besoin de recrutements affiché ce printemps représente 100.000 emplois pour les dix années à venir. Dans des métiers de pointe qui ne s'improvisent certainement pas comme la forge-fonderie, la chaudronnerie ou le contrôle-commande. Et le pic de la demande de professionnels est prévu pour 2027. Etant déjà presque au mitan de 2023, on espère que les têtes bien faites tant recherchées sont déjà en train de clore leurs cursus académiques pour commencer leurs expériences opérationnelles. Pour être fins prêts à la date attendue et intervenir dans ce secteur si stratégique et complexe.

Dans un autre domaine, mi-avril toujours, le Haut conseil des finances publiques s'inquiète par avance du financement effectif de la loi de programmation militaire 2024-2030. Notamment en ce qui concerne son étude d'impact. Soit la difficile rencontre de la prospective avec la méthode de financement des évolutions technologiques à venir.

Ce décalage persistant entre théorie et pratique est propice à favoriser le court-termisme. A quoi bon soigner des prévisions qui ne seront pas tenues ou qui comportent trop d'inconnues ? De quoi contribuer à vider de son autorité la prise de parole émanant des autorités. Soit une dégradation de la considération apportée aux instances dirigeantes qui est à même de fragiliser la crédibilité de la parole officielle, et par conséquent la cohésion nationale. Laissant le champ libre à des tribuns d'émotions, des raccourcis simplistes, voire à un refus d'appréhender l'avenir comme étant un terrain d'initiatives et de progrès. Cette perte d'adhésion à la parole des sachants est de nature à encourager le repli sur soi et le refus de toute alternative constructive.

L'aquabonisme ne peut constituer une posture enviable et souhaitable. A force de ne pas traduire de manière conséquente des options techniques en politiques claires pour l'opinion publique, le fatalisme guette les plus évoluées de nos sociétés. D'autant plus que les experts compétents peuvent finir par renoncer à rejoindre les rangs des services de l'Etat, s'ils ont le sentiment que leur savoir-faire n'y sera pas suffisamment pris en compte.

Le mal n'est certainement pas que français. Ainsi, la cour des comptes étatsunienne, le Government Accountability Office, déplorait en janvier 2023 que les agences fédérales du pays aient ignoré depuis dix ans 60 % de ses recommandations en matière de cybersécurité. Alors même que la menace est identifiée, le risque connu de tous et les effets potentiellement dramatiques pour la population, et le pays en général. Là encore, cela ne semble pas suffisant pour passer de la théorie à la pratique. Même s'ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas.


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