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  • Photo du rédacteurThierry Bardy

« TOUT NOUVEAU PROJET DANS LES ÉNERGIES FOSSILES NOUS ENFERME DANS NOTRE DÉPENDANCE »


- PROPOS RECUEILLIS PAR A. F. ET M. JQ.

Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement, est coautrice du rapport du GIEC.

Ce nouveau rapport va servir de référence scientifique aux gouvernements dans les négociations climatiques pour des années. Sur quel message le GIEC veut-il insister ?

On a commencé à agir, à la fois pour s'adapter et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre - et on a vraiment besoin des deux -, mais les tendances actuelles ne sont pas à la hauteur de l'enjeu ! Le rythme et l'ampleur des actions mises en oeuvre jusqu'à présent et les engagements des Etats sont insuffisants pour éviter les risques liés au changement climatique et construire un monde soutenable et équitable. Par ailleurs, on comprend mieux à quoi pourrait ressembler notre futur climatique en fonction des choix que nous faisons maintenant.

On observe déjà des effets en cascade : sur l'augmentation de l'intensité des extrêmes de chaleur, sur les écosystèmes, sur les rendements agricoles, sur les ressources en eau, etc. Les pertes et dommages touchent déjà de plein fouet l'ensemble des régions du monde, mais de façon inégale et disproportionnée les pays les plus vulnérables, ceux qui contribuent le moins aux émissions. Il y a donc aussi une question prégnante de justice climatique.

Vouloir limiter la température moyenne à +1,5 °C a-t-il encore un sens ?

Cette température moyenne du globe n'est qu'un indicateur. Ce qui compte vraiment, c'est l'augmentation des extrêmes de chaleur et des sécheresses, ainsi que leurs effets. Ce seuil de +1,5 °C figure dans les textes de négociations, c'est un objectif politique, inscrit dans l'Accord de Paris. Mais on sait qu'à moins d'actions phénoménales qui permettraient d'inverser la tendance sur les émissions mondiales et de les réduire de près de moitié d'ici à 2030, l'objectif de 1,5 °C est en train de devenir hors d'atteinte. Chaque fraction de degré additionnelle de réchauffement se traduit en pertes, en dommages et en risques additionnels. Et 1,5 °C ou 2 °C, cela fait une très grosse différence. Un exemple : à +1,5 °C, on a une perte de 75 % des coraux ; à +2 °C, c'est quasiment 99 %. L'impact est donc aussi différent pour les populations qui dépendant des coraux, pour la pêche notamment. Nous ne sommes pas dans une situation où avant le seuil de 1,5 °C tout va bien, et après rien ne va plus.

Quelles sont les solutions ?

L'état des connaissances scientifiques nous montre qu'il y a aujourd'hui denombreuses options d'actions faisables, efficaces, abordables et disponibles, pour baisser les émissions comme pour s'adapter. On sait que la seule manière d'arrêter la dégradation de la situation est de les réduire jusqu'à atteindre « zéro émission nette » de CO2. C'est un objectif extrêmement ambitieux qui demande des transformations majeures de tous les secteurs. Or, dans chacun d'eux, il existe des solutions connues. Dans l'énergie, par exemple, d'ici à 2030, les potentiels les plus grands à l'échelle mondiale se trouvent dans le solaire et l'éolien. Il y a aussi un fort potentiel sur les fuites de méthane et sur le nucléaire, même s'il est moindre.

Le GIEC dit qu'il faut limiter drastiquement les énergies fossiles. Il y a pourtant encore beaucoup de projets dans les tuyaux… Que faire pour respecter la trajectoire de l'Accord de Paris ?

D'après la littérature scientifique analysée par le GIEC, utiliser les infrastructures déjà existantes (les centrales électriques à gaz, au charbon, les installations industrielles, etc.) jusqu'à la fin de leur durée de vie conduirait à un cumul d'émissions incompatible avec l'objectif de + 1,5 °C. Cela veut dire que tout investissement supplémentaire dans ce type d'infrastructures contribue à le dépasser, ou à créer des actifs échoués [actifs voués à perdre toute leur valeur, NDLR] . Avec toutes les questions que cela pose pour la stabilité financière mondiale et pour les personnes qui dépendent de ces actifs.

Il existe un deuxième type d'actifs échoués : les réserves d'énergies fossiles elles-mêmes. Dans les trajectoires compatibles avec un réchauffement limité à 2 °C, on a évalué qu'environ 30 % des réserves de pétrole, 50 % des réserves de gaz et 80 % des réserves de charbon devaient rester dans le sol. Et même davantage si on vise à le limiter à 1,5 °C. Tout nouveau projet, que ce soit d'extraction ou d'utilisation de ces énergies, nous enferme donc dans notre dépendance aux énergies fossiles. Sans parler des répercussions sur la santé, par exemple. L'une des principales urgences est d'arrêter de faire ce qui nuit !

Ce nouveau rapport insiste sur les autres bénéfices d'une réduction des émissions, au-delà du climat… Quels seraient les plus importants ?

De plus en plus de chercheurs se penchent sur les interactions entre le climat et d'autres objectifs, comme l'éradication de la pauvreté, de la faim, la réduction des inégalités, l'accès à l'eau ou à l'énergie. Il en ressort que le changement climatique en lui-même est une menace sur beaucoup de ces objectifs de développement.

Agir pour limiter le réchauffement permet de limiter ces effets néfastes. Les exemples de synergies sont nombreux. De nombreuses solutions pour réduire les gaz à effet de serre sont bonnes pour la santé : dans la mobilité, la marche et le vélo permettent aussi de combattre les problèmes de sédentarité, qui sont une question de santé publique. Même chose lorsqu'on va vers des régimes alimentaires moins carnés.

Le GIEC souligne qu'il y a suffisamment d'argent pour réduire rapidement les émissions, mais évoque des « obstacles ». Lesquels ?

C'est un problème d'orientation des capitaux. Aujourd'hui, les flux financiers qui vont vers les solutions d'adaptation et de réduction des émissions sont inférieurs à ceux allant vers les énergies fossiles. Les risques liés au climat tout comme les possibilités d'investissement sont aussi mal évalués. Les rendements semblent peu attrayants compte tenu des risques, car les environnements réglementaires sont relativement faibles, et ne sont pas compatibles avec les niveaux d'ambition climatique. Plus prosaïquement, même s'il y a des besoins d'investissements, les projets ne sont pas forcément montés pour y répondre…

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