Nicolas Arpagian
Au regard des défis techniques auxquels nos sociétés sont confrontées, les gouvernants doivent mieux maîtriser la compréhension des mécanismes technologiques.
Gare au péril de la boîte noire et à la multiplication de celles-ci dans nos organisations sociales en mutation. Avec la montée en puissance et la généralisation de solutions technologiques mises en oeuvre pour traiter un nombre croissant de problématiques cruciales au coeur de nos sociétés modernes, nous assistons au déploiement de ces programmes complexes dont le fonctionnement et les modalités de composition échappent à la quasi-totalité de la population. Ce qui inclut également les échelons les plus élevés des entreprises et des instances administratives.
Ainsi, les différentes déclinaisons de l'usage de l'intelligence artificielle (IA), les modèles quantiques, les outillages de cybersécurité et de supervision de l'espace numérique, pour ne citer que ceux-ci, trouvent chaque jour des applications de plus en plus opérationnelles au sein de nos organisations.
On peut néanmoins déplorer la faible maîtrise des concepts et des principes techniques qui structurent ces différentes spécialités. Certes, la loi a suscité il y a juste trente ans la création de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - rare organe bicaméral commun à l'Assemblée nationale et au Sénat - dont la mission est d'informer le Parlement français des conséquences de ses choix afin d'éclairer ses décisions dans ces domaines. Une démarche vertueuse mais qui ne peut matériellement pas couvrir tous les champs d'innovation.
Alors que les annonces de ruptures technologiques se multiplient et s'accélèrent, il convient de renforcer la connaissance de ces nouveaux territoires par les organes de décision. Tant pour les opportunités qu'ils représentent que par les risques et les dangers qu'ils suscitent afin de redonner de la hauteur de vue aux équipes de direction dans les secteurs privé et public. La capacité à disposer d'audits techniques établis par des tierces parties est de nature à renforcer l'accessibilité de ce qui peut sinon s'apparenter à de véritables boîtes noires dont le modus operandi échappe à celui qui l'a acheté, loué ou intégré au sein de ses infrastructures. D'autant, qu'outre leurs caractéristiques initiales, ces équipements et ces logiciels peuvent connaître des mises à jour et des modifications en cours de route qui sont de nature à accroître ultérieurement leur éventuelle nocivité. Pour reprendre les mots d'Auguste Comte, il convient donc de « savoir pour prévoir, afin de pouvoir ».
Cette appropriation des sujets technologiques est également un moyen, dans un environnement financièrement contraint, d'établir une priorité dans ses investissements et dans l'ordonnancement de ceux-ci. Il est frappant que les initiatives politiques structurantes ont chaque fois combiné une sélection de spécialités scientifiques, avec une implication du tissu économique national.
A l'instar du projet China 2025 lancé par Li Keqiang en 2015 pour doter la Chine d'une véritable autonomie stratégique dans une série de secteurs clés comme la 5G, les semi-conducteurs, les véhicules électriques, l'aéronautique ou les biotechnologies. Ou du plan Industrie 4.0, qui mobilise depuis dix ans en Allemagne - à la demande de Berlin - les grands conglomérats, le Mittelstand ainsi que les principaux centres de recherche du pays.
En France, il conviendrait de maintenir sur la durée les annonces gouvernementales successives en la matière : tels le dispositif Industrie du futur de 2015, le plan de relance de 2020, le plan d'investissement France 2030… Pour gagner en lisibilité, travailler sur le temps long et finir par donner tort au cardinal de Retz, qui prétendait qu'on « ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens ».
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