Les attentes des travailleurs, et particulièrement des jeunes, ont changé. Il ne s'agit pas seulement d'un accroissement du pouvoir de négociation des salariés dû à la conjoncture économique, mais plutôt de ce que les économistes appelleraient un choc de préférences, souligne Claudia Senik.
« L'incertitude à l'égard de l'avenir pousse également les jeunes à exiger un sens immédiat à leur travail, qui ne peut plus être considéré comme un sacrifice de leur temps. »
Pourquoi est-il si difficile d'attirer et de retenir les jeunes dans l'entreprise ? Quelles sont les attentes des nouvelles générations vis-à-vis du travail ? Les études sur le sujet pointent vers un nouveau rapport à l'avenir, un attachement à l'autonomie et une réappropriation de la gestion de son temps.
Ces attitudes ont été accentuées par la crise sanitaire. Elles conduisent à une redéfinition du sens du travail, dans une approche à la fois plus responsable et plus individualiste.
Le retour dans l'entreprise, après la pause du Covid , n'a pas été un retour « à la normale ». La pause de 2020 a été l'occasion d'une prise de recul pendant laquelle de nombreux salariés ont refait leur calcul coût-avantage, ont fait l'expérience de l'auto-organisation et ont choisi de ne pas reprendre leur poste antérieur.
Choc de préférences
Les attentes des travailleurs ont changé. Il ne s'agit pas seulement d'un accroissement du pouvoir de négociation des salariés dû à la conjoncture économique, mais plutôt de ce que les économistes appelleraient un choc de préférences. Et celui-ci concerne particulièrement les générations les plus jeunes.
Paradoxalement, même si la crise sanitaire avait peu de relations avec la crise climatique, elle a, par analogie, accentué la sensibilité aux risques globaux, si bien que l'inquiétude environnementale est aujourd'hui vive et quasi-générale.
Pour les jeunes générations, ceci est synonyme de perte d'avenir et facteur de colère et d'anxiété, et appelle en retour des formes d'éco-action comme remède. C'est pourquoi il leur importe de voir leur entreprise engagée de manière crédible dans la préservation de l'environnement. L'incertitude à l'égard de l'avenir les pousse également à exiger un sens immédiat à leur travail, qui ne peut plus être considéré comme un sacrifice de leur temps.
Distanciation du bureau et autonomie
L'autre choc de préférences issu de cette crise vient de l'expérience du télétravail. Si pour la majorité des salariés, le retour intégral au bureau est inenvisageable, pour une partie des jeunes, le travail, même en entreprise, ne doit même plus être associé à une localisation géographique.
Cette distanciation du bureau, fruit de la numérisation croissante du travail, reflète une très forte demande d'autonomie dans l'usage de son temps, mais aussi un déplacement de tout espace de socialisation hors des murs de l'entreprise, donc hors du collectif de travail.
Cette nouvelle délimitation de la place du travail dans l'existence ne signifie pas nécessairement que le travail est devenu moins important. Au contraire, c'est peut-être parce que les jeunes se sont réapproprié le travail qu'ils entendent l'agencer plus librement dans le temps et dans l'espace.
Travailler « en mode projet »
Il s'agit aussi certainement d'une attitude plus individualiste dans le travail. Car parallèlement à la reprise en main de son temps, l'autre grande attente des jeunes générations s'exprime à travers la notion d'impact. Loin d'accepter de se fondre dans une grande organisation aux objectifs lointains, les jeunes générations exigent de pouvoir identifier le débouché précis de leur travail.
C'est ainsi qu'« avoir un travail à impact » ne signifie pas seulement s'assurer des conséquences de l'activité de l'entreprise sur le monde, mais aussi la possibilité d'évaluer les résultats de son propre travail. Autrement dit, il s'agit de travailler « en mode projet ».
Dans un monde où l'avenir est devenu beaucoup plus incertain, mieux maîtriser son temps et identifier les conséquences immédiates de son travail est peut-être une manière de reprendre le contrôle de sa vie.
Claudia Senik est membre du Cercle des économistes, professeure à Sorbonne Université et PSE.
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